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mardi 7 février 2017

" Un bonheur parfait " de James Salter

Affichage de DSC_0163.JPG en cours...
Titre original : Light Years .
Qui aurait pu se traduire par "les années lumière" ou "les années légères". Non ? :-/

Bouquin paru en 1975 aux States, vingt ans plus tard chez nous. Je l'avais lu alors, mais n'avait pas dû y comprendre grand chose, il faut avoir une bonne quarantaine et plus pour apprécier ce roman au charme étrange, je crois ;-) 

1958. Viri et Nedra sont un couple superbe ; 
ils ont la trentaine , deux petites filles, un chien, une tortue et un poney; ils habitent une vieille maison sur l'Hudson dans la campagne proche de New-York. Ils cultivent un art de vivre plein de fantaisie et d'amitiés fortes, y compris amoureuses. 
Et puis ...

Une énième variation sur le mariage, ses grandeurs, ses petitesses et sur le temps qui passe ? Oui, assurément, mais avec un angle de vue bien particulier : James Salter évoque des personnages qui ne retiendront de la vie que ce qui concerne leur vie intime et sentimentale. Foin de la carrière d'architecte de Viri, par exemple, on comprendra qu'il aurait aimé percer plus encore, mais au fond... ce n'est pas ce qui compte. Seul l'amour aura compté, celui que l'on partage avec son conjoint, ses enfants , ses amis, que l'on porte aux artistes, aux amants. L'amour de la liberté également, qui fait que pour continuer à sonner juste, l'un des époux quittera le navire. Aucune sentimentalité pourtant, qu'on ne se méprenne pas. Beaucoup d'idéal, beaucoup de mélancolie, beaucoup d'honnêteté chez ces héros. 

L'écriture de Salter est admirable. Des phrases sublimes comme s'il en pleuvait, des passages plus obscurs également (les toutes premières pages ont failli avoir raison de moi) et une très grande maîtrise dans la narration, simple et virtuose à la fois. 
Par exemple, toute la psychologie des personnages est très largement évoquée à travers des dialogues. Pas d'introspection proustienne ni de monologue intérieur à la V.Woolf ; Viri et Nedra vivent, agissent, avancent, parlent. Et comme dans la vie, c'est ainsi que nous les connaîtrons. 
Ils parlent avec leurs amis, ils parlent entre eux, ils parlent avec leurs filles, leurs connaissances parlent d'eux. Salter observe. Il ne cherche pas à dérouler un récit qui aurait force de démonstration, il donne l'impression de suivre Viri et Nessa plus que les précéder, il a une grande bienveillance envers eux (il les connaît probablement très bien). Le narrateur leur passe régulièrement la parole, manie le présent et le passé dans la même page, un peu comme on passe du coq à l'âne dans une discussion ; certains personnages disparaissent comme dans la vie on perd de vue des gens que l'on a pourtant sincèrement apprécié (le personnage d'Arnaud qui disparait dans la tempête). Tout ça est un peu fouillis. Comme dans la vie, où on tire des bords peut-être plus souvent qu'on ne choisit vraiment sa trajectoire. 
Mais avec un art de la narration qui transforme pratiquement chaque chapitre en nouvelle qui pourrait se lire pour elle-même. Le chapitre 3, une scène chez le tailleur, 8 pages tirées au cordeau, quel délice ! Avec un très grand art du portrait, Salter "croque" ses personnages, en quelques lignes tout est dit. De très belles images/formules à toutes les pages ; à propos de ce tailleur par exemple :

On aurait dit un malade à la fin d'une trop longue visite; il semblait fatigué.

Au plus profond de son être, elle avait l'instinct d'un animal migrateur. Elle trouverait la toundra, l'océan, le chemin du retour.

Un espèce fatal s'était créé, comme celui qui sépare un paquebot du quai, devenu brusquement trop large pour sauter; tout est encore présent, visible, mais inaccessible désormais. 

N'importe quel couple qui se sépare -c'est comme une bûche qu'on fend. Les morceaux ne sont pas égaux. L'un d'eux contient le coeur.

