dimanche 14 septembre 2014

Festival America 2014

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Grande première pour moi que cette visite au Festival America ! 
Je m'étais un peu lassée -après en avoir beaucoup lu- de la littérature américaine et m'étais beaucoup plus tournée ces dernières années vers la littérature européenne (hongroise, scandinave,anglaise, italienne) ou extraeuropéenne (japonaise par exemple). 
Il me semblait que les thématiques un peu obsessionnelles des Nord-Américains ne me parlaient plus vraiment... 

Mais, sachant que le lieu du Festival se trouve à ...deux kilomètres à vol d'oiseau de chez moi, il m'est apparu que je ne pouvais tout simplement pas ignorer l'évènement une fois de plus. Me promettant de joindre l'agréable à l'agréable en rencontrant d'autres blogueurs à Vincennes,je me suis engouffrée dans ce qui s'est révélé une sorte de marathon dont je reviens enchantée , stimulée et éreintée tout à la fois !

Qu'y a-t-il de si fatigant à écouter parler des gens , me direz-vous ? 
Eh bien, je crois que c'est l'engagement des uns et des autres, en fait.
Quelle passion autour des livres ! Parfois j'ai presque senti l'air vibrer...

J'ai découvert une quantité impressionnante d'auteurs, et beaucoup parmi eux dont je n'ai jamais rien lu (shame on me)
J'ai retrouvé les qualités de formidables raconteurs d'histoire des américains.
J'ai aimé le mode de rencontre : trois ou quatre auteurs , leurs traducteurs à leur côté , et un interviewer, libraire , journaliste ou blogueur.

Je suis peu friande de séances de signatures, où l'auteur se trouve contraint à un exercice de marketing qui peut se révéler artificiel ou convenu. 
Rien de tel ici : sur un intitulé plus ou moins ouvert, "comment naissent les livres", "parcours d'écrivains" ou "de la violence en Amérique" la parole nait et l'échange s'épanouit naturellement pendant une heure. Des pistes sont suggérées, des secrets de fabrication révélés, une sorte d'intimité s'installe entre auteurs et auditeurs.
De très beaux moments en vérité...

Au début j'ai essentiellement écouté puis j'ai pris des notes. Tous ces moments allaient filer comme du sable entre mes doigts sinon ! 
Je vais essayer de vous restituer ce que j'ai entendu , partager ces instants précieux...
Je retranscris le plus fidèlement possible. En commençant par deux "stars":

Donald Ray Pollock : "dans les années 50 et 60 dans les Appalaches où j'ai été élevé, c'était le père le personnage central d'une famille. Maintenant on pourrait dire que ce sont les enfants (...)Mon père a eu une grande influence sur moi, pas forcément la meilleure mais la plus forte (...) J'ai eu de la chance de naître garçon là où je suis né. A cette époque, toutes les femmes étaient dominées, par leur époux ou par leur père. Depuis on a eu l'occasion de comprendre que les femmes sont souvent plus intelligentes et plus fortes(...) Dans mon oeuvre, les personnages de pères sont dominateurs, cruels, et les femmes des personnage de second plan.Je dois dire que j'ai été marié trois fois et j'ai l'impression que je connais pratiquement rien des femmes... C'est vrai que dans mon livre "le Diable tout le temps" j'ai presque forcé le trait des archétypes masculins violents:prédicateur fou, homme de loi véreux, tueur en série...J'ai essayé maintes fois mais je n'arrive pas à écrire de jolis livres sur des gens gentils. J'écris sur la violence car je voudrais la comprendre...Et dans mon prochain livre , que j'espère finir bientôt, pas mal de personnages finiront en enfer"

Donald Ray Pollock dit qu'il a d'abord été un grand lecteur, essentiellement des écrivains du Sud, O'Connor etc, avant d'oser se lancer dans l'écriture à cinquante ans, frappé qu'il était par l'effondrement moral de son père prenant sa retraite après toute une vie de labeur à l'usine, celle-là même où il travaillait également.  
Pendant longtemps, toutes les semaines, il recopiait en les tapant à la machine un de ces romans ....  !! 

