Match amical de dames .
Comme par hasard :
"Orlando" de Virginia Woolf m'attendait depuis très longtemps sur mes étagères.
Et ce mois-ci, nous avions choisi Vita Sackville West au Club de lecture.
Un voyage à Rome ; je décidai de partir avec ces deux grandes ladies.
Je savais qu'Orlando était un hommage voire un portrait sublimé de la seconde par la première.
Les deux femmes se sont aimées, d'amour dès 1925, d'amitié avant et toujours
(un bel article ici )
Dans la préface de mon vieux livre de poche "Biblio" d'Orlando, par Diane de Margerie :
Personne sans doute ne devait lui faire éprouver cette "force rayonnante des femmes entre elles" mieux que Vita Sackville-West. Poétesse, romancière, celle-ci appartenait à la prestigieuse famille des Sackville qui possédait le château de Knole depuis que la reine Elizabeth l'avait donné, au XVIième siècle, à son cousin Lord Thomas Sackville. Virginia avait fait la connaissance de Vita en 1922 ; elle avait alors quarante ans et Vita trente ; les deux femmes furent immédiatement attirées l'une vers l'autre , et il est révélateur que ce soit la plus jeune qui ait éprouvé pour l'aînée les sentiments d'une mère : Virginia, dont on sait qu'elle avait déjà traversé la folie à plusieurs reprises, avoue trouver en Vita "la protection maternelle qu'elle recherche par-dessus toute chose".
Orlando est une fable , un conte, une fantaisie littéraire.
Son héros vivra plusieurs vies, dans les deux sexes, homme d'abord puis femme, pendant plus de trois cents ans :
"le XVI ième siècle avait encore quelques années à vivre" quand débute le récit qui se termine au "douzième coup de minuit, le jeudi onze octobre mil neuf cent vingt-huit" (date réelle du point final évidemment !)
Orlando est vraiment une oeuvre à part, une sorte de parenthèse, serait-on tenté de dire.
Récit picaresque, assez joyeux, improbable et quelque peu foutraque.
Le ton étonne chez cette auteur réputée difficile, introspective jusqu'au vertige, dont les livres les plus célèbres -Mrs Dalloway, La promenade au phare , Les Vagues- s'attachent plutôt au versant tragique de l'existence, avec une hyper sensibilité exacerbant le plus petit état d'âme et le disséquant presque.
Rien de tel ici : Orlando est un jeune noble de seize ans habitant "une maison si vaste que le vent lui-même y semblait pris au piège, soufflant d'ici, soufflant de là, hiver comme été".
Il a du bien , il a des terres, et dans cette période élisabéthaine cherche - plus qu'un sens à sa vie- de quoi s'occuper, car il est assez instable.
Il procède par toquades.
Bien sûr vient d'abord l'amour : après quelques "mises en jambe" Orlando s'éprend éperdument d'une belle moscovite , Sacha .
...Echauffés par le patinage et l'amour, ils se jetaient à même la glace dans quelque crique solitaire aux rives frangées d'osiers jaunes ; un vaste manteau de fourrure les enveloppait tous les deux : Orlando étreignait la princesse et pour la première fois, chuchotait-il, connaissait les joies de l'amour. Puis, lorsque l'extase avait fui, et qu'ils gisaient, bercés, sur la glace, dans le plus doux évanouissement, il lui parlait de ses autres passions, lui confiait comment, comparées à ceci, elles n'avaient été que bois, toile de sac et cendres. Et riant de sa véhémence, elle se jetait une fois de plus dans ses bras et lui donnait, pour l'amour de l'amour, une étreinte nouvelle. Ils s'émerveillaient alors que la glace ne fondît pas à leur chaleur ...
Mais hélas, la belle se révélera traîtresse...
Jurant, mais un peu tard, qu'on ne l'y reprendra plus Orlando va chercher à se consoler à travers les livres, et le démon de l'écriture le piquera également (pour le restant de ses jours d'ailleurs)
Ensuite ce sera la passion de la Nature (mais on s'ennuie vite) puis la passion du Décor, coûteuse (hilarant)
Pourtant , comme il passait en revue les galeries, il eut l'impression d'un certain vide. Des fauteuils et des tables, tout dorés, tout sculptés qu'ils soient ; des sofas, même s'ils reposent sur des pattes de lion ou des cols de cygne ; des lits, fussent-ils même en duvet de cygne le plus doux, ne nous satisfont pas s'ils demeurent vacants. Des gens assis, des gens couchés, les améliorent étonnamment. Aussitôt donc, Orlando inaugura une série de réceptions magnifiques où se rencontrèrent toute la noblesse et la gentry du voisinage. D'un seul coup, les trois cent soixante cinq chambres furent pleines pour un mois.