Extraits :

"Il y a des choses que j'aime dans le mariage, dit Nedra. Par exemple, son côté familier. C'est comme un tatouage. Tu en voulais un, tu l'as eu, et à présent il est gravé dans ta peau pour toujours. C'est à peine si tu en as encore conscience. Je dois être très conformiste.
- D'une certaine manière, peut-être.

- Cette terrible dépendance des autres, ce besoin d'amour.
- Ce n'est pas terrible.

- Si, parce que, en même temps, il y a la stupidité de ce genre de vie, l'ennui, les disputes."
Il calait un oreiller derrière elle. Elle se souleva sans dire un mot.
"On n'a pas de lait sans vache et inversement, dit-il.
- Sans vache. 
- Tu comprends, non ? 
- Si tu veux du lait, tu dois accepter la vache, l'étable, les prés et tout le bataclan.
- Exactement" , dit-il



-Tu dois aller plus loin que moi, tu le sais , n'est ce pas ? dit Nedra.
-Plus loin ?
-Oui, dans la vie. Tu dois devenir quelqu'un de libre."
Elle n'expliqua pas ses paroles ; elle en était incapable. Il ne s'agissait pas seulement du fait de vivre seule, bien que ç'eût été nécessaire dans son cas. La liberté dont elle parlait, c'était la conquête de soi. Ce n'était pas un état naturel. Ne la connaissaient que ceux qui voulaient tout risquer pour y parvenir, et se rendaient compte que sans elle, la vie n'est qu'une succession d'appétits, jusqu'au jour où les dents vous manquent.

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Un beau et long  billet de blog , l'avis Anna Gavalda (qui traduisit le magnifique "Stoner"  de John Williams en son temps)  un interview dans l'Obs, et celui de Slate dont j'extrais ces quelques lignes :


«Ce livre est la roche érodée de la vie conjugale. Tout ce qui est beau, tout ce qui est banal, tout ce qui nourrit ou ratatine. Cela dure des années, des décennies, et au final, cela semble avoir passé comme ces paysages entraperçus depuis la fenêtre du train —ici un pré, un bosquet d’arbres, des maisons aux fenêtres éclairées au crépuscule, des villes obscures, des gares qui s’évanouissent en un éclair— tout ce qui n’est pas écrit disparaît, excepté certains moments, certaines personnes et certaines scènes, impérissables. Les animaux meurent, on vend la maison, les enfants sont grands, le couple lui-même a disparu, et pourtant il reste ce poème.

Je comprendrais très bien que l'on n'apprécie pas ce bouquin, qu'on ne réussisse pas à s'attacher aux personnages, parfois durs, et en apesanteur en quelque sorte dans la société des années 60 aux USA (cela m'a rappelé ma lecture, toute jeune, du "Quatuor d'Alexandrie" de Durell, dont les personnages me semblaient incompréhensibles...et fascinants )

On peut trouver la fin ratée ou faible, la traduction parfois étrange. N'empêche. Lisez ce bouquin de Salter. Si vous avez touché du doigt que toute vie est bien entendu un processus de démolition, comme le disait Fitzgerald.

MIOR.

jeudi 10 novembre 2016

" Dans le nu de la vie " de Jean Hatzfeld

sous-titre : " Récits des marais rwandais "

Je remercie Gaël Faye. 
Pour ceci, qui vient dans les premières pages de son récit "Petit Pays" :

- La guerre entre les Tutsi et les Hutu, c'est parce qu'ils n'ont pas le même territoire ?
- Non, ce n'est pas ça, ils ont le même pays.
- Alors... ils n'ont pas la même langue ?
- Si, ils parlent la même langue.
- Alors, ils n'ont pas le même dieu ?
- Si, ils ont le même dieu.
- Alors... pourquoi se font-ils la guerre ?
- Parce qu'ils n'ont pas le même nez.

La discussion s'était arrêtée là. C'était quand même étrange cette affaire.
Je crois que Papa non plus n'y comprenait pas grand chose.

