sous-titre : " Récits des marais rwandais "
Je remercie Gaël Faye.
Pour ceci, qui vient dans les premières pages de son récit "Petit Pays" :
- La guerre entre les Tutsi et les Hutu, c'est parce qu'ils n'ont pas le même territoire ?
- Non, ce n'est pas ça, ils ont le même pays.
- Alors... ils n'ont pas la même langue ?
- Si, ils parlent la même langue.
- Alors, ils n'ont pas le même dieu ?
- Si, ils ont le même dieu.
- Alors... pourquoi se font-ils la guerre ?
- Parce qu'ils n'ont pas le même nez.
La discussion s'était arrêtée là. C'était quand même étrange cette affaire.
Je crois que Papa non plus n'y comprenait pas grand chose.
Le Rwanda, cet abominable carnage au printemps 1994, qui, ironie du sort, restera un des plus heureux de ma propre existence. A l'époque, adulte pourtant, je n'avais guère prêté attention à ces événements. Pas parce qu'ils étaient tragiques et innopportuns mais parce qu'ils semblaient tout simplement inimaginables, vus d'ici.
Par la suite, quand Jean Hatzfeld a commencé à partir d'Août 2000 à publier ses livres sur le Rwanda, un, puis deux, cinq maintenant, je me suis dit qu'il "fallait" lire ça. Mais n'en trouvais jamais le courage.
Jusqu'à "Petit Pays".
J'ai refermé le roman et commencé à chercher sur internet.
Cette haine, drame post-colonialiste ? Les Blancs auraient, préférant leur physique élancé et leurs traits fins, valorisé les Tutsis pourtant minoritaires .
Cette haine, drame post-colonialiste ? Les Blancs auraient, préférant leur physique élancé et leurs traits fins, valorisé les Tutsis pourtant minoritaires .
Autre pomme de discorde, des Hutus cultivateurs, des Tutsis éleveurs accaparant trop de terres et se vivant comme une aristocratie, au dire des premiers...
Dès 1959, des poches de violence se libèrent régulièrement, avec des exactions voire de véritables pogroms. A partir de cette date, beaucoup de Tutsis préfèrent se réfugier au Burundi voisin, fantasmant un retour au pays une fois les conflits calmés.
C'est le cas de la mère du narrateur, dans le récit de Gaël Faye.
C'est le cas de la mère du narrateur, dans le récit de Gaël Faye.
Et puis le 6 Avril 1994 c'est l'étincelle qui embrase tout : le président Juvénal Habyarimana disparait dans un attentat/accident d'avion.
C'est le signal attendu qui libére le dieu du carnage.
Je cite maintenant Jean Hatzfeld dans son introduction. Incipit :
En 1994, entre le lundi 11 avril à 11 heures et le samedi 14 mai à 14 heures, environ 50 000 Tutsis, sur une population d'environ 59 000, ont été massacrés à la machette, tous les jours de la semaine, de 9h30 à 16h, par des miliciens et voisins hutus, sur les collines de la commune de Nyamata , au Rwanda. Voilà le point de départ de ce livre.
(p.9) Un génocide n'est pas une guerre particulièrement meurtrière et cruelle. C'est un projet d'extermination. Au lendemain d'une guerre, les survivants civils éprouvent un fort besoin de témoigner; au lendemain d'un génocide, au contraire, les survivants aspirent étrangement au silence, leur repliement est troublant.
L'histoire du génocide rwandais sera longue à écrire. Cependant l'objectif de ce livre n'est pas de rejoindre la pile d'enquêtes, documents, romans, parfois excellents, déjà publiés.
Uniquement de faire lire ces étonnants récits de rescapés.
Uniquement de faire lire ces étonnants récits de rescapés.
Quatorze au total appuyés par les beaux portraits faits par l'ami Depardon .
A chaque fois , en trois ou quatre pages, Hatzfeld précise tout d'abord les circonstances de la rencontre, retrace en quelque mots la situation de la personne six ans après, son cadre de vie , ses moyens de subsistance.
Il dresse aussi de magnifiques vignettes sonores et visuelles du cadre qu'offre la ville de Nyamata, ses "cabarets" où l'on boit la Primus tiède, les palabres, la flore exubérante...tout ce folklore extrêmement savoureux , goûteux.
Et puis, la surprise : si les récits sont atroces de part leur nature, leur narration est faite dans une langue incroyablement poétique, expressive, maniée avec beaucoup de finesse. Les gens se "tiennent" et se confient avec une grande dignité. C'est peu de dire que le tout force le respect.
Jeannette, 17 ans, cultivatrice et couturière :
L'histoire des Hutus et des Tutsis ressemble à celle de Caïn et Abel, des frères qui ne se comprennent plus du tout pour des riens. Mais je ne crois pas que le peuple tutsi ressemble au peuple juif, même si les deux peuples ont été attrapés par des génocides (...) Le peuple tutsi, c'est simplement un peuple malchanceux sur des collines, à cause de son allure haute.
