samedi 5 janvier 2013

"Prince d'orchestre" roman de Metin Arditi

aux éditions Actes Sud




La musique , c'était le succès. Les bravos. L'argent, aussi. Beaucoup d'argent. La gloire. La facilité de tout.
- La musique a tous les traits de la victoire, fit Alexis. C'est un monde magnifique.
Il laissa passer quelques instants, puis ajouta :
- Mais je dois bien l'admettre. Nous sommes souvent dans l'imposture." (p.63)

Cette déclaration étonnera plus d'un lecteur, certainement. Et pourtant...
 elle se vérifie souvent quand on connait bien certains milieux artistiques.
 Le monde de la musique classique, qui fait rêver les mélomanes, n'est pas un milieu hors de l'espace et du temps, il n'est pas exempt de la mesquinerie , du tout-à-l'égo , ni d'un certain prêt-à-penser médiatique qui encense ou détruit sans beaucoup de discernement...
Les petitesses humaines et les fragilités, qui peuvent sembler sublimées dans l'élan artistique même, ne trouvent pas toujours réparation à travers celui-ci. 

C'est ce que met en évidence cet ouvrage qui m'a beaucoup intéressée.

Le personnage central est un chef d'orchestre au sommet de sa carrière.  
Pas forcément sympathique mais de très grand talent. 
Et puis ...ce qui semble au premier abord une simple "boulette" professionnelle va totalement bouleverser sa vie.

Metin Arditi , écrivain d'origine turque vivant à Genève, est -tiens,tiens...- président de l'orchestre de la Suisse Romande.

 Il s'est assurément bien renseigné avant d'écrire ce livre (pas d'âneries sur la réalité de ce métier, c'est déjà bien agréable ...et pas si fréquent) et a certainement , dans l'exercice de ses fonctions , perçu l'incroyable mélange de gloriole et de réel talent ainsi que les affres du perfectionnisme et du doute qui habite les musiciens professionnels,  à tout stade qu'on les considère.
A ce titre son roman est passionnant pendant ses deux cent premières pages.

"Depuis trente-cinq ans qu'il faisait ce métier, Ted avait appris à connaître les chefs  Tous, à des degrés divers, étaient difficiles. Mais tous aimaient la musique. Ils étaient portés par elle, nourris d'elle. Ils vivaient à travers elle. Les grands plus encore que les autres. Sans doute même était-ce là ce qui faisait leur marque: la vénération qu'ils avaient devant la grande musique.
Alexis n'était pas dans ce cas. Lui avait été aimé de la musique, plus sans doute qu'elle n'avait jamais aimé personne. Elle s'était offerte à lui dans toute son intimité. Il n'avait eu qu'à tendre la main pour connaître d'elle le mystère de chaque instant. Le secret de chacun de ses replis intimes. Mais dans sa frénésie de gloire , il n'avait pas imaginé qu'elle pourrait attendre de lui quelque chose en retour. Il s'était comporté avec elle comme un homme qui exploite l'amour d'une femme sans vergogne, tant il est persuadé qu'elle lui restera attachée toujours et quoi qu'il fasse, au point de tout accepter. Jusqu'à ce qu'un jour elle se dise que la plaisanterie a assez duré et le quitte." (p.164)

Arrive la mauvaise critique , impitoyable, perfide , sans pitié.
 Alexis est balayé d'un revers de plume, jeté à bas de son piédestal.
 Il a humilié un musicien d'orchestre , la profession décide de ne pas le lui pardonner :

"Le chroniqueur musical ne limitait pas son attaque au concert. Il s'en prenait à la personne d'Alexis, "un chef autoritariste, à l'ancienne".
La férocité de l'article brisait tous les codes. Personne n'écrivait une telle critique pour un chef de son rang. Il y avait autre chose. Une connivence entre le journaliste et l'un des membres de l'orchestre. Lorsqu'il s'agissait de défendre l'un des leurs, les musiciens faisaient bloc...
L'article allait faire le tour du monde. En moins d'une journée, tous les musiciens d'orchestre se diraient: cet homme est un salaud. Il faut lui faire la peau.
La chasse était ouverte."    ... (p.81)

"-Les musiciens sont des salauds.
Elle lui caressa les cheveux :
-Tu es injuste. Ils ont choisi de vivre une vie normale...Ils rentrent chez eux le soir, ils retrouvent leur famille, ils dorment dans leur lit... Ils ne sont pas comme toi.
A nouveau , elle lui caressa les cheveux :
-Ils servent la musique. Comme les moines du Moyen Age passaient leur vie à copier des textes, alors qu'ils étaient érudits. Que ferais-tu sans eux ? " (p.126)

L'avouerai-je , la deuxième partie du bouquin m'a un peu moins convaincue .

 La descente aux enfers d'Alexis Kandilis est pourtant bien narrée, mais elle est peu vraisemblable à mes yeux ( elle est , pour tout dire , un peu trop "romanesque" pour le coup) . 
On a bien compris dès le début qu'il y a un secret de famille , une blessure d'enfance.
Alexis devra se confronter à ses vieux démons, ceux-là même qu'il a voulu nier, tout occupé qu'il était à sa brillante ascension.
Il y aura une rencontre magnifique avec un homme qui lui aussi porte un poids énorme , et qui essaiera , en vain, d'aider Alexis K .
 Deux femmes aussi .. on rentre alors dans une phase sensuelle et quasiment onirique...
la réalité s'éloigne , Alexis marche sur le fil ...et tombe

Un bon opus de cette rentrée littéraire, qui passionnera certainement les amoureux de musique classique . Original et bien mené. 

Bande son : la Symphonie Fantastique, la 9ième de Beethoven, mais surtout les "Kindertotenlieder" de Gustav Mahler et ...l'Ouverture de la Force du Destin , bien sûr.

MIOR

2 commentaires:

  1. J'ai nettement préféré "Le Turquetto" ! Celui-ci est effectivement assez invraisemblable dans la deuxième partie, et les personnages secondaires pas assez riches. J'ai bien aimé celui du père au chevet de son fils dans le coma (je ne me souviens plus de leurs noms !)

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  2. Certes , il y a des faiblesses mais la part qui concerne la musique est bien vue. Le vedetteriat a perdu plus d'un artiste, au départ de qualité...
    Mior

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Mior