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lundi 14 mars 2016

"L'amie prodigieuse " d'Elena Ferrante

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Dans l'avion qui me ramenait de Naples, ma voisine et moi ouvrîmes en même temps le même livre, elle en italien et moi dans la traduction française. De plus nous en étions pratiquement au même chapitre, et vers la fin. 
Exclamations, amusement, discussion. "Vous aimez ? C'est une Naples ancienne, tout de même, vous savez... Ici en Italie on soupçonne qu'Elena Ferrante pourrait être un homme, en fait, qui se cacherait sous ce pseudo. C'est bien traduit ?" 

Ma foi je n'en sais rien. Tout ce que je sais c'est que je serais sûrement passée à côté de ce livre si je ne l'avais pas lu après avoir passé quelques jours à Naples... Il est tellement âpre, si peu aimable parfois... 
Je n'ai pas un grand goût pour les souvenirs d'enfance, en général, et suis toujours incrédule -et légèrement envieuse- quand d'aucuns savent retracer dans le détail le tissu dont furent fait leurs premières années. Souvenirs "racontés" et intégrés au point de ne plus même le savoir, ou vraies sensations imprimées au fer rouge dans la mémoire ? ... Ici en tout cas, un travail minutieux et surprenant pour ressusciter la mémoire collective d'un quartier, ce quartier qui protège et qui enferme terriblement , et ces deux gamines, la douce et l'effrontée, l'aimable et l'enragée, la modeste et la fascinante. 

Je me consacrai à l'école et à un tas d'autres choses difficiles qui m'étaient étrangères seulement pour rester à la hauteur de cette gamine terrible et fulgurante.
 
C'est surtout pour le récit de cette amitié ambigüe et dévorante narrée par Elena la gentille que vaut le livre ; telle une entomologiste, elle dissèque le lien indéfectible et parfois haineux qui relie "à la vie à la mort" les deux enfants, puis les deux adolescentes, à une époque où envoyer des filles à l'école, dans les milieux populaires, représentait un effort financier important et semblait encore une perte de temps, disons le tout net.
Ce n'est pas typiquement italien, quoique dans les années cinquante le problème était en voie de disparaître en France, je crois, alors que l'Italie pauvre tirait la patte. 

En la regardant je compris définitivement que, dans peu de temps, elle aurait tout perdu de son air de petite fille-petite vieille, comme on perd un motif musical très connu quand il est adapté avec trop d'inventivité. Elle était devenue sinueuse. Son front haut, ses grands yeux qui se plissaient brusquement, son petit nez, ses pommettes, ses lèvres et ses oreilles cherchaient une nouvelle orchestration, et ils semblaient sur le point de la trouver.

Le cadre de Naples est important bien sûr ; cette ville où on pouvait passer toute une enfance sans jamais voir la mer, alors que la baie est là, à quelques encablures. Cette ville où votre adresse vous classe -ou vous déclasse- immédiatement ; où la famille pesait de tout son poids sur les choix des jeunes, tyranniquement, égoïstement, banalement. Les camoristes qui tiennent le quartier, les communistes qui essayent de réveiller les conciences, les petites gens qui sont dans la survie, n'ayant pas la curiosité, même le Dimanche, d'aller plus loin que le bout de leur rue... 

Il y avait  une part d'insoutenable dans les choses, les gens, les immeubles et les rues : il fallait tout réinventer comme dans un jeu pour que ça devienne supportable. L'essentiel, toutefois, c'était de savoir jouer, et elle et moi -personne d'autre- nous savions le faire.
 
Si j'ai trouvé quelques longueurs, surtout dans la partie centrale, et me suis parfois perdue entre tous ces personnages dignes d'un roman russe, j'ai été emballée par la longue scène de mariage qui clôt ce premier volume (quatre prévus je crois ?)  de façon cruelle et brillante...

Toute la blogo s'est enflammée pour cet ouvrage et a certainement concouru au joli succès de librairie via le bouche à oreille qui fut le sien -la blogo servirait-elle à quelque chose parfois ;-) - 
Beaucoup l'ont promu au rang de coup de coeur absolu.
Je n'irai pas jusque là, mais je lirai le deuxième volume, c'est certain :-)



MIOR. 