Francine, 25 ans, commerçante et agricultrice :
Nous avons alors vécu des jours plus bas que la détresse (...) Quand on a vécu en vrai un cauchemar éveillé, on ne trie plus comme auparavant les pensées de jour et les pensées de nuit.
Jean-Baptiste, 60 ans, enseignant :
(Depuis 1963) les massacres étaient imprévisibles. C'est pourquoi, même quand la situation semblait tranquille, nos deux yeux ne dormaient jamais ensemble .(...) Dieu montrait lui-même qu'il nous avait oubliés, donc à plus forte raison les Blancs.
Angélique, 25 ans, cultivatrice :
Je ne sais plus où tourner de la tête pour trouver un mari. Je ne peux plus me confier à un homme hutu, je n'espère pas nécessairement un homme rescapé. J'ai oublié la fantaisie d'amour.
Marie-Louise, 45 ans, commerçante :
Je crois que les étrangers ne pourraient surmonter leur pitié, s'ils regardaient de près ce que nous avons souffert pendant le génocide. C'est peut-être pour cela qu'ils regardent de loin.
Berthe, 20 ans, cultivatrice :
On enveloppait nos craintes de feuilles de silence.
Sylvie, 34 ans, assistante sociale :
Un génocide, c'est un film qui passe tous les jours devant les yeux de celui qui en a réchappé et qu'il ne sert à rien d'interrompre avant la fin (...) Le génocide ne ressemble à aucune autre tourmente . Voilà une certitude que j'ai recueillie de colline en colline.
Le tome 2, "Une saison de machettes", part du côté hutu. Je serai obligée de le lire.
MIOR.
Et puis, la surprise : si les récits sont atroces de part leur nature, leur narration est faite dans une langue incroyablement poétique, expressive, maniée avec beaucoup de finesse. Les gens se "tiennent" et se confient avec une grande dignité. C'est peu de dire que le tout force le respect.
Jeannette, 17 ans, cultivatrice et couturière :
L'histoire des Hutus et des Tutsis ressemble à celle de Caïn et Abel, des frères qui ne se comprennent plus du tout pour des riens. Mais je ne crois pas que le peuple tutsi ressemble au peuple juif, même si les deux peuples ont été attrapés par des génocides (...) Le peuple tutsi, c'est simplement un peuple malchanceux sur des collines, à cause de son allure haute.
Francine, 25 ans, commerçante et agricultrice :
Nous avons alors vécu des jours plus bas que la détresse (...) Quand on a vécu en vrai un cauchemar éveillé, on ne trie plus comme auparavant les pensées de jour et les pensées de nuit.
Jean-Baptiste, 60 ans, enseignant :
(Depuis 1963) les massacres étaient imprévisibles. C'est pourquoi, même quand la situation semblait tranquille, nos deux yeux ne dormaient jamais ensemble .(...) Dieu montrait lui-même qu'il nous avait oubliés, donc à plus forte raison les Blancs.
Angélique, 25 ans, cultivatrice :
Je ne sais plus où tourner de la tête pour trouver un mari. Je ne peux plus me confier à un homme hutu, je n'espère pas nécessairement un homme rescapé. J'ai oublié la fantaisie d'amour.
Marie-Louise, 45 ans, commerçante :
Je crois que les étrangers ne pourraient surmonter leur pitié, s'ils regardaient de près ce que nous avons souffert pendant le génocide. C'est peut-être pour cela qu'ils regardent de loin.
Berthe, 20 ans, cultivatrice :
On enveloppait nos craintes de feuilles de silence.
Sylvie, 34 ans, assistante sociale :
Un génocide, c'est un film qui passe tous les jours devant les yeux de celui qui en a réchappé et qu'il ne sert à rien d'interrompre avant la fin (...) Le génocide ne ressemble à aucune autre tourmente . Voilà une certitude que j'ai recueillie de colline en colline.
Le tome 2, "Une saison de machettes", part du côté hutu. Je serai obligée de le lire.
MIOR.
Merci pour ce retour, je ne connaissais pas...
RépondreSupprimerJean Hatzfeld est un journaliste et correspondant de guerre, né en 1949. Petite note Wikipédia intéressante :
SupprimerReporter au Rwanda peu après le génocide, saisi par l'échec collectif des journalistes face à l'événement et leur incapacité à affronter l'effacement des rescapés, il suspend son activité au sein de sa rédaction quatre années plus tard pour séjourner près de marais et travailler avec des rescapés tutsis originaires de Nyamata, un village de la région du Bugesera. Il tente de créer un univers du génocide par une autre littérature où emmener le lecteur. Il s'attache, non pas à comprendre, ni à enquêter, mais à construire et monter les récits de ceux qui ont traversé cette expérience de l'extermination.
Je ne savais pas qu'Une saison de machettes était le tome 2 d'un autre livre. Merci pour ton billet Mior. ça fait longtemps que je veux lire ces livres de Jean Hatzfeld et que je ne prends pas le temps. Cette piqûre de rappel est bienvenue.
