Cette photo floutée qui figure en bandeau sur le livre attire l'oeil, vraiment.
Parce qu'on a vu des clichés récents,on croit reconnaitre l'auteur au second plan.
Serait ce une photo personnelle qu'Isabelle Monnin et sa soeur (?) auraient prêté ?
Sourires, soeurs, flou d'une photo bougée, car la vie ça bouge, par définition.
La mort, elle, glace, fige, arrête le mouvement et les sourires. Le flou prend un tout autre sens. Le chagrin se dépose comme une couche de givre sur toutes les actions , toutes les pensées.
Pour un temps. Normalement.
Mais pas là.
Rosa est morte, elle avait vingt-six ans, et sa soeur, Lilas ne s'en remet pas .
Pire, ne VEUT surtout pas s'en remettre.
Rosa était l'unique horizon de Lilas.
Elle lui suffisait et personne ne put jamais vraiment rivaliser (...) Elle aura été la soeur de Rosa, plus sûrement encore qu'elle fut ma mère, la femme de mon père ou la fille de ses parents
Bien sûr , le contexte est atroce : Lilas vient de donner le jour à une petite fille, prénommée Daffodil, seulement quinze jours avant.
C'est Daffodil qui sera la narratrice de ce deuil impossible.
C'est ainsi que l'on comprend le sens du mot "irréversible". S'assoir et regarder le désastre. (...)
Ma mère n'a pas la force de balayer les débris de son enfance, elle laisse les poussières de la dévastation tout envelopper, de temps à autre mon père passe un coup d'éponge, mais bientôt la cendre recouvre tout et sa tête bourdonne des insectes qui viennent se repaître des déchets .
Il ya les proches , les vrais amis : Jean qui était le compagnon de Rosa, Seymour qui est celui de Lilas, et Barthélémy Hyrriée , l'ami écrivain , brillant et libre . Avec eux , on essaye de partager la douleur. Pendant un temps.
Je me suis souvent demandé ce que Hyrriée avait pu trouver à mes parents. Ma mère disait qu'ils formaient une sorte de famille tous les cinq, une famille de déracinés qui fête ensemble Noël et les anniversaires, qui part en vacances et passe ses dimanches ensemble, c'est peut-être juste cela.
Et puis Lilas va découvrir une correspondance, l'évocation d'un secret . Dont Lilas ne sait rien, pour la première fois. Vertige . Incrédulité. Déni. Et une sorte de fixation morbide commence , après un an de deuil qui n'a rien adoucit , au contraire. Réaction hystérique? en tout cas elle va dès lors s'enfoncer dans une sorte d' "hyper-deuil"
Lilas va définitivement investir ce deuil comme SA (seule) raison de vivre.
Et réaliser des projets de plus en plus fous :
L'idée est simple : elle veut écrire un livre qu'on mettra autant de temps à lire que Rosa a vécu. Il s'agit de reconstituer aussi précisément que possible chaque minute de la vie de ma tante, soit 26 années, 97 jours, 16h heures et 30 minutes. Chaque fois que quelqu'un commencera à lire Le Livre de Rosa, pense ma mère, la vie de sa soeur se trouvera prolongée d'autant. Ainsi Rosa vivra éternellement dans les yeux de ses lecteurs. On a les immortalités qu'on peut.
Pendant ce temps , Seymour, impavide, élève Daffodil, seul, très seul certainement, mais indéfectiblement solidaire de sa femme.
Les grands-parents semblent rebondir , recommencer à vivre un peu, ils quittent la maison de famille, alors même que Lilas investit l'ancienne usine usine familiale pour y construire un véritable mausolée du Souvenir.
Elle crée enfin une Fondation qui récompense tous les ans d'un "Prix Rosa" une oeuvre permettant de mieux connaître la vie de celle-ci, sous toute sorte d'angles.
Très rapidement celui-ci a acquis une forte notoriété et son verdict est attendu chaque année avec intérêt. De plus en plus nombreux, des artistes, des architectes, des chercheurs en toutes disciplines présentent des dossiers et espèrent séduire le jury confrontés parfois à des choix impossibles: entre une recherche sur la mort subite par crise cardiaque et un artiste proposant de constituer une bibliothèque de rires, comment trancher?
Pour moi , à ce moment-là , il y a eu un tournant : j'ai (enfin) réussi à m'abîmer dans la folie de Lilas, qui finit dans sa démesure même à faire oeuvre , et à re fréquenter la vie à travers la création artistique et l'animation de l' entreprise qu'est devenue la Fondation (qui emploit des permanents, établit des contacts de par le monde entier et déclenche des recherches qui feront dates).
J'ai trouvé toute la fin assez fascinante.
Des développements inattendus relancent l'intérêt.
Les relations avec les deux grands amis se modifient, ces altérations sont finement décrites. C'est d'un livre que viendra le coup de grâce , car en fait , qui possède la vérité sur Rosa ? Qui pourrait posséder la vérité sur Rosa ?
Il y a une impression de grand crescendo , et à la fin tout fait sens, en quelque sorte.
Pour moi vraiment, contrairement à pas mal de blogueurs, c'est seulement en deuxième partie du livre que je me suis sentie réellement intéressée et même captivée par cette histoire sombre. La conclusion est bien menée, ce qui n'était pas évident.
On peut y voir une parabole sur l'utilité de toute chose, y compris la mort.
On peut s'agacer de certaines facilités ( Seymour est riche à millions, ce qui rend tout ceci possible ) ou plaindre Daffodil jamais préférée au fantôme de sa tante, pour cela détester Lilas et avoir envie de la secouer comme un prunier pour qu'elle-même reprenne vie, mais ce livre qui a le courage de parler du deuil et pas seulement en passant est certainement utile et singulier.
Je pense qu'il "résonnera" très fort pour certains lecteurs, qui seront bouleversés.
En revanche il ne m'a pas toujours convaincue du point de vie du style, inégal, certaines affêteries m'ont agacée (cette famille où toutes les filles portent des noms de fleurs et les garçons des noms d'arbre...) et je n'ai pas beaucoup aimé la construction (les scènes qui ouvrent chaque chapitre, chez le notaire, sont un peu artificielles)
Je l'ai lu dans le cadre du PRIX ELLE.
MIOR
Ce livre a l air vraiment particulier... Je pense aussi que c est l auteur sur la photo...
RépondreSupprimeron dirait n'est ce pas ?
RépondreSupprimerFinalement elle n'aura pas passé le barrage de la pré-sélection pour ELLE, il faut dire que nous avons eu trois plutôt bons opus