Le Rwanda, cet abominable carnage au printemps 1994, qui, ironie du sort, restera un des plus heureux de ma propre existence. A l'époque, adulte pourtant, je n'avais guère prêté attention à ces événements. Pas parce qu'ils étaient tragiques et innopportuns mais parce qu'ils semblaient tout simplement inimaginables, vus d'ici. 
Par la suite, quand Jean Hatzfeld a commencé à partir d'Août 2000 à publier ses livres sur le Rwanda, un, puis deux, cinq maintenant, je me suis dit qu'il "fallait" lire ça. Mais n'en trouvais jamais le courage. 
Jusqu'à "Petit Pays".

J'ai refermé le roman et commencé à chercher sur internet.
Cette haine, drame post-colonialiste ? Les Blancs auraient, préférant leur physique élancé et leurs traits fins, valorisé les Tutsis pourtant minoritaires .
Autre pomme de discorde, des Hutus cultivateurs, des Tutsis éleveurs accaparant trop de terres et se vivant comme une aristocratie, au dire des premiers... 
Dès 1959, des poches de violence se libèrent régulièrement, avec des exactions voire de véritables pogroms. A partir de cette date, beaucoup de Tutsis préfèrent se réfugier au Burundi voisin, fantasmant un retour au pays une fois les conflits calmés.
C'est le cas de la mère du narrateur, dans le récit de Gaël Faye. 

Et puis le 6 Avril 1994 c'est l'étincelle qui embrase tout : le président Juvénal Habyarimana disparait dans un attentat/accident d'avion.
C'est le signal attendu qui libére le dieu du carnage.

Je cite maintenant Jean Hatzfeld dans son introduction. Incipit :

En 1994, entre le lundi 11 avril à 11 heures et le samedi 14 mai à 14 heures, environ 50 000 Tutsis, sur une population d'environ 59 000, ont été massacrés à la machette, tous les jours de la semaine, de 9h30 à 16h, par des miliciens et voisins hutus, sur les collines de la commune de Nyamata , au Rwanda. Voilà le point de départ de ce livre.

(p.9) Un génocide n'est pas une guerre particulièrement meurtrière et cruelle. C'est un projet d'extermination. Au lendemain d'une guerre, les survivants civils éprouvent un fort besoin de témoigner; au lendemain d'un génocide, au contraire, les survivants aspirent étrangement au silence, leur repliement est troublant. 
L'histoire du génocide rwandais sera longue à écrire. Cependant l'objectif de ce livre n'est pas de rejoindre la pile d'enquêtes, documents, romans, parfois excellents, déjà publiés. 
Uniquement de faire lire ces étonnants récits de rescapés.

Quatorze au total appuyés par les beaux portraits faits par l'ami Depardon . 
A chaque fois , en trois ou quatre pages, Hatzfeld précise tout d'abord les circonstances de la rencontre, retrace en quelque mots la situation de la personne six ans après, son cadre de vie , ses moyens de subsistance. 
Il dresse aussi de magnifiques vignettes sonores et visuelles du cadre qu'offre la ville de Nyamata, ses "cabarets" où l'on boit la Primus tiède, les palabres, la flore exubérante...tout ce folklore extrêmement savoureux , goûteux.  

Et puis, la surprise : si les récits sont atroces de part leur nature, leur narration est faite dans une langue incroyablement poétique, expressive, maniée avec beaucoup de finesse. Les gens se "tiennent" et se confient avec une grande dignité. C'est peu de dire que le tout force le respect. 

Jeannette, 17 ans, cultivatrice et couturière : 
L'histoire des Hutus et des Tutsis ressemble à celle de Caïn et Abel, des frères qui ne se comprennent plus du tout pour des riens. Mais je ne crois pas que le peuple tutsi ressemble au peuple juif, même si les deux peuples ont été attrapés par des génocides (...) Le peuple tutsi, c'est simplement un peuple malchanceux sur des collines, à cause de son allure haute.

Francine, 25 ans, commerçante et agricultrice :
Nous avons alors vécu des jours plus bas que la détresse (...) Quand on a vécu en vrai un cauchemar éveillé, on ne trie plus comme auparavant les pensées de jour et les pensées de nuit.

