dimanche 5 avril 2015

" Je suis fait ainsi " de Jack London

Je suis fait ainsiLettres à ses filles

Editions Finitude  (125 pages, 13€)
Ce qu'en dit l'éditeur :

Jack London avait deux filles, Joan et Becky. Il avait divorcé de leur mère alors que les fillettes avaient quatre et trois ans. Perpétuellement en voyage, c’est par ses lettres qu’elles apprennent à le connaître, à mesure qu’il se dévoile. C’est un père affectueux, mais exigeant, et certains passages cinglants attestent de son caractère explosif. Mais qu’il raconte des épisodes de son enfance, qu’il parle de ses livres ou du pouvoir des mots, de natation ou d’un devoir d’anglais, son style reste inimitable et éblouissant.
Ces lettres révèlent l’intimité d’un écrivain à la personnalité hors du commun et, par leur qualité d’écriture, elles constituent une œuvre véritable, inattendue et bouleversante.

Ce que j'en ai ressenti :
Lire une correspondance est parfois ingrat. 
Il y a des choses triviales, des choses qu'on aurait préféré laisser dans l'ombre -tout ce vilain lavage de linge sale entre ex-époux, par exemple- et puis il y a aussi quelqu'un , en filigrane, plus tout à fait un écrivain mais un homme qui vit sa vie, tout simplement.
Et ici un père qui cherche à maintenir du lien avec ses filles dont il est séparé suite à un divorce. C'est un père "moderne" qui souhaite (en 1903 !) rester impliqué dans l'éducation de ses enfants (en partie parce qu'il ne fait guère confiance à leur mère, qu'il trouve "narrow minded"...) mais aussi parce qu'il a de fortes convictions pédagogiques. 

"L'homme qui s'est fait tout seul " veut aider ses filles à grandir et aller vers ce qui compte vraiment. Et pas question d'apprendre le crochet en attendant un "beau" mariage.
Cela donne des missives parfois surréalistes ;  ainsi, à Joan, douze ans :
Choisis Français et Allemand et arrête Latin et Grec (comme nous l'avions prévu), puis attend que je puisse descendre en ville et que nous en parlions.
Souviens-toi, bien sûr, et rappelle-le  également à ta mère, que tu es ma fille aînée; que ta vie se joue en partie là; que je sais; que les professeurs d'anglais ne savent pas; et que la chose la plus importante au monde pour toi en ce moment est que tu puisses avoir cette discussion avec moi. Ca ne concerne pas ta mère; ni moi; mais toi et la valeur de toute ta vie future (souligné deux fois)
...Maintenant, Joan. Souviens-toi que le monde est peuplé de personnes importantes et de personnes insignifiantes. La population mondiale est presque entièrement  constituée de personnes insignifiantes. C'est un choix qu'il est difficile de te faire endosser à ton âge, et le risque est qu'en faisant ce choix comme je te l'ai demandé dimanche soir, tu fasses l'erreur de choisir de devenir une personne insignifiante, dans un lieu insignifiant dans une partie insignifiante du monde. Tu vas faire cette erreur parce que tu écoutes ta mère qui est une personne insignifiante, dans un lieu insignifiant dans une partie insignifiante du monde et qui, à cause de sa jalousie de femme vis à vis d'une autre femme, va sacrifier ton avenir. Si tu rejoins ta mère dans sa médiocre jalousie de femme frustrée, tu te condamnes à grandir dans l'environnement étroit d'une ville insignifiante appelée Piedmont, qui est peuplée de gens insignifiants. A l'opposé, je t'offre les choses importantes de ce monde; les choses importantes que vivent et savent et pensent et font les gens importants. Tu es maintenant une jeune femme. Tu vas devenir une femme à part entière. Ta formation durant les quatre ou prochaines années déterminera toute ta vie future(...) Le temps de la formation, c'est maintenant. D'aujourd'hui à tes dix-huit ans. Une fois formée, tu ne pourras pas plus te changer que le léopard ne peut changer ses taches.

C'est terrible, le poids que Jack London mit sur les épaules de son aînée...

(Joan London marchera sur les traces de son père: écrivain, féministe, elle devient une brillante oratrice, très engagée politiquement,et défend l'héritage socialiste de London. Elle aura d'ailleurs une correspondance suivie avec Léon Trotski dans les années 30. Elle travaille à Hollywood et fréquente les milieux du cinéma, se mariera à maintes reprises, tout en continuant à promouvoir l'oeuvre et les idées de son père par des conférences.)




Je me demande si ce court recueil ne s'adresse pas aux grands fans de Jack London et seulement eux . Il peut certainement paraître anecdotique voire irritant si l'on n'est pas tombé sous le charme du bonhomme avant. 

Mais on peut beaucoup pardonner à un père qui écrit :

J'aimerais t'apprendre à nager, mais je peux difficilement le faire par correspondance 

Non ?

MIOR.

Je remercie chaudement Kathel de "Lettres Express" qui m'a si gentiment envoyé ce bouquin ! 

L'avis de Brize (qui n'aime guère) et de Choco (qui aime beaucoup) très bien argumentés dans les deux cas ;-)



7 commentaires:

  1. Je trouve ça magnifique, autant le propos que l'extrait que tu mets concernant sa fille Joan. Punaise même maintenant, il ne sont pas légion les pères qui s'intéresseront à ce point à leurs filles, qui veulent en faire quelqu'un qui ne soit pas insignifiant. Je suis saisie par la modernité de London en tant que père, et je suis vraiment touchée par ce qu'il écrit à sa fille de 12 ans, mais c'est tellement vrai, que ces choix là déterminent toues les autres, et l'arc de prendra notre vie après. Et je crois que c'est d'autant plus vrai en 1903.
    Visiblement, c'est le mode épistolaire qui t'a gênée, je peux le comprendre, moi aussi ça me désarçonne et j'en lis très peu. (j'adore ta dernière phrase "on peut beaucoup pardonner à un père qui écrit")

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    1. Galéa, ce livre ira volontiers se balader sur la Croisette , maintenant ;-)
      London est un père magnifiquement concerné , mais dur et injuste parfois, très haineux envers sa première épouse .
      C'est ce qui peut gêner le lecteur impuissant ! Voilà pourquoi il faut bcp aimer J.London pour apprécier, je crois , cette lecture ( fort courte au demeurant comme le note Brize)

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  2. Ces lettres sont à lire, pour qui veut connaître l'auteur, mais ce n'est pas une lecture enthousiasmante... instructive sur les rapports père-fille de l'époque, tout en se disant que Jack London ne devait pas être un père classique.

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    1. Tu résumes très bien toute l'affaire, Kathel !

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  3. Oui je pense qu'on peut être déçu de découvrir la personnalité d'un auteur qu'on adore ... J'adore J.D Salinger et lire un témoignage sur sa personnalité, son sentiment de supériorité intellectuelle, sa misanthropie, ça peut un peu refroidir.

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    1. Ici je voulais dire l'inverse : c'est parce que j'aime Jack London, de toute façon, que je supporte de voir l'homme London , petit parfois, humain , trop humain...

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    2. Oui, comme moi avec J.D Salinger, même si j'ai découvert l'homme après l'auteur, il reste mon préféré ;-)

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Mior