Vite insupportable également... Orlando fuit.
Ce sont maintenant voyages et vie d'ambassadeur, à Constantinople.
Tout cela est haut en couleurs, certes, mais bizarrement j'ai perdu pied à ce moment-là... cela semblait tourner à vide soudainement, après cent cinquante pages assez réjouissantes.
Damned ! Juste au moment où :
Orlando était devenu femme -inutile de le nier. Mais pour le reste, à tous égards, il demeurait le même Orlando.
Il avait, en changeant de sexe, changé sans doute d'avenir, mais non de personnalité .
Je m'explique mal pourquoi j'ai totalement décroché dans la deuxième partie du récit.
Certes je ne m'attendais pas à ce que Virginia traite de la question du genre ! ou se laisse aller à des considérations sur la sexualité.
Peut-être pensais-je en revanche que la maternité serait accordée à son héroïne... et clairement espérais-je une sorte de "confrontation" des deux sexes -Virginia Woolf me semblant avoir fort à dire sur le sujet-
"Orlanda" m'a déçue, en quelque sorte ; après la fantaisie du jeune homme Orlando je ne l'ai pas trouvée vraiment "incarnée", ce qui est tout de même un comble .
Je me suis alors sentie lassée par le procédé d'écriture, la mise à distance des "vrais" problèmes par un ton léger et persifleur.
Vanité, tout n'est que vanité, songeai-je ...
Il faut redire ici qu'Orlando est vraiment un opus atypique dans l'oeuvre de Virginia Woolf. Probablement faut-il être dans une certaine humeur -badine- pour apprécier ce récit. Quelque chose n'a pas fonctionné pour moi, en tout cas, quelque (grande) admiration -voire fascination- je garde pour l'auteur(e)
Je reviendrai très bientôt vous parler de Vita, maintenant, dont "Toute passion abolie" me permit la découverte ...et m'enchanta ...
MIOR
Comme par hasard :
"Orlando" de Virginia Woolf m'attendait depuis très longtemps sur mes étagères.
Et ce mois-ci, nous avions choisi Vita Sackville West au Club de lecture.
Un voyage à Rome ; je décidai de partir avec ces deux grandes ladies.
Je savais qu'Orlando était un hommage voire un portrait sublimé de la seconde par la première.
Les deux femmes se sont aimées, d'amour dès 1925, d'amitié avant et toujours
(un bel article ici )
Dans la préface de mon vieux livre de poche "Biblio" d'Orlando, par Diane de Margerie :
Personne sans doute ne devait lui faire éprouver cette "force rayonnante des femmes entre elles" mieux que Vita Sackville-West. Poétesse, romancière, celle-ci appartenait à la prestigieuse famille des Sackville qui possédait le château de Knole depuis que la reine Elizabeth l'avait donné, au XVIième siècle, à son cousin Lord Thomas Sackville. Virginia avait fait la connaissance de Vita en 1922 ; elle avait alors quarante ans et Vita trente ; les deux femmes furent immédiatement attirées l'une vers l'autre , et il est révélateur que ce soit la plus jeune qui ait éprouvé pour l'aînée les sentiments d'une mère : Virginia, dont on sait qu'elle avait déjà traversé la folie à plusieurs reprises, avoue trouver en Vita "la protection maternelle qu'elle recherche par-dessus toute chose".
Virginia en 1927 , et ... |
Vita peinte par William Strang en 1918 ! |
Orlando est une fable , un conte, une fantaisie littéraire.
Son héros vivra plusieurs vies, dans les deux sexes, homme d'abord puis femme, pendant plus de trois cents ans :
"le XVI ième siècle avait encore quelques années à vivre" quand débute le récit qui se termine au "douzième coup de minuit, le jeudi onze octobre mil neuf cent vingt-huit" (date réelle du point final évidemment !)
Orlando est vraiment une oeuvre à part, une sorte de parenthèse, serait-on tenté de dire.
Récit picaresque, assez joyeux, improbable et quelque peu foutraque.
Le ton étonne chez cette auteur réputée difficile, introspective jusqu'au vertige, dont les livres les plus célèbres -Mrs Dalloway, La promenade au phare , Les Vagues- s'attachent plutôt au versant tragique de l'existence, avec une hyper sensibilité exacerbant le plus petit état d'âme et le disséquant presque.
Rien de tel ici : Orlando est un jeune noble de seize ans habitant "une maison si vaste que le vent lui-même y semblait pris au piège, soufflant d'ici, soufflant de là, hiver comme été".