Jean-Baptiste, 60 ans, enseignant :
(Depuis 1963) les massacres étaient imprévisibles. C'est pourquoi, même quand la situation semblait tranquille, nos deux yeux ne dormaient jamais ensemble .(...) Dieu montrait lui-même qu'il nous avait oubliés, donc à plus forte raison les Blancs.

Angélique, 25 ans, cultivatrice :
Je ne sais plus où tourner de la tête pour trouver un mari. Je ne peux plus me confier à un homme hutu, je n'espère pas nécessairement un homme rescapé. J'ai oublié la fantaisie d'amour.

Marie-Louise, 45 ans, commerçante :
Je crois que les étrangers ne pourraient surmonter leur pitié, s'ils regardaient de près ce que nous avons souffert pendant le génocide. C'est peut-être pour cela qu'ils regardent de loin.

Berthe, 20 ans, cultivatrice :
On enveloppait nos craintes de feuilles de silence.

Sylvie, 34 ans, assistante sociale :
Un génocide, c'est un film qui passe tous les jours devant les yeux de celui qui en a réchappé et qu'il ne sert à rien d'interrompre avant la fin (...) Le génocide ne ressemble à aucune autre tourmente . Voilà une certitude que j'ai recueillie de colline en colline.

Le tome 2, "Une saison de machettes", part du côté hutu. Je serai obligée de le lire.

MIOR.


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jeudi 13 octobre 2016

"Ciel d'Acier" de Michel Moutot



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Me voilà bien embêtée. Comment parler d'un livre qu'on a lu de bon appétit, voire comme un page-turner, mais à qui on a rétrospectivement quelques reproches à faire ?

"Ciel d'Acier" (Prix des lecteurs Points) est le récit de la communauté de travailleurs indiens Mohawk , les "iron workers" , monteurs d'acier à l'origine de la construction de toute la Skyline de New York ; oeuvrant à l'édification des Twin Towers dans les années 70 mais aussi à leur déblaiement, qui prit plusieurs mois après la catastrophe du 11 Septembre, puis à l'édification de la Liberty Tower qui remplace aujourd'hui le World Trade Center.
Ces Indiens réputés ne pas connaître le vertige...

New York le 11 Septembre 2001 , Michel Mourtot y était comme correspondant de l'AFP. Il a couvert l'événement en direct. 
Grand reporter de l'Agence France Presse, lauréat du prix Albert Londres en 1999, le gars a de la bouteille, c'est clair. Il s'est documenté et manifestement passionné pour son sujet.

Le récit commence dans l'enfer de Ground Zero : chalumeau en main, les Ironworkers, dans l'urgence, la peur des effondrements, l'espoir rapidement déçu de retrouver des survivants, découpent l'acier, sectionnent les poutres, jouant une partie de mikado infernale dans ce champ de ruines aux vapeurs délétères. 
Cela sonne vrai, on est saisi et on dévore. 
Même si p.17 on est un peu interloqué d'entendre déjà parler de pirates de l'air, dans les toutes premières minutes qui suivent l'attaque, avant même l'effondrement des Twins. Il me semblait qu'une certaine incertitude avait flotté beaucoup plus longtemps, telle était l'hébétude devant cette situation inouïe, in-imaginable, et que nous gardons tous en mémoire. Bref.

Par un jeu d'allers-retours assez bien construit, Michel Moutot nous ramène vers les années de construction de ces mêmes tours, ou même en 1886, pour celle du premier pont sur le Saint Laurent. Les Mohawks, qui sont des Iroquois travaillant alors au nord de l'état de New York et au Canada au flottement du bois sur le grand fleuve sont naturellement aux premières loges, main d'oeuvre plus ou moins bien traitée sur ce chantier initial qui finira en catatastrophe . 

Dès lors, les Mohawks deviennent des ouvriers appréciés pour leur courage, et rapidement l'aristocratie des travailleurs de l'acier.


Peut-être parce qu'ils ont l'impression de garder une forme de liberté en dansant sur les poutrelles comme un artiste sur son fil à plusieurs dizaines de mètres du sol ; plus certainement parce que cette tâche à la prise de risque inouïe est très bien rémunérée... 
Alors les Mohawks, de père en fils, apprennent à apprivoiser la peur, à dompter le vertige qui ne les épargne pas malgré la légende solidement ancrée.
Ils ont construit l'Amérique et en particulier New York.