36 commentaires:

  1. Je l'ai fini hier, et je me sens totalement en phase avec ton billet. J'ai parfois eu du mal à identifier les nombreux personnages, j'ai également ressenti des longueurs au milieu de l'ouvrage (je me suis même un peu ennuyée, alors que le début du livre m'avait beaucoup plu), mais j'ai adoré les cent dernières pages, en particulier la séquence du mariage, que j'ai moi aussi trouvée très réussie. Bref, j'ai très envie de lire la suite, même si j'ai été moins emballée que prévu par ce premier tome !!

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    1. Nous avons eu la même lecture, à un point qui est surprenant ! Certaines séquences exxxtrêmement détaillées de la vie du groupe m'ont un peu barbée je l'avoue

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    2. Le roman est passionnant lorsqu'il se focalise sur la relation entre Lila et Elena, mais les autres personnages ne m'ont pas particulièrement séduite...

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    3. tout à fait, c'est cette amitié difficile et incandescente qui est passionnante, avec une dimension qui confine parfois à la cruauté (je veux parler par exemple de l'épisode qui se conclut à la page 96, de l'escapade vers la mer... )

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  2. Je l'avoue, c'est principalement l'amitié de ces deux fillettes qui me pousse à lire ce roman. D'autant plus que je ne suis pas spécialement friande des histoires composées d'une multitude de personnages, souvent je m'y perds. Mais comme toi, la blogo l'a tellement encensé que je le lirai à mon tour. j'aime le côté "saga" aussi!

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    1. on risque un peu la déception à passer après tout le monde, c'est sûr ; mais aurait-on repéré ce livre sans la blogo ? ;-)

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  3. il m'attend... à voir! enfin, à lire!

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  4. Hier soir on en parlait au Masque et la plume. Va voir, tu retrouveras certaines de tes impressions (et ils m'ont drôlement donné envie pour d'autres romans!)

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    1. ah, d'habitude je suis à l'écoute ! là j'irai le rechercher

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    2. J'y suis allée...toutes les opinions ont été représentées, amusant ;-)

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  5. Comme Keisha, j’écoutais Le Masque hier (ils évoquaient le second tome, en fait) et ils m'ont salement refroidie... Pourtant Naples, l'amitié, une saga familiale, tout ça avait l'air bien plaisant, mais ils ont l'air de penser que cette auteure est très surestimée...Du coup je vais attendre de le trouver à la bibliothèque, je crois !

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    1. J'avoue que je me suis parfois posé la question...

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    2. En l'occurrence, je pense que la question du déterminisme social , dans ce premier tome, te passionnerait fort ;-)

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  6. Il me tente depuis sa parution en grand format, et le poche avec sa jolie photo (et ton avis) me tente encore plus .... je crois que je vais craquer !

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    1. Ben oui, un p'tit poche, ça mange pas de pain ;-)

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  7. J'ai trouvé cette amitié admirablement dépeinte, faite de rires, de découvertes faites ensemble, mais aussi de rivalité. Et puis, et le deuxième volume poursuit dans cette voie, ces jeunes filles puis ces femmes qui empruntent les voies qu'elles peuvent pour tirer leur épingle du jeu de la vie, ou tenter de le faire.
    J'ai mis du temps à entrer dedans. C'est vrai que c'est un roman qui ne se livre pas facilement. Mais finalement, quelle force.

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    1. C 'est bien sûr l'ambivalence admirablement bien décrite de cette amitié qui fait le sel de ce roman d initiation ... À suivre donc ! J' ai hâte de les retrouver jeunes adultes

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  8. J'ai démarré un peu lentement avec ce roman, pour finir enthousiaste... Je ne suis pas fan des histoires d'amitié d'enfance ou d'adolescence, et pourtant, j'ai aimé. Il y a quelque chose de particulier qui fait qu'on est séduit, je ne saurais trop dire quoi...

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    1. C'est au milieu que j'ai ressenti un creux pour ma part , mais je l'ai lu tres vite , en trois quatre jours ( et sur zone , quel luxe ;-)
      Oui il a un charme particulier que je ne saurais trop qualifier moi non plus ...

