samedi 27 décembre 2014

" Constellation" d'Adrien Bosc




Il y a des livres qui ne mangent pas de pain.
Ce qui ne veut pas dire qu'ils soient indignes, ni même inintéressants. 
Sujet "facile" et traitement itou. 
C'est tout.

De ce point du vue là , l'accident d'avion c'est pain béni.
Accident de la route égale sang , corps broyés, trivialité. Accident d'avion égale souvent désintégration dans les airs -tout de même moins gore- mystère et fatum.
Infiniment romantique. 
Eh bien oui, ceux qui ont raté cet avion où au contraire fait des pieds et des mains pour l'attraper, par exemple... cela nous laisse rêveurs, vaguement philosophes, c'est l'infini à la portée des caniches , comme disait l'autre.

Dans "Constellation" , Adrien Bosc s'attache aux destinées des quarante et quelques passagers qui avaient le 27 Octobre 1949 embarqué sur l'avion du même nom, disparu corps et bien au dessus des Açores.
L'accident est resté dans les esprits car à bord il y avait une grande vedette française, qui partait à New-York reconquérir son titre et le coeur de la Môme Piaf, Marcel Cerdan bien sûr.
Ce que le grand public sait moins c'est qu'il y avait également une extraordinaire artiste, une très grande violoniste dont on peut pleurer la mort à trente ans alors qu'elle était clairement en train de s'inscrire dans la lignée des grands interprètes du 20ième siècle. 
Je l'écoute en vous écrivant et j'en ai des frissons dans le dos.
Ginette, c'était quelqu'un. 
Ginette Neveu.

De cette conjonction en elle-même étonnante -deux passagers si connus sur un groupe somme toute restreint- Adrien Bosc s'est passionné au point d'enquêter de façon apparemment assez sérieuse, détricotant les destinées emmêlées des victimes et recherchant par exemple le fils américain d'un des passagers :

J'avais écrit au hasard et finalement je ne m'attendais pas à le trouver si rapidement. Et d'ailleurs, en me relisant, j'avais un peu honte. Abrupt, je le sollicitais sans réelle précaution, n'imaginant pas une seconde l'étrangeté, soixante-quatre ans après ce qui fut sans nul doute le drame de sa vie, de l'objet de cet email ; "Ernest Lowenstein". Il y avait un côté chacal, journaliste justement.

D'aucuns ont décrit son ouvrage comme un long article d'esprit journalistique -comme ici Galéa dans une  critique vacharde mais argumentée-  je ne serai pas aussi sévère : j'ai pris plaisir à cette lecture, et l'effet mystérieux-accident-d'avion a marché à fond pour moi. 

Ce que met en relief Adrien Bosc , c'est que tout itinéraire interrompu par une mort accidentelle et cruellement précoce prend un caractère épique de facto. 

Et c'est vrai que tous les passagers semblaient avoir quelque chose de spécial : deux jeunes basques qui émigrent ainsi qu'une jeune ouvrière française partie exporter son expertise, des couples séparés au moment de se rapprocher, un homme parti solder ses comptes américains à la demande expresse de son épouse, une femme qui retourne chercher ses enfants après être venue régler une succession en France, un militaire ayant bravé bien des dangers, ceux qui auraient dû prendre l'avion -Etienne Vatelot, le luthier parisien- ceux qui n'auraient pas dû le prendre, Marcel en l'occurrence, qui pressé par la hâte amoureuse d'Edith Piaf , renonça à une traversée en paquebot , jugée trop lente  ... 

Hasard et fatalité.
Il n'y a pas que Ginette et Marcel , somme toute, dans cette affaire. 