Moutot reprend un peu les codes du roman américain : une histoire, une histoire forte, une bonne histoire. Des mecs , des vrais. De l'héroïsme, une épopée. Juste ce qu'il faut de dialogues pour faire exister les personnages, un peu de romance pour faire oublier des pages plus dures. 
C'est là que le bât blesse un peu parfois, le style n'est pas toujours au rendez-vous, en particulier dans les dialogues.
Le livre aurait gagné peut-être à être un peu resserré (passage en Afrique un peu inutile?) . On aurait aussi aimé que Moutot réussisse à mieux faire vivre la réserve, ou l'on repasse régulièrement sans en apprendre beaucoup plus. Il s'y joue une scène très cruelle de bannissement, je me suis demandé si elle était renseignée par des cas existants.

Un livre un peu inégal mais captivant. Un livre dont je serais tentée de dire, mais comme un compliment, qu'il est grand public et va passionner beaucoup de lecteurs. En ce sens , un prix mérité.
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Et une grosse envie d'acheter un billet d'avion.


MIOR




Delphine Olympe adore ; lisez son interview de l'auteur

Eva aime , avec les mêmes réserves que moi

mercredi 31 août 2016

J.O. , de Raymond Depardon

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Si vous aussi avez passé de nombreuses heures du jour et de la nuit à regarder les Jeux Olympiques en ce mois d'Août qui s'achève, ne ratez pas cette formidable édition de poche d'un bouquin paru en 2012 en gd format : 
les J.O de Tokyo (1964) Mexico (1968) Munich (1972) Montréal (1976) et Moscou (1980) couverts par Raymond Depardon. 

A Tokyo il a vingt-deux ans et, arrivé là par le plus grand des hasards, il apprend sur le tas à photographier le sport -un art difficile- les athlètes, leurs exploits et leurs échecs mais aussi le public, la ville, l'air du temps. 
De courts textes accompagnent et commentent les clichés. C'est épatant.

Au final, qu'on le veuille ou non, le cliché de Nadia Comaneci concentrée sur sa poutre comme celui de Bob Beamon à Mexico en 1968 sont des images de Raymond Depardon avant même d'être des photos de sports. C'est une grâce dont jouissent peu de photographes. Et c'est cela que la photographie est bien un art, et pas seulement une technique de reproduction du réel.
JFrançois Lixon.

La qualité de reproduction des photos est juste extraordinaire ! et vous allez vous régaler pour 9 euros 90 :-))


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Mark Spitz Munich 1972


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Colette Besson Mexico 1968


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Moscou 1980

MIOR.

lundi 8 août 2016

" Les jours de mon abandon " d' Elena Ferrante

C'est Kirili qui m'avait  - à l'époque où elle tenait l'excellent et parcimonieux blog 
"Three books and a cup of tea"- fait dresser l'oreille et retenir ce nom , Elena Ferrante, 
bien avant qu'il n'enflamme toute la blogo. 

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Elle parlait (très bien) d'un livre un peu étrange, quelque peu difficile à trouver ...

Il est maintenant en poche,  j'ai littéralement sauté dessus lors d'un de mes derniers passages en librairie.

Et, s'il peut paraître loufoque au premier abord, je dois dire que le visuel de couv' est assez bien trouvé...

Ca commence comme ça : 

Un après-midi d'avril, aussitôt après le déjeuner, mon mari m'annonça qu'il voulait me quitter. Il me le dit tandis que nous débarrassions la table, que les enfants se chamaillaient comme à l'ordinaire dans une autre pièce, et que le chien rêvait en grognant devant le radiateur. Il m'affirma qu'il était confus, qu'il était en train de vivre de bien mauvais moments faits de fatigue, d'insatisfaction, de lâcheté peut-être. Il parla longuement de nos quinze années de mariage, de nos enfants, et il admit volontiers qu'il n'avait rien à nous reprocher ni à moi ni à eux, il garda comme toujours une attitude digne, excepté un geste excessif de la main droite lorsqu'il m'expliqua, avec une grimace enfantine, que des voix légères, une sorte de susurrement, étaient en train de le pousser ailleurs. Puis il se déclara coupable de tout ce qui arrivait et il referma prudemment la porte de l'appartement derrière lui, me laissant pétrifiée auprès de l'évier.

