Me voilà bien embêtée. Comment parler d'un livre qu'on a lu de bon appétit, voire comme un page-turner, mais à qui on a rétrospectivement quelques reproches à faire ?
"Ciel d'Acier" (Prix des lecteurs Points) est le récit de la communauté de travailleurs indiens Mohawk , les "iron workers" , monteurs d'acier à l'origine de la construction de toute la Skyline de New York ; oeuvrant à l'édification des Twin Towers dans les années 70 mais aussi à leur déblaiement, qui prit plusieurs mois après la catastrophe du 11 Septembre, puis à l'édification de la Liberty Tower qui remplace aujourd'hui le World Trade Center.
Ces Indiens réputés ne pas connaître le vertige...
New York le 11 Septembre 2001 , Michel Mourtot y était comme correspondant de l'AFP. Il a couvert l'événement en direct.
Grand reporter de l'Agence France Presse, lauréat du prix Albert Londres en 1999, le gars a de la bouteille, c'est clair. Il s'est documenté et manifestement passionné pour son sujet.
Le récit commence dans l'enfer de Ground Zero : chalumeau en main, les Ironworkers, dans l'urgence, la peur des effondrements, l'espoir rapidement déçu de retrouver des survivants, découpent l'acier, sectionnent les poutres, jouant une partie de mikado infernale dans ce champ de ruines aux vapeurs délétères.
Cela sonne vrai, on est saisi et on dévore.
Même si p.17 on est un peu interloqué d'entendre déjà parler de pirates de l'air, dans les toutes premières minutes qui suivent l'attaque, avant même l'effondrement des Twins. Il me semblait qu'une certaine incertitude avait flotté beaucoup plus longtemps, telle était l'hébétude devant cette situation inouïe, in-imaginable, et que nous gardons tous en mémoire. Bref.
Par un jeu d'allers-retours assez bien construit, Michel Moutot nous ramène vers les années de construction de ces mêmes tours, ou même en 1886, pour celle du premier pont sur le Saint Laurent. Les Mohawks, qui sont des Iroquois travaillant alors au nord de l'état de New York et au Canada au flottement du bois sur le grand fleuve sont naturellement aux premières loges, main d'oeuvre plus ou moins bien traitée sur ce chantier initial qui finira en catatastrophe .
Dès lors, les Mohawks deviennent des ouvriers appréciés pour leur courage, et rapidement l'aristocratie des travailleurs de l'acier.
Peut-être parce qu'ils ont l'impression de garder une forme de liberté en dansant sur les poutrelles comme un artiste sur son fil à plusieurs dizaines de mètres du sol ; plus certainement parce que cette tâche à la prise de risque inouïe est très bien rémunérée...
Alors les Mohawks, de père en fils, apprennent à apprivoiser la peur, à dompter le vertige qui ne les épargne pas malgré la légende solidement ancrée.
Ils ont construit l'Amérique et en particulier New York.
Moutot reprend un peu les codes du roman américain : une histoire, une histoire forte, une bonne histoire. Des mecs , des vrais. De l'héroïsme, une épopée. Juste ce qu'il faut de dialogues pour faire exister les personnages, un peu de romance pour faire oublier des pages plus dures.
C'est là que le bât blesse un peu parfois, le style n'est pas toujours au rendez-vous, en particulier dans les dialogues.
Le livre aurait gagné peut-être à être un peu resserré (passage en Afrique un peu inutile?) . On aurait aussi aimé que Moutot réussisse à mieux faire vivre la réserve, ou l'on repasse régulièrement sans en apprendre beaucoup plus. Il s'y joue une scène très cruelle de bannissement, je me suis demandé si elle était renseignée par des cas existants.
Un livre un peu inégal mais captivant. Un livre dont je serais tentée de dire, mais comme un compliment, qu'il est grand public et va passionner beaucoup de lecteurs. En ce sens , un prix mérité.
Et une grosse envie d'acheter un billet d'avion.
MIOR
Delphine Olympe adore ; lisez son interview de l'auteur
Eva aime , avec les mêmes réserves que moi