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mercredi 11 mars 2015

" Sept années de bonheur " d'Etgar Keret

Editions de l'Olivier. 196 pages, 18€. Sortie poche le 4 Juin prochain ;-)




Etgar Keret est un écrivain israélien né en 1967 de parents polonais survivants de la Shoah.
Voilà, ça commence comme ça un billet sur un auteur hébreu.
Filiation, Histoire, histoires.
Etgar Keret est un écrivain à succès dans son pays, mais pas seulement.
Dans ces chroniques intimes que sont "Sept ans de bonheur" , il est souvent en train de monter ou de descendre d'un avion. 
Pour la Pologne, la Suède, l'Italie, la Suisse ou la Thaïlande.
Il a même une carte "Frequent Flyer Gold Club" 

" Je te conseille de ne montrer ça à personne, ma femme a lancé .
- Et pourquoi donc ? j'ai rétorqué. Cette carte montre que je suis membre d'un club très huppé.
- T'as raison, elle a répondu avec ce sourire de hyène qu'elle sait si bien prendre. Le club huppé des gens qui n'ont pas de vie 


Ouah , ça clashe des fois chez les Keret. 
Comme avec les chauffeurs de taxi, scène récurrente et hilarante -ben oui, en Israël aussi ils sont insupportables apparemment.
Mais c'est pour de rire. Il y a un ton qui ne laisse aucun doute. Ironie , humour juif si l'on veut.

"Maintenant que tout est arrangé, vous pourriez peut-être nous expliquer ce que cette fête a de si particulier" a suggéré mon jeune éditeur suédois. Et je me suis donc retrouvé, l'estomac plein de pommes de terre en salade et de bière à la pression, à tenter d'expliquer à quelques Suédois férus de littérature et à moitié soûls ce qu'est Yom Kippour.
Les Suédois m'ont écouté, ébahis. L'idée d'une journée pendant laquelle aucun véhicule à moteur ne circule dans les villes, d'une journée où tout le monde va à pied en laissant son portefeuille à la maison et où tous les magasins sont fermés, une journée sans télé et même sans mise à jour sur les sites web -tout cela évoquait plus pour eux un concept novateur à la Naomi Klein qu'une fête juive remontant à la plus haute antiquité.


On sourit souvent , on rit parfois. Mais on s'émeut aussi avec de très beaux portraits de famille. En particulier quelques pages magnifiques dédiées au grand frère adoré, éperdument admiré depuis toujours. Voilà qui nous change du "famille je vous hais" habituel, ça fait du bien au fond.

Quand je tente de reconstruire ces histoires que mon père me racontait voilà tant d'années, je me rends compte qu'au delà de leurs intrigues fascinantes, elles étaient destinées à faire mon éducation. A m'apprendre quelque chose du désir non pas d'embellir la réalité, mais de ne jamais renoncer à trouver un angle qui mette la laideur sous un meilleur éclairage et suscite affection et empathie pour les verrues et les rides de son visage ravagé.

Voilà dix neuf ans, dans une petite salle des mariages de Bnei Brak, ma grande soeur est morte, et elle vit maintenant dans le quartier le plus orthodoxe de Jérusalem.
...L'idée que ma soeur ne lira jamais une seule de mes nouvelles me désole, je l'avoue, mais le fait que je n'observe pas le shabbat et que je ne mange pas casher la désole, elle, encore bien plus.

Il y aussi la vie à TelAviv, l'éducation du fils, tout à fait trognon, qui suscite un jour une grande querelle de couple : fera-t-il l'armée quand le temps viendra, dans une quinzaine d'années ?

Et puis des peurs et des malaises, inévitablement. On en revient forcément à ça, même quand on est une sorte de Woody Allen israélien à succès qui a fait bâtir la maison la plus étroite du monde (un mètre vingt, ça n'est pas une blague) à Varsovie . C'est une histoire stupéfiante :

Ma mère regarda l'image simulée pendant une fraction de seconde. A ma grande surprise, elle reconnut immédiatement la rue; l'étroite maison serait construite, par le plus grand des hasards, à l'endroit précis où un pont reliait le petit ghetto au grand. Quand ma mère rapportait en fraude de quoi nourrir ses parents, elle devait franchir une barrière à cet endroit, gardée par un peloton de nazis. Elle savait qu'en se faisant surprendre avec une miche de pain elle serait exécutée sur le champ.

Le cliché d'Etgar Keret est pris dans cette maison.

Rien de tel que quelques jours en Europe de l'Est pour faire resurgir le juif en nous (...) Depuis le jour de ta naissance en Israël, on t'a enseigné que l'histoire de l'Europe, jusqu' au siècle dernier, n'avait été qu'une série de persécutions et de pogroms, et malgré les protestations raisonnables du bon sens, les leçons de cette éducation continuent de couver comme un foyer infectieux quelque part dans tes tripes. C'est une impression désagréable dont on s'arrange toujours je ne sais comment pour trouver une confirmation dans la réalité. Oh, rien de grandiose, ainsi que me l'a rappelé un voyage en Europe de l'Est la semaine dernière ; ce n'est pas un cosaque qui viole ta mère ou ta soeur. Cela peut prendre la forme propos apparemment anodin, entendu dans la rue, d'une étoile de David taguée au-dessus d'un slogan douteux sur un mur délabré, à la manière qu'a la lumière de se refléter sur la croix de l'église qui se dresse face à la fenêtre de l'hôtel, ou encore la façon dont la conversation d'un couple de touristes allemands résonne sur le fond d'un paysage polonais embrumé.

Eh oui, ça finit comme ça un billet sur un auteur hébreu.

Je viens de passer de passer deux jours très agréables avec Etgar Keret. C'était ma première fois.  

Un franc plaisir de lecture , mais je savais qu'il fallait que je rédige vite de mon côté car le côté tranches-de-vie, pour plaisant qu'il soit, n'en présente pas moins un risque ardoise-magique.

MIOR