mardi 24 juillet 2012

J'apprends l'hébreu , de Denis Lachaud

aux Editions Actes Sud
 


Après " J' apprends l'allemand " , publié en 1998, disponible en Babel , et que j'avais beaucoup apprécié , Denis Lachaud poursuit sa drôle de petite méthode Assimil.


" J' apprends l'hébreu " est un livre un peu étrange au premier abord ; on y suit un jeune homme de 17 ans, Frédéric, très perturbé , ayant perdu le sens de la communication avec son entourage familial et ressentant de graves désordres du point de vue de la parole ( il est par exemple obligé d'enregistrer ce qu'on lui dit sur un dictaphone afin d'avoir un "filtre" qui lui permet d'entrer en contact avec les autres)


Il vient d'emménager à Tel-Aviv , après Berlin ou préalablement Oslo : la famille suit le père dans ses affectations professionnelles.


C'est un monde neuf , et il y a l'espoir , à travers l'apprentissage d'une langue tout à fait différente de celles qu'il a pu connaitre jusque là, de se créer un monde nouveau , un monde dans lequel il pourrait trouver sa place...


Leçon après leçon, je découvre la structure de la langue, j'apprends ce qui structure la nation qui la parle. Aujourd'hui , le livre me révèle qu'en hébreu, le verbe être ne se conjugue pas au présent.
Etre, au présent, ça n'existe pas , non.
On peut être au passé, on peut être au futur, mais pas au présent.
L'hébreu est la langue qui sait qu'on ne peut pas être au présent.On peut penser, manger, dormir mais pas être. Tous ces gens que j'observe dans la rue étaient, seront, mais ils ne sont pas et ils le savent. C'est ainsi qu'ils vivent.
Désormais je ne suis pas.
J'étais et je serai.
Au présent, je me contenterai de devenir.
ça change toutes les perspectives.
Apprendre une langue m'a toujours permis de découvrir comment je dois regarder le monde dans lequel je vis.



Frédéric interviewe les gens dans la rue en leur demandant quel est leur territoire . La question est diversement interprétée, mais les réponses sont intéressantes !
 C'est un paradoxe de bien des personnes "border-line" , que si elles ressentent de graves difficultés à communiquer, elles ont toutefois un grand talent pour aller à l'essentiel , parler vrai  et plus encore "faire parler vrai" 
 Frédéric se lie  aussi d'amitié avec de vieilles personnes , ses voisins , avec qui il a des échanges riches sur le pourquoi et le comment du fait de venir s'installer en Israël. C'est un aspect intéressant du livre. Ce pays est tellement particulier 


En revanche , dans le cadre familial , la parole est conventionnelle et stérile. La mère cherche maladroitement à garder le contact, le père a beaucoup plus de mal encore. Le petit frère est "le meilleur ennemi" incarné.


Je vais de plus en plus mal.
Je ne vois plus à l'intérieur des gens comme avant.
Je parviens toujours à entrer en eux mais ce que j'y vois ne me parle plus vraiment . Je me souviens encore de ce qui se passait, j'entrais à l'intérieur de la personne à laquelle je m'intéressais et il y avait une fontaine qui coulait de cette personne à moi, une fontaine de mots, les mots qui disaient ce que je voyais .
C'est presque fini.
Par exemple , j'ai du mal à entrer à l'intérieur de ma mère depuis la fin de l'hiver, alors que ça ne posait aucun problème avant. Désormais,c'est tout aussi compliqué que d'entrer à l'intérieur de mon père .
Car j'ai toujours éprouvé beaucoup de difficultés à entrer à l'intérieur de mon père. Il est là , devant moi , j'essaye d'entrer et à ce moment-là il s'efface. Il est là sans être là , son intérieur est ailleurs.
Il y a quelque chose de problématique en ce qui concerne les individus de sexe masculin dans cette famille.
Mon petit frère , impossible d'entrer; mon père , compliqué. Je ne comprends pas pourquoi car, dans la rue, les hommes s'offrent autant que les femmes à mon introspection. J'entre et je sors à volonté.


Je ne vous raconterai pas plus l'histoire, afin que vous gardiez l'envie de la découvrir à votre tour .


J'ajouterai que d'habitude je suis assez gênée par le procédé qui consiste à faire parler des personnes "dérangées"  -je trouve cela indiscret autant qu'arbitraire et peu convaincant-  mais il y a ici beaucoup de respect dans le regard que l'auteur porte sur son personnage.
La façon dont il le fait s'exprimer et se comporter sonne vrai.
Nous, lecteurs, rentrons en contact avec Frédéric...


On peut penser à "Suzanne la pleureuse" d'Alona Kimhi, qui se passe dans ce même cadre israélien contemporain.


Un livre "différent" et très sensible.


Mior







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