J'ai adoré ce ton, cette apparence de contrôle dans le cataclysme, ce sur-réalisme en quelque sorte.
 Il m'a immédiatement accroché , et Olga m'a plu. 
Cette belle Turinoise de trente-huit ans qui se retrouve frappée par la foudre va d'abord essayer de réfléchir posément, ne pas consentir à l'effondrement. 
Elle se rappelle comment elle avait pensé, encore lycéenne, à la lecture de "La femme brisée" de Simone de Beauvoir : 

Ces femmes sont stupides. Des femmes cultivées, appartenant à un milieu aisé, elles se brisaient comme des fanfreluches dans les mains d'hommes distraits.

(j'adore cet emploi de l'adjectif "distraits", ici. L'auteur va souvent procéder ainsi, avec le choix d'un vocabulaire précis mais souvent légèrement décalé, pas le mot qu'on aurait attendu. Cela donne un sel !)

Olga avait des velléités d'écrivain, au début de son mariage. Mais, insidieusement, elle s'est éloignée de l'écriture, il y avait deux enfants en bas âge, un mari qui gagne bien sa vie, une flemme aussi ... 
Elle s'est un peu laissée aller et l'abandon de Mario la réveille d'une claque brutale.

Mario, écrivais-je afin de me stimuler, n'a pas emporté le monde, il n'a emporté que lui-même. Et toi, tu n'es pas l'une de ces femmes d'il y a trente ans. Tu es une femme d'aujourd'hui, agrippe-toi à l'aujourd'hui, ne régresse pas, ne t'égare pas, tiens bon. Surtout ne t'abandonne pas à des monologues distraits, médisants ou rageurs. Efface les poins d'exclamation. Il est parti, toi, tu restes.Tu ne jouiras plus de l'éclair de ses yeux, de ses paroles, et quand bien même ? Organise tes défenses, préserve ton intégrité, ne te laisse pas rompre tel un bibelot, tu n'es pas une fanfreluche, aucune femme n'est une fanfreluche. La femme rompue, ah, rompue, rompue mes couilles.


Mais, quand bien même la lucidité et la pensée piquante d'Olga la tiennent debout, elle court comme un poulet sans tête... 
Et l'effondrement qui la menaçait finit bien par la rattraper, un maléfique samedi 4 août (tiens, comme par hasard...) où tout, je dis bien tout, semble se liguer contre elle et se détraquer jusqu'à l'emmener très loin. 

Dans la ville désertée et caniculaire, Olga va livrer bataille sur une drôle de ligne de crête, et ferrailler toute la journée, quoiqu'engluée dans une mélasse qui l'empêche d'agir de façon appropriée : le chien est malade et semble empoisonné, son fils a lui une bonne fièvre et de forts maux de tête , or Olga n'arrive plus à ouvrir la porte blindée qu'elle a fait installer récemment, son téléphone fixe ne marche plus, elle a brisé son portable un jour de colère, aucun voisin ne semble là, elle finit par avoir des hallucinations...

Elena Ferrante réussit à nous raconter, dans ces 90 pages centrales, ce dont plus tard l'héroïne pourrait dire " le jour où j'ai failli devenir folle"... 

Après cet acmé, la narration reprend un tour plus normal, la vie d'Olga aussi , la crise va se résoudre avec toutefois des épisodes cocasses, ou salaces. 
Jamais de pathos, mais une sacrée analyse...
Un beau personnage, et quelle plume !

MIOR.




vendredi 5 août 2016

" La vie matérielle " de Marguerite Duras




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Plaisir de vacances : de passage dans une maison du Quercy, j'ai trouvé une bibliothèque bien fournie qui s'est naturellement ajoutée au sac de livres trimballé depuis Paris, et l'a même supplanté. 

On s'assoie par terre, on feuillette, on s'amuse des goûts communs et on se retrouve en train de lire goulûment un livre sur place, comme un môme qui aurait déniché l'étagère des confitures...