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  9. Pour le moment je préfère ma lecture du second volume, j'avais aussi décelé quelques longueurs dans le récit de l'enfance. Quels bouts de femme quand même !

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    1. J'aime l'intensité du personnage de Lila ! Par comparaison Elena parait plus "fade" -ce dont elle a cruellement conscience d'ailleurs- je regrette parfois qu'elle soit moins "soignée" par l'auteur -bien qu'elle soit la figure du narrateur

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    2. Justement, je trouve qu'elle gagne en intensité dans le second volume. Elle grandit et se découvre peu à peu sans le joug permanent de Lila. Lila reste un personnage exceptionnel d'un point de vue romanesque ! J'ai hâte de découvrir le troisième tome.

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    3. Rhoo, tu me fais le teaser, là !

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  10. Le troisième tome est le meilleur pour moi avec le côté politique, et je ne trouve pas que cette auteure soit surestimée. Je préfère tout de même à cette saga"les jours de mon abandon " qui recentre davantage le récit et qui décrit avec une acuité rare la folie passagère que peuvent faire traverser certains événements d'une vie simple. Ce n'est pas parce qu'on écrit la simplicité qu'on est surestimé quand on le fait bien . Je suis une fervente admiratrice de ferrente tu l'auras compris. J'admire son style si pertinent et précis. Elle ose dire tout de ce qui traverse un personnage sans s'inquiéter de sa réputation dans le cœur du lecteur. C'est une dentelliere. Je l'aime tout simplement.

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    1. Je me souviens très bien que tu l'aimes fort ! Et tu en parles bien ;-)
      Je crois bien que c'est ton billet sur "les jours de mon abandon" qui m'a fait noter ce nom d'auteur ; c'était bien avant l'engouement Ferrante de la blogo.
      Mais dis moi, le troisième tome n'est pas encore traduit ??

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    2. Je l'ai lu en anglais.... oui je sais c'est un peu pathologique à ce stade :D

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  11. Ce que j'ai bien aimé dans ce roman, c'est la manière dont l'âpreté de la vie est restituée. Dans les relations, dans le quotidien. Il y a là quelque chose d'un peu sauvage, et terriblement humain qui me plait. J'ai fait mon billet longtemps après lecture, et j'ai eu un peu de mal à rassembler en quelques paragraphes le foisonnement de ce roman.

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    1. Tout à fait, l'âpreté , c'est moi aussi le qualificatif qui me vient en premier quand je repense à ce récit. Les angles ne sont pas gommés , à coup sûr !

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  12. On me l'a mis dans les mains la semaine dernière alors que je n'ambitionnais pas spécialement de le lire (malgré les nombreux coups de coeur de la blogo). Du coup, je le découvrirai prochainement et j'ai plutôt hâte de voir ce qu'il donne... Vais-je succomber ou pas moi aussi ? ^^

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    1. C'est toujours "à risque" dans ces cas-là ;-)
      Comme tu as vu, je ne crie pas au chef d'œuvre, mais c'est un livre qui a un ton et une ambiance bien à lui qui le fait se démarquer par rapport à beaucoup d'ouvrages "à la mode" du moment . Et puis ce contexte italien est attachant

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  13. J'ai entendu une émission de radio sur cet auteur et le fait qu'il ou elle ne souhaite pas se faire connaitre. C'est fascinant de réussir à échapper aux médias de cette façon. Quant au roman, pas sûr qu'il soit pour moi, mais si je vais à Naples, j'y penserai.

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    1. J'aime ce choix de cet auteur , rester sans visage :-)
      C était chouette de le lire sur place, j'avoue

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  14. J'avais pris sans le savoir le 2e tome à la bibli ! J'emprunterai celui-ci pour le lire avant. Malgré tes réserves, tu sembles en dire plutôt du bien...

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    1. Oui, c'est à lire , même si je ne suis pas aussi inconditionnelle que certaines ;-)
      J'attends de croiser le deuxième tome, j'ai envie de retrouver Lila et Elena ...

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Mior