Il a du bien , il a des terres, et dans cette période élisabéthaine cherche - plus qu'un sens à sa vie- de quoi s'occuper, car il est assez instable.
Il procède par toquades.
Bien sûr vient d'abord l'amour : après quelques "mises en jambe" Orlando s'éprend éperdument d'une belle moscovite , Sacha .
...Echauffés par le patinage et l'amour, ils se jetaient à même la glace dans quelque crique solitaire aux rives frangées d'osiers jaunes ; un vaste manteau de fourrure les enveloppait tous les deux : Orlando étreignait la princesse et pour la première fois, chuchotait-il, connaissait les joies de l'amour. Puis, lorsque l'extase avait fui, et qu'ils gisaient, bercés, sur la glace, dans le plus doux évanouissement, il lui parlait de ses autres passions, lui confiait comment, comparées à ceci, elles n'avaient été que bois, toile de sac et cendres. Et riant de sa véhémence, elle se jetait une fois de plus dans ses bras et lui donnait, pour l'amour de l'amour, une étreinte nouvelle. Ils s'émerveillaient alors que la glace ne fondît pas à leur chaleur ...
Mais hélas, la belle se révélera traîtresse...
Jurant, mais un peu tard, qu'on ne l'y reprendra plus Orlando va chercher à se consoler à travers les livres, et le démon de l'écriture le piquera également (pour le restant de ses jours d'ailleurs)
Ensuite ce sera la passion de la Nature (mais on s'ennuie vite) puis la passion du Décor, coûteuse (hilarant)
Pourtant , comme il passait en revue les galeries, il eut l'impression d'un certain vide. Des fauteuils et des tables, tout dorés, tout sculptés qu'ils soient ; des sofas, même s'ils reposent sur des pattes de lion ou des cols de cygne ; des lits, fussent-ils même en duvet de cygne le plus doux, ne nous satisfont pas s'ils demeurent vacants. Des gens assis, des gens couchés, les améliorent étonnamment. Aussitôt donc, Orlando inaugura une série de réceptions magnifiques où se rencontrèrent toute la noblesse et la gentry du voisinage. D'un seul coup, les trois cent soixante cinq chambres furent pleines pour un mois.
Vite insupportable également... Orlando fuit.
Ce sont maintenant voyages et vie d'ambassadeur, à Constantinople.
Tout cela est haut en couleurs, certes, mais bizarrement j'ai perdu pied à ce moment-là... cela semblait tourner à vide soudainement, après cent cinquante pages assez réjouissantes.
Damned ! Juste au moment où :
Orlando était devenu femme -inutile de le nier. Mais pour le reste, à tous égards, il demeurait le même Orlando.
Il avait, en changeant de sexe, changé sans doute d'avenir, mais non de personnalité .
Je m'explique mal pourquoi j'ai totalement décroché dans la deuxième partie du récit.
Certes je ne m'attendais pas à ce que Virginia traite de la question du genre ! ou se laisse aller à des considérations sur la sexualité.
Peut-être pensais-je en revanche que la maternité serait accordée à son héroïne... et clairement espérais-je une sorte de "confrontation" des deux sexes -Virginia Woolf me semblant avoir fort à dire sur le sujet-
"Orlanda" m'a déçue, en quelque sorte ; après la fantaisie du jeune homme Orlando je ne l'ai pas trouvée vraiment "incarnée", ce qui est tout de même un comble .
Je me suis alors sentie lassée par le procédé d'écriture, la mise à distance des "vrais" problèmes par un ton léger et persifleur.
Vanité, tout n'est que vanité, songeai-je ...
Il faut redire ici qu'Orlando est vraiment un opus atypique dans l'oeuvre de Virginia Woolf. Probablement faut-il être dans une certaine humeur -badine- pour apprécier ce récit. Quelque chose n'a pas fonctionné pour moi, en tout cas, quelque (grande) admiration -voire fascination- je garde pour l'auteur(e)
Je reviendrai très bientôt vous parler de Vita, maintenant, dont "Toute passion abolie" me permit la découverte ...et m'enchanta ...
MIOR
Tu n'es pas la seule Mior, impossible de me souvenir quelle blogueuse a chroniqué Orlando et comme toi a décroché. C'est vraiment dommage parce que j'adore l'idée de départ (transgenre et transépoque finalement), mais avec deux d'entre vous qui émettez de gros bémols, je vais passer mon tour. Dommage, d'autant que les extraits sont plus que prometteurs.