J'ai ainsi lu (relu) ce titre de Duras, fait d'entretiens retravaillés, composé en 1987. J'ai eu un grand bonheur à retrouver cette voix, cette pensée tantôt lumineuse d'intelligence tantôt un peu foutraque, qui affirme, assène, explique. Elle parle des femmes et de leurs maisons, de l'alcool, des hommes, de la vie ...

Je me suis toujours retrouvée à la fin des étés comme une ahurie qui ne comprend ce qui s'est passé mais comprend que c'est trop tard pour le vivre (p.10)

On manque d'un dieu. Ce vide qu'on découvre un jour d'adolescence rien ne peut faire qu'il n'ait jamais eu lieu. L'alcool a été fait pour supporter le vide de l'univers, le balancement des planètes, leur rotation imperturbable dans l'espace, leur silencieuse indifférence à l'endroit de notre douleur (p.22)

Tous les hommes sont en puissance des homosexuels. Il ne leur manque que de le savoir, de rencontrer l'incident ou l'évidence qui le leur révélera (p.38, sic)

L'hétérosexualité est dangereuse, c'est là qu'on est tenté d'atteindre à la dualité parfaite du désir. Dans l'hétérosexualité il n'y a pas de solution. L'homme et la femme sont irréconciliables et c'est cette tentative impossible et à chaque amour renouvelée qui en fait la grandeur (p.40)

Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela, ce n'est pas possible, on ne peut pas les supporter (p.47)

L'homme , il a cette tendance désastreuse de croire qu'il est un héros quand il achète les pommes de terre. Mais peu importe (p.62)

On ne sait pas quand les choses sont là dans la vie. Ca échappe. Vous me disiez l'autre jour que la vie apparaissait souvent comme doublée. C'est exactement ce que je ressens : ma vie est un film doublé, mal monté, mal interprété, mal ajusté, une erreur en somme (p.139)


Elle termine avec l'alcool. Des pages terribles. Les hallucinations. Sordide.
Des phrases pépites. Et de grosses conneries. Comme souvent chez Duras, très assertive dans sa vision du monde. En tout cas une lecture qui réveille, qui secoue. Merci Marguerite.

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MIOR.


dimanche 12 juin 2016

" Anima " de Wajdi Mouawad

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Je ne m'en remets pas. 
Je suis entrée dans cette lecture à petits pas.
Je n'arrive plus à en sortir. 
Elle me hante.


La scène inaugurale affiche la couleur : un homme rentrant chez lui trouve sa femme enceinte sauvagement assassinée. Poignardée et profanée. C'est dégueu, "bestial" serait-on tentée de dire. 

Tiens, au fait, c'est le chat qui nous raconte l'affaire, car le bonhomme, lui, est tombé dans les pommes. Ce qui se conçoit aisément. Ce sont des moineaux qui nous racontent la suite de l'histoire, depuis la fenêtre de la chambre d'hosto où il a été emmené. Puis le poisson rouge du coroner chargé de l'enquête, lequel dit à l'homme "...on va s'épargner les photos. Il y a une limite au supportable".
Bien ; on est d'accord. 
On est à Montréal, Québec, il fait froid lors de l'enterrement de Léonie -raconté par les corbeaux. 

L'homme porte un étrange prénom, Wahhch. Il part sur les traces du principal suspect, un indien Mohawk. Très bien, une chasse à l'homme, se dit-on. Il va y avoir de grands espaces, de la tension , et une bonne vengeance bien comme il faut, il n'a plus rien à perdre ce gars-là. 
Le coup du récit par les animaux , on trouve ça malin, bien vu, mais bon, frappé au coin de l'anthropomorphisme, tout de même. Un certain rousseauisme pourrait même pointer le bout de son nez, et là on ricane un peu , on ne nous la fait pas, l'homme est un loup pour l'homme et toute cette sorte de choses... facile.
Très vite néanmoins on sent que l'homme a une connexion particulière avec les animaux, ou plutôt les animaux avec lui, c'est assez étrange, ils semblent tous le reconnaître comme l'un des leurs. 
Comme le chat extra qui philosophe p.194 "les humains sont sous le joug d'une malédiction qui les exile sans cesse de leur bonheur" dans un bouge où notre homme se trouve en train de boire pendant qu'une partie de bras de fer féminin voit s'affronter Genocida Linda et Melissa The Rock. Surréaliste.

