samedi 6 décembre 2014

" Hérétiques " de Léonardo Padura

Il y a ce titre qui claque , ce beau volume imposant, et surtout cette photo qui vous happe en couverture pour ne plus vous lâcher...




Première incursion dans le monde de Leonardo Padura, qui écrit des polars mâtinés de romans historiques, le tout dans une sauce cubaine bien relevée. 

Six cent pages tout de même...
ça a tout l'air d'un page-turner mais j'ai mis beaucoup (trop?) de temps à le lire.


Dès le départ, on se dit que ce serait bien de pouvoir lire dans le texte : en espagnol, ça doit sonner, claquer, avec une rapidité d'élocution digne d'un film d'Almodovar. 

Ce qui semble terriblement bavard en français doit passer du côté survolté en espagnol, cette langue si électrique.     



                                                                                                                                    Le livre pourra passionner à juste titre ceux qui s'intéressent à la grande Geste du peuple juif. 
Scène d'ouverture : dans le port de la Havane,le 27 Mai 1939, arrive le Saint-Louis, paquebot parti de Hambourg quinze jours auparavant, avec neuf cent trente sept juifs à son bord, autorisés à émigrer par le gouvernement national-socialiste allemand. 
Sur le quai , le petit Daniel Kaminsky , huit ans, déjà exfiltré à Cuba sous la protection de son oncle Joseph . 
A bord , son père , sa mère et sa soeur. 
Ils n'arriveront jamais à débarquer.
Les représentants cubains mêlant l'appât du gain à la corruption la plus éhontée, n'arrivant à dégager assez de profit dans cette affaire, renverront ces pauvres gens vers l'enfer dont ils croyaient s'échapper . 
L'épisode est historique et calamiteux (voir ici)

Sur cette base avérée, Padura bâtit une intrigue mêlant un tableau volé, un jeune juif hantant l'atelier de Rembrandt dans les années 1640, hérétique au regard de l'interdiction de représenter le visage de Dieu -et partant, encore plus de cet improbable prophète se disant messie- des pogroms en 1648 en Europe, un héritier des années 2000 souhaitant avant tout connaître la vérité sur sa lignée, avec pour guide Mario Conde, ex-flic cubain vivant de combines un peu improbables et carburant à l' amitié et au rhum. 

Cela a l'air confus ? Oui, ça l'est un peu ...

La première partie -Le Livre de Daniel, deux cent pages- tourne autour de la famille Kaminsky et du drame du St Louis ; je me passionne , j'apprends des choses, je tique un tout petit peu sur le mélange tragédies de l'histoire et enquête, mais à ce stade mon volume est hérissé de post-it et mon intérêt vif , même si j'ai du mal à ingurgiter plus de trente pages à la fois .

Bon , c'est l'hiver , il fait froid et je piquerais du nez de toute façon, même s'il n'y avait
 ces phrases longues et alambiquées qui "font grumeau" et alourdissent la lecture ? 

Dans la deuxième partie -Livre d'Elias, cent cinquante pages- retour à Amsterdam, 1645, ambiance "jeune fille à la perle" ou plutôt "jeune homme à l' huile de lin". 

Elias veut peindre, à force d'opiniâtreté il arrivera à faire éclore son talent et produire cette toile signée Rembrandt ( comme le maître le faisait quand le travail de l'élève était excellent) qui sera trois siècles plus tard le viatique de la famille Kaminsky dans son errance. 

Ce livre est poétique et ne manque pas de charme . Encore des post-it.

Le troisième livre -Judith, plus de deux cent pages- nous ramène à Cuba et à la contemporanéité : les difficultés des cubains à s'en sortir, leur dignité, la tentation de fuir vers la Floride, la jeunesse qui plus qu'ailleurs peut-être peine à trouver du sens à sa vie et se tourne  vers des mouvements mêlant un fond de punk-isme avec un folklore de type manga (les "émos" , j'avoue , je ne connaissais pas )

Et toujours la quête du tableau dérobé, et la quête de vérité, l'orthodoxie et l'hérétisme, mais là zut , plus de post-it, c'est trop .
Bizarre , ce livre qui va decrescendo .
Dommage même car il y a de très bons moments, un ton, une truculence  et un humanisme réjouissants. 

Padura a un coeur gros comme ça, son Colombo alter ego aussi sans aucun doute.
Mais quelque chose n'a pas tout à fait fonctionné pour moi, alors même qu'au début de ma lecture j'ai pensé que j'allais enfin avoir quelque chose à promouvoir au rang de pépite chez Galéa .

Caramba , encore raté...



