jeudi 26 février 2015

" Un homme amoureux " de Karl Ove Knausgaard

Deuxième tome d'une autobiographie en six volumes (deux disponibles en français) 
Traduit du norvégien par Marie-Pierre Fiquet
778 pages , éditions Denoël

Si je précise ces éléments, c'est que l'entreprise de Karl Ove Knausgaard est un peu folle.
Et par ricochet celle de son lecteur .

J'avais levé une oreille en entendant parler d'un Proust norvégien ici ou là dans la presse, mais c'est définitivement Cuné qui m'a mise en appétit avec un billet très intrigant.

Un homme qui dit tout. Un de nos contemporains. Un scandinave. 
Qui se prend pour son propre sujet d'étude, sans complaisance ( ou bien ? )

J'ai attaqué directement au tome 2, je l'avoue.
"Un homme amoureux" c'est bien ce qui m'intéressait.
Je me suis laissé le temps de digérer avant de tenter de rédiger un billet.

Je ne suis pas encore sûre que j'ai aimé.

Non, car Karl Ove n'est pas toujours "aimable", en premier lieu.
Vraiment très égocentré, indifférent trop souvent, ennuyeux parfois.
Mais aussi honnête, excessivement honnête...

Fascinant à ce titre.

Karl Ove vit en Suède. Il est norvégien, ce qui lui vaut d'être considéré comme un plouc par les bobos de Stockholm, où se déroule l'essentiel du récit.
Lui-même n'est pas tendre en retour :

Quel pays de cons. Les jeunes femmes y buvaient de telles quantité d'eau qu'elle leur ressortait par les oreilles, elles étaient persuadées que c'était utile et pur mais ça n'avait pour conséquence que de gonfler les statistiques sur l'incontinence des personnes encore jeunes. Les enfants mangeaient des pâtes complètes, du pain complet et toutes sortes de riz complet dont leur système digestif ne pouvait profiter pleinement mais ça n'avait aucune importance car c'était utile, pur et bon pour la santé. Oh, ils confondaient nourriture et esprit. Ils croyaient qu'ils pouvaient être meilleurs en mangeant sainement sans comprendre que la nourriture est une chose et que les idées qu'elle suscite en sont une autre. Et si on avait le malheur de le dire, ne serait-ce que de l'évoquer, on était soit réactionnaire soit tout simplement norvégien, autrement dit quelqu'un qui avait dix ans de retard. (p.42)

Karl Ove K. peine souvent à trouver du sens à sa vie dans ces années-là, disons en tout cas que l'insouciance et la légèreté ne lui ont pas été accordées en partage ...

La vie quotidienne, avec son lot de devoirs et d'habitude, je l'endurais. Mais elle ne me réjouissait pas, je n'y voyais aucun intérêt et elle ne me rendait pas heureux. Ce n'était pas le manque d'envie de laver par terre ou de changer les couches mais quelque chose de plus profond que j'avais toujours ressenti : l'impossibilité d'y voir une quelconque valeur doublée d'une profonde aspiration à autre chose. Si bien que la vie que je menais n'était pas la mienne. J'essayais de la faire mienne, c'était mon combat, je le voulais vraiment, mais en vain, car mon envie d'autre chose vidait tout ce que je faisais de son contenu. (p.92)

Arghl ...si vous ne savez pas de quoi Knausgaard parle , vous êtes bénis du ciel et vous pouvez passer votre chemin (vous venez de vous économiser près de huit cent pages)
Pour les autres en revanche...

Mais tout n'a pas toujours été comme ça :

Même si j'ai beaucoup détesté mon époque je savais que la perte de sens que je ressentais ne venait pas d'elle car ça n'avait pas toujours été comme ça... En effet, au printemps où j'emménageai à Stockholm et rencontrai Linda, le monde s'était soudain ouvert à moi et son acuité s'était développée. Follement amoureux, tout m'était possible et mon bonheur, constamment à son paroxysme, englobait tout. Si , à ce moment-là, quelqu'un m'avait parlé de vacuité, je lui aurais ri à la figure car j'étais libre et dans le monde qui m'entourait, tout avait du sens : les trains futuristes qui passaient en clignotant à Slussen en contrebas de l'appartement, les splendides couchers de soleil, dont j'admirais tous les soirs la beauté tragique, digne du dix-neuvième siècle, et qui coloraient de rouge les clochers de Ridderholm, l'odeur du basilic frais et le goût de la tomate mûre ou les talons qui claquaient sur le pavé en descendant vers l'hôtel Hilton, une nuit où nous étions assis sur un banc, nous tenant les mains, persuadés que c'était nous deux, maintenant et pour toujours. (p.95)

Comme par hasard, ce sont les cinq sens qui sont évoqués dans cette reconstitution émerveillée. 
Se sentir vivre... c'est peut-être le seul moment, pour KarlOve -et tant d'autres-  où il est possible, momentanément, d'arrêter de chercher désespérément du sens, de débrancher le cerveau...

La paternité aussi sera vécue par KarlOve, loin du politiquement correct du moment :

Si j'avais voulu un autre ordre des choses, il aurait fallu que je le dise à Linda avant qu'elle soit enceinte : Ecoute, je voudrais un enfant mais je ne veux pas rester à la maison pour m'en occuper, ça veut dire que c'est toi qui doit le faire, ça te va ? Alors elle aurait pu dire non, ça na me va pas, ou oui, ça me va, et on aurait pu organiser notre avenir sur cette base-là. Mais je ne l'a pas fait, je n'ai pas été assez prévoyant et j'ai dû suivre les règles du jeu en vigueur. Et dans le milieu socioculturel auquel nous appartenions, ça signifiait qu'on assumait tous les deux le même rôle, celui autrefois attribué aux femmes. J'étais lié à lui comme Ulysse à son mât : je pouvais certes m'en délivrer mais pas sans perdre tout ce que j'avais. Et je déambulais, moderne et féminisé, dans les rues de Stockholm, alors qu'en moi bouillait l'homme du dix-neuvième siècle.
(p.122)

Quelques grincements de dents, peut-être ? Oui, mais il faut un certain courage aussi pour dire cela, non ? 
Une telle mise à nu ne m'a pas laissée indifférente pour ma part. 