David Vann : "mes livres sont des tragédies. Je ne trouve pas la tragédie déprimante. Elle a un pouvoir cathartique. Ma famille m'a fourni cinq suicides, un meurtre et des paysages magnifiques. J'ai fait un bûcher avec ça et j'ai envoyé l'allumette ! Je crois, après cinq livres, en avoir fini avec mon histoire familiale (...) Dans la tragédie,il y a du tabou et les règles sont brisées. J'ai vécu dans mon enfance -j'avais huit, dix ans- cette scène de mon dernier livre: mon père me tend son fusil , il met en joue un homme. Le fusil est chargé, le cran de sécurité est baissé... (...) Dans ce livre , il semble qu'il est plus difficile de tuer un cerf qu'un homme (...) c'est seulement quand il devra achever le cerf que le jeune ressentira de l'empathie"

Je suis heureuse d'apprendre que Vann pense en avoir fini avec cette veine glauquissime , je lirai son prochain opus avec soulagement si c'est vraiment le cas ! 

J'ai découvert Robert Goolrick, qui a longtemps travaillé dans la pub, puis tout perdu. Après six mois de sidération, il a ressorti un manuscript de son placard, a décidé de travailler dur et de devenir écrivain. Une histoire améraicaine, en somme! Dans "Féroces" et "Une femme simple et honnête" il s'inspire de son berceau familial, en Virginie. Il a ensuite écrit "Arrive un vagabond" (prix ELLE 2013, qui a enthousiasmé Laure tout dernièrement) et .."La chute des princes" (voir ci dessus...) 

J'ai rencontré Nickolas Butler , qui avec son premier roman "Retour à Little Wing" gagne le Prix Page/America 2014 . Grand barbu pacifique , le mot qui revenait le plus souvent dans sa bouche était " decency" (difficile à traduire en un seul mot)...

J'ai adoré Paul Harding , qui , quoiqu'il ait choisi un sujet tragique dans "Enon" (un père perd sa fille de treize ans) a su faire preuve de beaucoup d'humour dans les débats. Assurant par exemple qu'il s'était bien promis que son prochain livre serait une comédie musicale! après cette revisitation du mythe d'Orphée. J'ai aimé apprendre qu'il avait été assez longtemps batteur, avant, lui aussi, de "décider" de devenir écrivain. Amusant! (comme quoi la musique mène à tout ;)

De très beaux moments avec les auteurs femmes également :

avez vous déjà entendu parler de Jocelyne Saucier ? Cette Canadienne habite tout au Nord , là où il n'y a plus que 2 habitants au mètre carré (non, vous avez bien lu!).
Elle a parlé avec une extrême délicatesse de la genèse de son quatrième bouquin "Il pleuvait des oiseaux" , où elle imagine une communauté de vieux solitaires marginaux et fantasques et où elle rend hommage à une de ses tantes , internée abusivement ("on lui a volé sa vie"). Contre toute attente, la vie, puis l'amour, reprendront leurs droits... Dans les Canadiennes , à noter aussi Mélanie Vincelette 

Il y eut ensuite Ayana Mathis pour" les douze tribus d'Hattie",très dynamique.

 Amy Grace Loyd a présenté "Le bruit des autres" qui me fait très envie. 
Elle, a beaucoup parlé du fait qu'elle ait eu du mal à faire publier ce premier livre dont on lui reprochait qu'il soit trop féminin, trop intime en quelque sorte, pas vraiment le genre d'histoire qui plait au public américain. Parlant justement de cette sphère intime, de notre besoin de solitude même au sein d'une vie urbaine et active (elle est new-yorkaise et éditrice) elle a glissé, dans la fin de son intervention : " j'ai peur que, dans notre société, nous commencions à perdre notre pouvoir de concentration..." 

Je n'oublierai pas la finesse de Kathleen Winter en entretien (à tel point que je me suis enhardie à aller lui dire) qui parlait très doucement, comme pour une confidence :
"Mon apparence est féminine mais je me sens des deux genres. Pas dans une sorte de moitié-moitié mais plus comme si cela pouvait devenir un super-pouvoir. J'ai écrit sur ce sujet dans "Annabel" (qui est un hermaphrodite). Quand mon père a lu le livre, il m'a téléphoné pour me dire "si un animal venait au monde ainsi, ses congénères feraient la seule chose sensée : le tuer " . 
Silence .....

Pour ce soir j'ai  envie de laisser le mot de la fin  à  l'érudit Eugène Nicole (spécialiste de Proust entre autre) qui a joliment qualifié la littérature d' "inflation de l'imaginaire". 