Exactement à la même heure, ce soir du 8 Novembre 1949, salle Gaveau, et pour la première fois à Paris, la cantatrice anglaise Kathleen Ferrier donne un récital. Et l'incomparable voix de Klever Kaff résonne comme une messe de requiem dans la salle de concert. Magie de la synchronicité, deux femmes prodiges, l'une violoniste, l'autre contralto, réunies par la coïncidence d'une date, se répondent de profundis. L'occurrence simultanée de ces deux évènements qui ne présentent aucun lien de causalité, l'arrivée des dépouilles du F-BAZN à Paris et le récital de la chanteuse anglaise ce même soir, à la même heure, prend la forme d'un de ces nombreux hasards objectifs, omniprésents, invisibles à nos yeux jusqu'à leur rapprochement, tout comme ces astres scintillants dans le ciel agglomérés en constellation par l'oeil et l'esprit. Des points numérotés et reliés d'un cahier de coloriage. Coïncidence forcée ou force du destin, nul ne sait, sinon qu'à ce jeu des dates les plus incroyables associations naissent.





Précisons enfin que cet ouvrage a reçu le prix de l'Académie Française, ce qui , ouf , relève le niveau après la calamiteuse distinction de "L'affaire Harry Québert" l'an passé. 
Là, c'était indigne (ne serait-ce que d'un point de vue grammatical)

MIOR.

10 commentaires:

  1. Je ne suis pas sûre de savoir si tu as aimé !? Je le note quand même. Ma soeur l'a lu et aimé.

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    1. ah zut , je pensais avoir été plus claire que ça ;-)
      j'ai aimé tout en pensant que ce n'est pas un livre très puissant
      oui, c'est un peu ambigu, au fond ...

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  2. Drôlement chouette ton billet. Effectivement, tu es moins sévère que moi, je dois reconnaître qu'il m'a vraiment manqué un fil rouge, quelque chose de romanesque qui me paraît être un minimum dans un roman. Mais tu as raison, tout n'est pas à jeter c'est vrai...rien que pour Ginette Neveu, il a le mérite d'exister.

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    1. merci ( je préfère le tien , lol, plus fouillé !)
      Clairement pour moi ce n'est pas un roman , mais une enquête , un récit ; c'est à ce titre qu'il m'intéresse et m'émeut .
      Je ne savais aucuns détails de cette affaire , alors rien que pour Ginette , tu comprends ... (c'était la première femme à faire une grande carrière de violoniste , dans le fond , c'est notre sainte patronne ! )
      C'est éminemment romanesque toutes ces histoires réunies , mais ça ne fait pas un roman, on est d'accord.
      Pour moi qui ai un goût pour les listes , les énumérations , les "hasards" improbables , ça marche (ça pourrait PRESQUE avoir un faux air modianesque , tu ne trouves pas ? ((ouais c'est de la provoc, là....)) !)

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  3. Déçue par le côté trop hétéroclite de ce livre dont j'attendais beaucoup.... en revanche tout ce qui concerne le "hasard-objectif" m'a bcp intéressée, mais c la toute fin du bouquin- p@sc

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    1. oui, un peu comme dans les premiers bouquins de Paul Auster, où des hasards invraisemblables semblent avoir valeur de nécessité ...Etonnant de ce point de vue là, les destinées de ces passagers , beaucoup sont porteurs d'histoire fortes ; et puis deux vedettes - de monde fort différent- sur si peu de passagers , c'était tellement improbable...

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  4. Cela n'a pas l'air trop mal écrit, à lire les extraits... Je ne l'achèterai pas, c'est sûr, mais je en suis pas contre un emprunt en bibliothèque !

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    1. oui oui ça se tient , même si il n'y a pas d'histoire à proprement parler, ce qui semble avoir gêné beaucoup de monde. Curieusement ça ne m'a pas du tout perturbée ; il faut dire que la violoniste en moi était émue en repensant ainsi à Ginette Neveu, grande grande dame , d'une intensité de jeu incroyable (ça se sent , n'est ce pas , dans cette courte vidéo ?)

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  5. J'ai vraiment aimé la manière dont il traitait cet évènement, effectivement hasard et fatalité s'y entremêlent et donnent une résonance particulièrement à ces destins.

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    1. j'avais lu beaucoup d'avis assez négatifs, et ai été plutôt agréablement surprise, dans le fond .

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Mior