Accouchement, crise de la quarantaine, éducation à la suédoise, ennui, émotions perdues, une grande amitié (avec Geir, encore moins "sympa" que KarlOve) et l'écriture, l'écriture... tout cela nous sera raconté dans le détail, jusqu'à l'écoeurement parfois.  

Ce qui devient lourd au fil des pages, c'est une narration bien plate qui ne "décolle" jamais. 
Normal, ce n'est pas de littérature qu'il s'agit dans ce projet, au fond .  
Mais, bon, Proust norvégien, on repassera, Monsieur Assouline ! L'exhaustivité ne suffit pas pour prétendre au titre...

On peut aspirer à la transparence en tant qu'auteur...l'entourage se retrouve lui aussi déshabillé sans avoir rien demandé (question souvent débattue, et qui, en soi, ne justifierait point que l'auteur s'auto-censure ) 
Mais on imagine aisément que cette narration ait pu faire du dégât dans l'entourage de K.O.K tant cette quête de restitution de "sa" vérité se heurte aux sentiments qu'il a pu nourrir ou inspirer. 
Je doute pour ma part que son mariage ait survécu sans dégâts à la parution du bouquin , par exemple.
Knausgaard , phénomène de librairie dans son pays ( 500 000 copies vendues, pour 5 millions d'habitants !) évoque ces sujets dans cet article.

Voilà, j'espère tout juste vous avoir fait deviner si ce livre est pour vous ...ou pas.
Je me sens un peu frustrée de ce billet que je trouve bien plat lui aussi !
Mais certains livres sont faits pour semer l'ambiguité et sortir de l'habituel J'aime/J'aime pas du prêt à digérer. 

Peut-être ce livre ne se laissera pas oublier...

J'attends vos réactions ! 


MIOR.



10 commentaires:

  1. Il a l'air fort sympathique en effet cet homme ;-) Je pense qu'avant de me lancer dans un tel pavé autobiographique, je vais lire Proust justement !

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    1. Bon , Proust c'est un peu la statue du commandeur j'imagine,pour tout auteur qui se lance dans sa propre recherche du temps perdu ! Ici, drôle de tentative qui peut intéresser ou agacer

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  2. Il est dans ma PAL, ainsi que la suite... J'attends l'été pour m'y mettre.

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    1. Il n'est pas difficile à lire quoique long ; mais je connais des blogueuses à qui il est tombé des mains ;-)

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  3. Je suis d'accord avec toi, la comparaison avec Proust n'a aucun sens et Knausgaard lui-même le dit.
    J'ai aimé sa franchise mais effectivement je me demande comment on peut gérer l'impact d'un tel livre sur son entourage. ça ne doit pas être évident. J'attends avec impatience le 3ème tome. Comptes-tu le lire aussi ?

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    1. Ce qui a gêné ma lecture c'est cette platitude absolue du style , du genre " je mets déjà mes tripes sur la table , je ne vais pas faire des effets de manche en plus"
      Pas sûre de suivre le gaillard dans la suite de ses aventures ... Quoique ?

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  4. J'avais un a priori très positif sur ce livre, grâce à Aaliz, qui en avait fait une pépite. J'avais plutôt retenu les circonvolutions d'un romancier, mais là je dois dire que tu me laisses perplexe. J'aime beaucoup les extraits que tu cites (celui sur la paternité est complètement savoureux), je trouve la démarche exigeante et courageuse, mais après arriverai-je à me passionner sur 700 pages autour de la vie et des états d'âme d'un homme? Honnêtement je n'en suis pas certaine, même s'il parle beaucoup de l'écriture...Je suis aussi incertaine que toi finalement.

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  5. Il raconte surtout comme il piaffe en attendant le moment d'écrire , coincé qu'il est dans sa vie de famille...
    Mon intérêt vient d'une certaine fascination pour les pays nordiques ( j'ai une amie suédoise rencontrée à Paris il y a plus de vingt ans, je suis allée deux chez elle en Suède, c'est beau comme dans une pub Timotei, tu sais le ponton branlant en bois sur le lac , avec la cabane pour faire le sauna , les bouleaux et les fraises des bois à foison , les enfants aux cheveux presque blancs qui courent pieds nus , la nuit qui ne tombe pratiquement pas en été ) la Norvège , entrevue en voyage , me laisse sans voix ...ma série préférée est sans doute Borgen...bref , je suis indecrotablement romantique quand on s'approche un tant soit peu du Cap Nord , c'en est ridicule ;-)
    Si tu n'as pas ce " travers" ça peut devenir plus difficile , cette lecture , j'imagine

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  6. Eh bien moi je suis très curieuse et ton billet -très bon- ne fait qu'attiser ma curiosité. Je me lance dès que j'ai un peu de temps!

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    1. Eh bien , merci , pourtant j'ai eu bien du mal à rendre compte de ce bouquin !
      Pour amateurs d'introspection ;-)
      Je ne garantis pas un plaisir de lecture " à coup sûr" sur ce pavé, comme tu l'auras compris
      ( peut-être ai-je eu tort de ne pas commencer avec le premier tome, je me serais peut-être mieux et plus attachée à KarlOve l'ayant connu enfant )
      Je te renvoie vers Cunéipage dont le billet rend bien compte du projet dans son entier

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Mior