RépondreSupprimerC'est étrange car la fantaisie m'a fort séduite pendant la moitié de l'ouvrage puis totalement laissée de marbre. Les aventures d'Orlando-femme ne m'ont pas intéressée, et j'ai alors trouvé que V.Woolf avait raté ce qui semblait être son sujet : qu'est ce que ça change d'être un homme ou une femme, et en 1920 , ce n'était pas rien, for God´s sake !
SupprimerEt bien tu sais faire un admirable billet d'un roman qui m'a fait bailler aux corneilles, je l'avoue, et que je n'ai pas eu la force de terminer :-) Je retenterai ma chance avec un autre roman de l'auteur, je crois que je ne suis pas faite pour les fantaisies de ce genre, je suis vite agacée quand le procédé qui sert le propos est trop visible.
RépondreSupprimerEn le re feuilletant pour écrire ce billet, je me suis fait la réflexion qu'il y avait plus d'un passage savoureux ( mais essentiellement dans la première partie, vraiment )
SupprimerVirginia Woolf m'endort et Vita m'a déçue ( pas assez piquante ... Pour ce que j'en ai lu. Mais ton billet est vraiment chouette !
RépondreSupprimerVirginia me fascine ( vie et œuvre) et Vita m'a charmée pour notre première rencontre ( "Toute passion abolie" , billet à venir ;-)
SupprimerMerci pour la visite et le comm
Je l'ai lu (en entier) (et en VO) il y a un peu de temps. Démarrage un peu difficile, jusqu'à la débâcle de la Tamise, ensuite ça allait.
RépondreSupprimerCoïncidence, je viens de lire un roman qui m'en apprend de belles sur la soeur de Virginia, Vanessa...
Ah Keisha , tu en dis donc ou pas assez ! Des détails , please !
SupprimerJ'admire les lectrices en v.o ( bonne à l'oral pour ma part mais incapable de lire en anglais, too bad...)
La famille Stephen était déjà un peu particulière (le demi frère un poil trop près de ses soeurs, par exemple), mais celle de Vanessa, ouh là là! Le père de sa fille -pas son mari, of course- était l'amant de son frère, de son futur gendre, etc (bon j'en passe, Closer c'est la bibliothèque rose à côté)
SupprimerCeci étant, mon projet de lire V Woolf et ses journaux, et les biographies demeure! Ses essais sont incontournables aussi.
tu me fais rire , Keisha, et pourtant ce n'est pas drôle ! ...
SupprimerLa vie de Virginia W est dramatique, bien sûr, quand on y pense.
SupprimerOh ! Quelle dommage que tu aies décroché au fil du récit. Pour ma part, j'ai adoré (comme tout chez Woolf) ce récit exigeant, guilleret et plein d'ironie mordante. Une Virginia Woolf drôle et légère : c'est suffisamment rare pour être noté !
RépondreSupprimer..mais c'est vraiment quand Orlando devient femme ! Je m'attendais à un virage , une montée en intensité du propos , et ces aventures rocambolesques qui continuent comme si de rien n'était me sont tombées des mains tout d'un coup.
SupprimerTout ça pour ça ? Le changement de sexe ne changerait donc rien dans une vie ? À d'autres ...
C'est en fait la lectrice contemporaine en moi (=féministe, forcément féministe ;-) qui est déçue ...
De l'auteur d' "une chambre à soi" je m'attendais à quelque chose de plus ...mordant ?
Je ne peux que comprendre tes réticences, mais vraiment, avec le temps, j'oublie ce qui m'a déplu chez Woolf, et j'ai vraiment envie de la découvrir à travers d'autres textes.
RépondreSupprimerJe te le conseille vivement ;-)
SupprimerOrlando est vraiment à part dans l'œuvre de VW, je crois
J'ai moi comme tu le sais tenu tout le livre sans désintérêt ! Mais je reconnais qu'il faut accepter tout à forte dose pour l'aimer
RépondreSupprimerPar contre je ne dirais pas que c'est un livre vaniteux.
Et il ne ressemble en rien aux autres de l'auteur c'est vrai
Je ne voulais certainement pas dire que le livre était vaniteux ! Je voulais dire que je me suis sentie un peu dégoûtée de tout , comme quand un bon texte nous échappe ; tu sais cette frustration du lecteur qui aimerait aimer et qui est largué, qui se demande si c'est lui qui n'est pas à la hauteur , ou s'il peut émettre l'hypothèse que c'est l'auteur qui a raté quelque chose... Cela m'a rendue mélancolique . Je ne sais pas si Virginia aurait été rock´n roll mais c'était la minute " I can ´t get no satisfaction "
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