Extraits :

...cette capacité des cubains à vivre chaque situation comme s'il s'agissait d'une fête lui semblait une façon beaucoup plus amène de passer sa vie sur terre et d'obtenir de ce transit éphémère le meilleur de ce qu'il pouvait offrir. Là, tout le monde riait, fumait, buvait de la bière, même durant les veillées funèbres ; les femmes, mariées, célibataires ou veuves, blanches ou noires, avaient une démarche cadencée et perverse et s'arrêtaient en pleine rue pour bavarder avec des connaissances ou des inconnus ; les Noirs gesticulaient comme s'ils dansaient et les Blancs s'habillaient comme des proxénètes. Tous, hommes et femmes, se regardaient dans les yeux. Et même quand les gens s'agitaient frénétiquement, en réalité personne ne semblait avoir une raison de se presser
...
Tu sais , si être juif a pu avoir un sens, c'est justement celui d'être un autre, une façon d'être autre qui, même si bien des fois elle n'a pas fonctionné pour les juifs, a survécu à trois millénaires de harcèlement. Et c'est que les nationaux-socialistes allemands désiraient le plus : être autres et éternels, avoir un sentiment d'appartenance à une communauté aussi fort que celui des juifs ... Et pour y parvenir, ils devaient les faire disparaître de la face de la terre.
...
Pendant des années , j'ai même réussi à enterrer les douleurs du passé et à vivre en regardant vers l'avant, seulement vers l'avant. Ce qui est pénible, c'est qu'au moment où tu t'y attends le moins, même ces douleurs que tu croyais avoir surmontées sortent un jour de leur fosse et te touchent l'épaule. Alors tout peut foutre le camp, même le bonheur, et après ce n'est pas facile de le récupérer
...
Le fait que, dans l'ambiance permissive d'Amsterdam, de plus en plus d'Hébreux se mettent à distinguer, ou à prétendre distinguer, les domaines de la religion de ceux de la vie privée  était -au dire des orthodoxes- un gigantesque péché teinté des couleurs de l'hérésie : oui, le judaïsme était une religion, mais aussi une morale et une règle, il devait donc régir chaque de l'homme, aussi minime fût-il et en apparence aussi éloigné des préceptes religieux, car tous ces actes, d'une façon ou d'une autre , étaient réglementés par la Loi
... 
Il posa  la lettre sur le défunt poste de télévision russe qu'il ne se décidait pas à jeter et, sentant le poids de la nostalgie ajouté à celui de ses frustrations les plus criantes et les plus tenaces, il se dit que le meilleur moyen de supporter cette conversation inattendue était de l'arroser d'alcool

Tiens , oui, un petit godet , je l'ai bien mérité , non ?

MIOR






8 commentaires:

  1. Alors, ce petit godet ? Pour le livre, je passe mon tour ... ;-)

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    1. je peux te dire qu'il s'écluse quelques bouteilles de rhum dans ce bouquin ...

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  2. Tu me donnes envie de reprendre mes notes et de faire un billet. ..J'ai aimé plus que toi je crois mais je connaissais déjà l'auteur et j'étais ravie de retrouver Condé qui est un très beau personnage. Mon gros reproche envers ce roman c'est l'hétérogénéité des 3 histoires. J'ai eu du mal à entrer dans l'histoire d'Elias parce que j'avais hâte de retournet a Cuba alors que c'est, en soi, un episode passionnant. Le fil rouge du tableau est une super idée qui se délite vers la fin.

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    1. Ah , Papillon , j'attendais ton com' avec impatience , pour comparer nos impressions de lecture !
      Comme toi, je trouve que le fil conducteur du tableau est à la fois malin mais difficile à maintenir sur la longueur. Et puis bizarrement, bien que j'ai aimé ce bouquin , j'ai mis un temps infini à le lire, tu vois, il me manquait cette impatience de le retrouver le soir qui est le signe d'un pavé vraiment réussi . Non ?

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  3. je suis d'accord avec toi, quand un roman est vraiment réussi, il nous manque dès qu'on l'a posé! je n'ai lu aucun Padura pour le moment, mais j'avais offert "L'homme qui aimait les chiens" à ma mère, qui avait bien aimé mais était allée difficilement jusqu'au bout du roman. Le thème de celui-ci m'intéresse donc je pense quand même que je le lirai, mais quand j'aurai un peu de temps devant moi.

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  4. Je l'avais noté en septembre, grâce à des billets très très élogieux, et puis il y a eu les premiers bémols et je crois que ton billet m'y fait renoncer totalement. Trop de trop, je sais que je ne n'accroche pas, c'est dommage, car l'histoire me tentait beaucoup (ce chemin de traverse du peuple du juif, assez mal connu dans l'histoire de la diaspora). Mais je sens bien qu'il y a trop de choses, la mode est à la fresque historique et le risque c'est la profusion.

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  5. aïe, quelle responsabilité me mets tu sur les épaules ! Je n'ai pas voulu faire un billet à charge ... d'ailleurs la résonnance de ce livre est plutôt bonne pour moi, en fait, mon principal reproche est qu'il m'a pris trop de temps ! (au moins deux semaines) alors que j'aurais aimé l'adorer et le dévorer en quelque jours... L'avis de Papillon est très pertinent et très bien argumenté, tu as vu ?
    A propos de la longueur des ouvrages (ici on a clairement affaire à un pavé) on pourrait aller jusqu'à penser que certains livres ont bonne cote auprès des blogueurs car concis et facilement transportables ;-)

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Mior