Je reviendrai très vite compléter ce billet, eh oui , il y avait aussi des écrivains français comme Maylis de Kérangal, Geneviève Brisac, et les "deux-cultures" comme Antoine Bello , Nancy Huston ou Jake Lamar !...

Pffff...épuisant , j'vous dis ... 
MIOR







37 commentaires:

  1. Je te conseille le roman d'Amy Grace Loyd, j'ai beaucoup aimé, et je me réjouis de découvrir les romans des trois invités au même débat (le barbu et les deux dames venues du grand froid) ;-) Je devrais tenter Annabel aussi... et Robert Goolrick...

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  2. C'était vraiment formidable ! J'imagine que c'est aussi un bon moment pour les auteurs que de partager ainsi, et de sortir de leur solitude de créateurs pour quelques journées . Le bruit des autres et Annabel sont en effet en haut de ma liste !
    Merci de ton passage , Enna

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  3. Parfait compte-rendu, on sent l'air vibrer quand tu l'évoques, on se met à regretter de n'avoir pas fait le déplacement ! ;)

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  4. Tu me donnes vraiment des regrets de ne pas avoir pu y aller cette année, nombre d'auteurs m'intéressaient. J'ai adoré "il pleuvait des oiseaux" de Jocelyne Saucier, j'aurais aimé discuter un peu avec elle .. Ton billet est parfait, j'y retrouve l'ambiance du festival et les américains sont en général bien plus abordables et ouverts que les auteurs français.

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  5. J'ai vraiment découvert cette auteure dont je n'avais jamais entendu le nom. La femme était bien intéressante lors des débats. J'essaierai de la lire prochainement ...

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  6. J'ai bcp aimé Le bruit des autres. Merci pour ces extraits !

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    1. Ce sont des interventions orales que j'ai essayé de transcrire le plus fidèlement possible ...

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  7. J'ai beaucoup aimé cette journée aussi, même si je suis un peu frustrée de pas avoir entendu davantage certains auteurs : 5 intervenants dans un même débat c'est beaucoup je trouve...
    Quant au roman d'Amy Grace Loyd je te le conseille vraiment !
    Et ce fut un plaisir de faire ta connaissance !

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    1. Pour moi aussi !
      Ma journée de Dimanche à été très riche

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  8. On voit que tu as pris des notes ! Bravo pour ce compte-rendu qui me permet d'avoir une idée des conférences auxquelles je n'ai pas assisté. J'ajoute que je suis contente de t'avoir rencontrée !

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    1. Le plaisir fut partagé , même si la rencontre fut brève ... J'ai commencé à prendre des notes , car c'est pour moi toujours un bon moyen de mémoriser, eh oui...et puis ça a donné matière à un billet. Ce matin je repense en particulier à Kathleen Winter, qui m'a émue , vraiment

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  9. J'ai assisté à un dernier débat où Amy Grace Lloyd intervenait (ainsi que christopher Boucher, dont le bouquin est excellent quoique spécial, et j'ai pu papoter avec lui au salon à un moment où il était disponible), donc Amy Grace Lloyd parle bien le français (elle est modeste sur ce sujet) , a de l'humour, comme les autres avant moi je te recommande ce roman.
    A lire ton billet, je me replonge bien dans l'ambiance et regrette encore encore de ne pas avori le don d'ubiquité. trop riche, ce festival!
    A propos de hongrois, tu as lu Epépé?

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    1. J'ai lu les billets de Kathel et Athalie, ça a l'air d'être un drôle de truc !

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  10. Que de notes j'ai prises en te lisant! Après le billet de Kathel, le tien. J'aime ces comptes-rendus si enthousiastes et revigorants. J'ai beaucoup aimé aussi le livre de Jocelyne Saucier et compte bien découvrir Goolrick dans un premier temps. On connaît celui ou celle qui ont reçu un Prix?

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    1. oui , c'est Ayana Mathis qui a remporté le Prix des lecteurs de Vincennes , et Nickolas Butler le Prix Page /America

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  11. C'était la première fois que j'y assistais et j'ai adoré. Je n'ai assisté volontairement qu'à 2 débats (3 heures, quand même !) mais je me suis régalée. Je n'ai pris aucune note : tout est dans ma tête. Vivement dans 2 ans !