RépondreSupprimeralors je suis contente. Les trois premiers bouquins sont proposés aussi au Seuil en un seul volume qui s'intitule "Récits des marais rwandais" (Dans le nu de la vie 2000 / Une saison de machettes 2003/La stratégie des antilopes 2007).On trouve aussi tout ceci en poche (Points). Et en bibliothèque bien sûr si on n'est pas sûr de supporter cette lecture
SupprimerJ'ai ouvert une porte sur un monde bien sombre et une partie de l'histoire que je méconnaissais avec Gaël Faye. Tu m'en ouvres une autre et j'ai envie de te suivre dans ces suggestions.
RépondreSupprimerta confiance m'honore, Moka ; ce n'est vraiment pas une lecture "cotillon" comme tu t'en doutes mais belle et profonde...Je trouve le projet d'Hatzfeld formidable car il a commencé par écouter les victimes six ans après le massacre, puis il est retourné au Rwanda rencontrer certains des bourreaux qui sortaient de prison trois ans plus tard, puis une nouvelle fois quand tous ces gens se sont remis à vivre ensemble...bien obligés...Quelle somme , ce travail
SupprimerMerci Mior pour cet article extrêmement intéressant et qui donne envie de lire Jean Hatzfeld. Il me semble que j'ai un livre de lui sur mes étagères...
RépondreSupprimerje pense que c'est un homme profondément honnête dans sa démarche.
SupprimerIl avait eu un prix , le Fémina je crois, avec Une saison de machettes
J'ai lu ce premier tome en deux jours, malgré la dureté des choses décrites.
Je fais une pause mais je continuerai
ta citation du début est tellement parlante!
RépondreSupprimeril faut que je trouve le courage de lire ce livre!
C'est vraiment ce passage intrigant qui m'a donné une grande envie d'en savoir plus et le courage, comme tu dis, de me tourner vers Hatzfeld. Je ne l'ai pas regretté
SupprimerJ'ai fait l'inverse, puisque j'ai commencé par Une saison de machettes. Je n'ai pas encore lu celui-là, bien que j'en aies l'intention, mais une pause entre les deux titres s'impose...
RépondreSupprimerUne saison de machettes est la démonstration que l'homme n'a même pas besoin d'être un monstre pour accomplir des actes monstrueux... une "preuve" de plus de l'existence de cette banalité du mal évoquée par Hannah Arendt. Une lecture glaçante, nauséeuse, mais sans doute nécessaire..
Je finirai la trilogie, le deuxième tome sera sans aucun doute le plus perturbant...
SupprimerBon, ben, je vais commencer par "Petit pays", moi .... J'ai ouvert les premières pages d'"Une saison de machette" au moins une dizaine de fois, mais, trop la trouille, j'ai refermé le livre. Peut-être que dans ce sens là, j'y arriverai !
RépondreSupprimerje te comprends parfaitement. Oui, peut-être pour toi aussi le bouquin de Gaël Faye sera le déclencheur
SupprimerIl a écrit aussi "un papa de sang" où il donne la parole aux enfants de tueurs et de rescapés 20 ans après le génocide.
RépondreSupprimerJe l'ai trouvé passionnant, c'est un grand spécialiste du Rwanda.
Oui, manifestement il a pris le temps de séjourner à plusieurs reprises et longuement là-bas, je pense qu'il a développé des connections extrêmement fortes avec le Rwanda . La parole qu'il récolte est précieuse
SupprimerQuand je vois des photos de ces coins là, je pense, mais c'est magnifique! Collines, verdure (et la fameuse radio des mille collines, brrrr)
RépondreSupprimerJ'étais en Afrique au printemps 1994, donc forcément je suivais les nouvelles, est-ce pour cela que je n'ai jamais lu ces livres là? Pareil pour le Liberia, où les nouvelles tombaient aussi. Vu d'Europe, cela devait être différent, c'est sûr.(et pour l'anecdote, la chute du mur, vu d'Afrique, personne ne m'en a parlé -je ne captais que rarement les nouvelles- et l'ai appris deux jours après.Comme quoi, tout peut paraître relatif,selon l'endroit où l'on est, mais c'est une autre débat)
Très interessant,Keisha, ton comm sur la relativité de toute chose....
SupprimerUne saison de machettes est terrifiant. Mon préféré de l'auteur que j'admire profondément est La stratégie de l'antilope.
RépondreSupprimerMerci Valérie de me (re) motiver pour continuer mon voyage au cœur du monstrueux, du tragique génocidaire rwandais
SupprimerJ'ai très envie de lire "petit pays" et après, si j'ai le coeur bien accroché, je lirai celui-ci. Comme toi, cette histoire terrible m'interpelle. J'ai lu dernièrement "Inyenzi ou les cafards" de Mukasonga, sur ce thème que j'ai beaucoup aimé.
RépondreSupprimerah, je ne savais pas qu'elle était rwandaise ! une amie de mon club de lecture nous propose de la lire
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