samedi 2 mars 2013

"Elle, par bonheur, et toujours nue" de Guy Goffette



On n'en dit jamais autant sur soi-même qu'en parlant des autres (p.137)

Quelle meilleure phrase d'introduction pourrait-on faire à l'excellente collection "L' un et l'autre " dirigée par J.B Pontalis chez Gallimard ?

Ici c'est avec sa merveilleuse langue poétique que Guy Goffette nous emmène visiter Bonnard.

Pour Goffette, il y a d'abord eu une rencontre, un véritable coup de foudre avec... Marthe , modèle, muse puis épouse de Pierre Bonnard :

Pardonnez-moi, Pierre, mais Marthe fut à moi tout de suite. Comme un champ de blé mûr quand l'orage menace, et je me suis jeté dedans, roulé, vautré, pareil à un jeune chien. 

Comprenez bien , j'étais seul et désoeuvré entre deux trains dans une ville du Nord, écrasée de soleil cet été-là. .... C'est au détour d'une des salles où la chaleur me poursuivait -et je n'arrêtais pas de m'éponger le cou, le visage , les mains- que je la vis. 

Disons, pour être juste, que je vis une jeune femme venir à moi dont j'ignorais tout, sinon qu'elle était nue, sinon qu'elle était belle, et son éclat d'un coup me rafraîchit jusqu'au ventre. ...A ce moment-là, Pierre, avant même que j'aie pu esquisser un geste, tendre la main , soulever l'écran de fine poussière qui me séparait d'elle, Marthe fut à moi.

          J'en oubliai le canapé rose, et le miroir, et le tub que vous aviez soigneusement disposés autour d'elle comme l'hommage d'un roi ; j'oubliai que ce n'était là qu'un décor, et que cette Eve déhanchée en ballerines , croupe frémissante et mamelon tendu, n'était qu'un morceau de toile peinte, 124x108 cm, un tableau de musée. J'oubliai tout, l'heure, les murs, la ville et son étuve, ma vie boiteuse, ce que j'étais venu chercher ici. Tout. 



Le ton est donné , nous avons affaire à un vrai passionné .

 La suite est magnifique qui relate la vie humble et inspirée de Pierre Bonnard avec Marthe, qu'il peignit et photographia sans relâche :

Marthe nue cent quarante six fois peinte, Marthe sept cent dix sept fois croquée nue dans les carnets, dessinée dans l'air, perdue dans les arbres, caressée dans l'eau...





Je suis souvent touchée par le récit de vies de plasticiens , ces vies souvent arides , difficiles matériellement. Ce sont des créateurs qui sont prêts à payer très cher pour fouiller sans relâche leurs intuitions, travailler beaucoup et vivre leur absolu , le plus souvent dans des affres terribles et des dépouillements extrêmes. 

C'est ainsi chaque jour depuis qu'il est libre et qu'il a choisi d'être peintre.
 Qu'il pleuve,vente ou grêle, Pierre arpente Paris, matin et soir, des Batignolles  à Montparnasse, de Pantin à Montmartre , histoire de se remettre les yeux à l'heure, de se laver l'âme au fil de la Seine et dans le tambour des rues. 

 ... Pierre, qu'il soit ou non amoureux, se lève tôt. De peur de manquer ce premier rendez-vous avec la lumière, quand l'oeil encore mal débarbouillé des songes , n'est qu'un oeuf sous la paille des cils.

...Ce n'est pas la couleur ni la technique qui font le peintre, pas plus que l'école ne le défait. C'est une manière bien à soi d'attraper le monde par le paletot et de ne plus le lâcher quoi qu'on dise ou fasse alentour pour vous arrêter . Une manière de se boucher les oreilles et de se fermer les yeux à tout ce qui n'est pas cela qu'on a senti un jour bouger à l'intérieur avec une telle évidence que rien ne prévaudra jamais contre.

"J'espère que ma peinture tiendra, sans craquelures, note-t-il en 1946. Je voudrais arriver devant les jeunes peintres de l'an 2000 avec des ailes de papillon."

Merci à Guy Goffette et à Pierre Bonnard , "L'un et l'autre"...

Mior.

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