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    1. ...et cette fois ci on arrivera à se voir au passage ;)

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  12. On a beaucoup vu le roman de Jocelyne Saucier, les blogueuses l'ont beaucoup aimé. C'est dommage qu'il n'y ait pas de réseau dans les salles car ça complique les choses pour se retrouver.

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    1. ..mais oui!... Perso , j'y allais autant pour les rencontres " en vrai" que pour le festival lui-même . Pour une première fois ce fut une réussite et je m'en suis " fourré jusque là " (comme ds l'opérette ;)

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  13. J'aime bien ta référence à Offenbach...^_^

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  14. Cet air , et surtout ses paroles, me fait mourir de rire...

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  15. ah, la chance..j'aurais bien voulu y assister aussi..à la prochaine édition peut-être et peut-être qu'on s'y croisera! :)

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    1. Bonjour , Maitre Piccolo , êtes vous également un bloggueur ?
      Bienvenue ici dans tous les cas ...

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  16. Comme Keisha, grâce à ton billet, j'y retourne :-) Merci, tu me donnes l'occasion d'écouter les auteurs que je n'ai pas pu entendre, difficile d'être partout ^^. ( en attendant une prochaine occasion pour se croiser )

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    1. Absolument ! J'ai bien regretté qu'on n'y arrive pas ( pour l'instant;)

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  17. Il est très intéressant ton billet, vraiment c'est passionnant surtout pour moi qui suis totalement inculte en littérature américaine. Vraiment ça avait l'air top...je regrette juste que tu ne nous parles pas des coulisses et des rencontres avec les blogueurs, je sais que tu en as croisés quelques uns ;-)

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  18. Je suis sensée faire un second billet en forme de p.s ;)
    C'était bien régalant , en effet, toutes ces rencontres avec les auteurs, et les blogueurs en coulisse...

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  19. Tant de livres et d'auteurs à découvrir... Les auteurs américains savent être très touchants, ils ont une autre approche que nous (enfin, les Européens en tout cas) mais qui est souvent riche. Mais je ne les aime pas dans le fantascience! Pas du tout, ni le romantique "à la noix". Jim Harrison, Joyce Carol Oates, Louise Erdrich...

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    1. ...mais vous même vivez ou avez vécu aux USA si je ne m'abuse ?
      Beaucoup d'auteurs présents disaient avoir le sentiment d'être " mieux" lus ici , en France, que chez eux. Ils pensent qu'ici écrivain reste un métier qui fait beaucoup fantasmer , alors qu'en Amérique ce serait juste une industrie comme une autre . Certaines femmes comme Amy Grace Loyd ou Kathleen Winter ont raconté avoir rencontré des difficultés à se faire publier car on leur reprochait des sujets trop " féminins" , trop dans la sphère de l'intime . Et c'est vrai quand on y réfléchit, que le panthéon américain actuel célèbre surtout des hommes ( même si vous citez la très reconnue Mme Oates). Il est vrai que ce sont de superbes raconteurs d'histoire !

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  20. Ravie de t'avoir rencontrée. Et bravo pour le badge !

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  21. Mettre une tête sur un nom est toujours agréable ;-)
    As tu pu toi même suivre beaucoup de choses ?

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  22. Je suis triste de ne pas avoir pu y aller ! Les comptes-rendus sont alléchants. Peut-être la prochaine fois (l'espoir fait vivre)...

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    1. J'avoue, pour une première fois , c'était top . Bizarrement j'ai des préventions envers ce genre de grand raout, grand rassemblement , je me suis dit rétrospectivement que j'étais bien bête . La bonne surprise : ça n'était pas bondé comme je le craignais

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  23. cela avait l'air très sympa! Je crains souvent la foule dans ce genre de rassemblement, mais ça avait l'air supportable!

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    1. Tout à fait . Probablement ai je évite sans le savoir les rencontres les plus peuplées ( genre la violence en Amérique )
      Moi j'étais la dès 11h et c'est surtout en fin d'aprem que ça chauffait !
      J'ai adoré le coin " Magic Mirrors" , un chapiteau façon cirque mais très cosy dressé sur le cours Marigny . Je m'y sentais bien , j'y ai passé pas mal de temps sur ces deux jours et écoute de beaux échanges lors des tables rondes . Le dispositif est vraiment intéressant

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