jeudi 10 octobre 2013

" Canada " de Richard Ford

aux éditions de l'Olivier

                                            

Un livre grave et troublant. 
"D'abord je vais raconter le hold-up que nos parents ont commis". 
Entrée en matière étonnante. Great Falls, 1960.
 Le narrateur a quinze ans au moment des faits , une soeur jumelle, envie d'apprendre à très bien jouer aux échecs et de s'occuper d'abeilles.
Pourtant, on ne peut pas dire qu'il évolue dans une famille normale et "normalement" heureuse, mais aux côtés d'un tandem parental mal assorti, entre une mère associale et solitaire, et un père qui n'a guère pour lui qu'un physique avenant et un optimisme à toute épreuve. 
Ancien de l'Air Force dont il a gardé une certaine nostalgie et un vieil uniforme, il vit de combines et d'expédients foireux ; jusqu'au jour où il aura pour se sortir d'un mauvais pas , cette idée folle : aller braquer une banque dans l'état voisin. 
Il projette d'embarquer son jeune fils , et c'est peut-être pour éviter cela que la mère sera de l'expédition.

Dans la première partie du livre, le narrateur nous raconte presque heure par heure les journées qui précèdent cette initiative désastreuse. Nous nous trouvons comme le jeune homme, pris dans la nasse , suspectant que quelque chose ne tourne pas rond, et pourtant réduit à l'impuissance. Les parents s'enferment dans leur chambre où ils ont d'étranges conciliabules. Les enfants (car ils ne sont pas vraiment encore des adolescents dans cette ville étriquée et ces années 60 ultra conformistes) s'ennuient terriblement et éprouvent une sorte de malaise , mais ils en ont l'habitude en quelque sorte . Même si le père fait parfois de grandes déclarations, personne ne s'occupe vraiment d'eux ni ne partage grand-chose avec eux. La gêne est palpable et le lecteur peut même éprouver une sorte de malaise à la lecture de ces pages.  Richard Ford est très fort ! 

...Aujourd'hui, je me souviens de cette soirée comme la meilleure, la plus spontanée que nous ayons eue cet été-là - et de tout temps. Un bref instant , j'ai cru que la vie pourrait  prendre une trajectoire plus fiable, plus régulière. Ils étaient heureux tous les deux , à l'aise ensemble. Mon père était reconnaissant envers ma mère pour sa prévenance à son égard. Il lui faisait compliment de ses vêtements , de sa beauté, de sa bonne humeur. On aurait dit qu'ils avaient redécouvert quelque chose qui avait été masqué, mal compris , oublié avec le temps , et qu'ils étaient de nouveau sous le charme l'un de l'autre . Ce qui est tout de même logique et légitime chez les gens mariés. Ils entrevoyaient à nouveau la personne dont ils étaient tombés amoureux et qui tissait la trame de leur vie. Pour certains , il est probable que cette vision ne pâlit jamais - il en va ainsi pour moi. Mais chez nos parents, chose curieuse, cette redécouverte qui dissipait la frustration, l'anxiété et les soucis comme autant de nuages, et qui les révélait sous leur meilleur jour, est survenue au moment précis où ils s'apprêtaient à mener notre famille à la ruine.

Vient le hold-up , pitoyable , suivi de l'arrestation , tellement prévisible, de ces deux Pieds Nickelés. 
Les enfants devraient être confiés aux services d'état , en fait , le garçon sera exfiltré avec l'aide d'une relation de sa mère vers le Canada , alors que la soeur choisira la fugue et l'indépendance , prélude d'une vie marginale .

Commence la deuxième partie du récit , très différente et tout aussi réussie à mes yeux.
Perdu dans une région peu aimable du Canada , sans grand chose à quoi se raccrocher , le jeune narrateur va essayer de se construire sur ce champ de ruines ; il sera à la recherche de figures parentales de substitution , lesquelles seront souvent troubles voire vénéneuses. Néanmoins , il réussira à se construire une vie d'adulte "normale" et cachera cette fêlure intime irrémédiable jusqu'à l'automne de sa vie où il entreprendra ce récit.

Mildred Remlinger m'avait conseillé d'ouvrir au maximum mon champ d'intérêts , pour ne pas me laisser monopoliser de manière malsaine par un seul, et avoir toujours de quoi me délester en cas de besoin. De leur côté, mes parents m'avaient tour à tour conseillé l'acceptation. (Souple, c'était le mot de ma mère ) Avec le temps , je serais en mesure de m'expliquer tout ça. Quelque part, d'une façon ou d'une autre. Peut-être auprès de ma soeur Berner, que j'étais sûr de revoir avant de mourir. D'ici là , je tâcherais de faire la part des choses parmi les bons conseils reçus : pratiquer la générosité, savoir durer, savoir accepter , se défausser, laisser le monde venir à soi - de tout ce bois, le feu d'une vie .

La langue est simple et forte, le style empreint d'une certaine lenteur, la construction est vivante bien que strictement linéaire . Richard Ford réussit à distiller le suspense alors même qu'il a mis les cartes sur la table dès la première phrase . 
Son récit d'initiation est un livre "d'homme" , âpre et granitique.
 Si le sujet de départ est pitoyablement triste, le récit parle évidemment de la solitude de tous, et de l'étrangeté de certaines trajectoires de vie.

  Ce livre a été mis en avant en cette rentrée littéraire par bien des critiques et libraires ; c'est effectivement un ouvrage de qualité, qui donne envie de lire d'autres opus de cet auteur . 

MIOR

2 commentaires:

  1. J'aime beaucoup Ford et je crois que celui-là est arrivé immédiatement en tête de mon classement. Pour moi c'est le roman de la rentrée, s'il faut en choisir un (j'exclus American prophet de Beatty car il est sorti il y a bien longtemps aux Etats-Unis). C'est tellement précis et magnifique. Même quand il ne parle pas de la lumière, on a l'impression de la voir tellement on est dans la scène, assis derrière la table de la cuisine, ou dans la voiture avec les personnages. Tout est si méticuleux et simple, pour construire un univers totalement cohérent. C'est vraiment un grand maître pour moi. Je te conseille aussi les autres, dont Indépendance qui m'a aussi beaucoup marquée.

    RépondreSupprimer
  2. oui !! C'est la première fois que je lisais cet auteur. Il m'a impressionnée . La clarté de sa narration , comme tu le dis , la force de la parole de son jeune héros , tout cela dans une sorte de gde simplicité ... Tout simplement la grande classe ! (et pourtant je suis un peu lassée des auteurs américains , ces derniers temps...) ; Je commence une wishlist pour 2014, Independance , oui , absolument !

    RépondreSupprimer

Merci de votre visite, et de votre commentaire ;-)
A bientôt !
Mior