samedi 6 octobre 2012

"Sauve-toi, la vie t'appelle" de Boris Cyrulnik (Odile Jacob)



Je "suis" Boris Cyrulnik depuis une quinzaine d'années (non, c'est lui qui m'accompagne , plutôt !) depuis qu'une amie psychiatre m'a fait découvrir  "Sous le signe du lien" ,  au cours d'une grossesse.
Ce fut une révélation .
 On pouvait donc être à la fois extrêmement savant et très accessible, écrire des essais d' une plume agréable et donner à chaque ouvrage de très stimulantes leçons de vie ...

Ici , il se passe encore autre chose.
 Boris Cyrulnik descend dans les profondeurs de sa propre psyché, explore son passé d'enfant juif en cavale, et tente de se souvenir...

Mais entre vrais souvenirs, souvenirs racontés et "collages" , faits - inconsciemment- pour donner du sens , comment créer une représentation du réel ?

Le mot "représentation" est vraiment celui qui convient. Les souvenirs ne font pas revenir le réel, ils agencent des morceaux de vérité pour en faire une représentation dans notre théâtre intime. Le film que nous projetons dans notre monde psychique est l'aboutissement de notre histoire et de nos relations. Quand nous sommes heureux, nous allons chercher dans notre mémoire quelques fragments de vérité que nous assemblons pour donner cohérence au bien-être que nous ressentons. En cas de malheur, nous irons chercher d'autres morceaux de vérité qui donneront , eux aussi , une autre cohérence à notre souffrance.
......Qu'elle soit collective ou individuelle, la mémoire est intentionnelle: elle va chercher dans le passé les faits qui donnent forme à ce qu'on éprouve au présent.
......Dans tous les cas ce sera vrai comme sont vraies les chimères, ces monstres imaginaires où tous les éléments sont vrais
....Faire le récit de sa vie , ce n'est pas du tout exposer un enchaînement d'évènements, c'est organiser nos souvenirs afin de mettre de l'ordre dans la représentation de ce qui nous est arrivé et c'est, en même temps, modifier le monde mental de celui qui écoute. 

Passé ces réserves de principe -passionnantes au demeurant- et qui peuvent sembler l'expression d'une pudeur ultime de la part de l'auteur, il faut pourtant "plonger"... 

Raconter la disparition des parents -il a 5 ans- sa mère n'a eu que le temps de le laisser à l'Assistance Publique la veille de son arrestation,  la rafle et l'évasion invraisemblable en janvier 1944 -il a maintenant 6 ans et demi- les Justes  et les salauds "ordinaires" des temps de guerre, le côté incompréhensible de la plupart des situations vues à hauteur d'enfant.

Puis paradoxalement, alors que la guerre est finie, l'effondrement, à travers encore d'autres expériences de solitude et de dénuement affectif extrême.

Pendant la guerre, dans mes émotions, l'anesthésie de la mort imminente alternait avec le plaisir de la vie retrouvée.
...Après la guerre , les placements incessants , les changements d'institution empêchaient le tissage d'un attachement. Tout début de lien était de suite déchiré , pour aller dans une institution anonyme . Une cascade de placements dans des lieux que je ne connaissais pas, auprès de gens dont j'ai tout oublié, empêchait toute représentation cohérente.
...Quand la paix est revenue et que j'ai retrouvé quelques survivants de ma famille, je me suis senti abandonné parce que j'attendais d'eux une vraie niche affective, que les juges déchiraient à chaque nouveau placement.

Enfin la difficulté de raconter ce qu'il avait traversé fut un autre tourment...

Dans un contexte de paix où les récits collectifs racontaient gaiement la bravoure face à l'occupant et l'ardeur au travail pour construire une société meilleure, les témoignages des survivants paraissaient obscènes. Alors, on se taisait...ce qui faisait notre affaire.
.....D'abord j'ai dû me taire pour ne pas mourir, puis je me suis tu pour être tranquille
.....Pendant la guerre, on fait secret pour ne pas mourir. Après la guerre, on continue de se taire pour ne partager avec les autres que ce qu'ils sont capables d'entendre. Elle est curieuse cette culture qui reproche aux blessés de ne pas avoir parlé, alors que c'est elle qui les a fait taire.

 Cyrulnik rencontra ensuite quelques "tuteurs de résilience" et le livre raconte son extra-ordinaire parcours jusqu'à l'âge adulte.
 Mais ce récit n'arrive que maintenant, il a donc fallu tout ce temps pour qu'il soit dicible enfin ...

 On a déjà vu ou lu semblables témoignages , mais c'est un choc pour moi à chaque fois , une révolte et un effroi d' essayer de me représenter de telles expériences.

Ce récit est utile et extrêmement nuancé ; un très beau livre, vraiment . 

MIOR



    

Boris Cyrulnik

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Mior