Tout cela vire grabuge, depuis la réserve canadienne il faut rapidement exfiltrer Wahhch vers les US. D'autres que lui cherchent aussi Rooney, l'assassin de Léonie , qui est tout sauf un enfant de choeur. On s'en doutait un peu. Plusieurs meurtres aux modes opératoires barbares ponctuent son chemin comme des petits cailloux.
Wahhch trace la route , il téléphone souvent à son père , dont on comprend qu'il est une figure importante dans sa vie, un repère, un ancrage.

Partout les animaux le décryptent. 
Une chienne dit : "c'est moi la première qui ai senti sa présence. J'ai entendu le bruit de ses pas, deviné sa silhouette dans l'obscurité. J'ai aboyé. Il est entré en silence dans le halo du lampadaire, homme-oiseau, portant à hauteur de poitrine ses propres ailes brisées."
Un cheval commente : "il a écrit jusqu'à l'aube et s'est couché au matin. il a fermé les yeux sur lui-même, pour ainsi dire, mais quelque chose en lui, qui compte les heures et attend son tour, ne s'est pas endormi."
Les animaux forment le choeur antique de la tragédie, en somme.

Mais quand une femme parle à Wahhch, elle dit, elle : "je ne sais pas trop ce que tu cherches, je ne sais même pas si tu le sais toi-même, mais un conseil, qui n'est même pas un conseil, mais une conviction : il n'y a rien de plus grisant que de se sentir dangereux et puissant à la fois. Savoir que l'on peut tuer celui qui est en face de nous, savoir cela, savoir que ça ne dépend que de notre volonté si l'autre garde sa vie enfermée en lui ou non, ce savoir-là, cette conscience, c'est la plus puissante drogue que l'humanité ait jamais inventée. Oublie pas ça : Rooney aime faire peur. Il aime qu'on soit effrayé par lui. Il aime avoir le pouvoir sur la vie des gens qu'il rencontre. Ca, cet instinct-là, bien plus que le rire, c'est le propre de l'humain." 

On planque Wahhch dans une bétaillière avec des chevaux en route vers l'abattoir, pour lui faire passer la frontière. Une des scènes marquantes du livre, très cinématographique, que je me garderai bien de vous raconter. 

Et là : on est à mi-bouquin, je trouvais le récit brillant mais un peu froid, un peu gore aussi parfois (oh my god, si j'avais su) et tout d'un coup ça s'accélère, ça part en vrille et je suis littéralement happée. Plus de distance, plus de retenue, je comprends -comme lui- que Wahhch est sur la trace, terrible, de sa propre histoire, celle-ci infiniment dure, douloureuse, dramatique : Wahhch est arrivé il y a longtemps du Liban, sa famille a été massacrée à Chatila, et lui sauvé providentiellement, petit enfant de la fosse aux chevaux. 
Ce sont maintenant les noms de lieux (les villes américaines de Thèbes, Illinois; Carthage, Missouri; Eureka, Kansas; Ulysses, Kansas; Genesee,Colorado; Last Chance, Colorado ) qui seront les petits cailloux qui guideront Wahhch vers la découverte qui l'anéantira et le fera renaître paradoxalement.

Je ne corne plus aucune page, j'avance , je dévore ET POURTANT: le récit est de plus en plus dur, certaines pages sont insoutenables, lues en diagonale avec les cheveux dressés sur la tête et la nausée aux lèvres.
L'épilogue sera terriblement en adéquation avec toutes les symboliques du récit, et les animaux une fois de plus au rendez-vous. 
Tout prend sens, et le soupçon que j'avais d'une forme de complaisance s'efface, Wajdi Mouawad aura voulu au fond écrire son Histoire de la Violence, et la mauviette que je suis lui dit merci pour un roman profond et brutal au-delà du raisonnable. Insupportable et magistral.


Merci à l'amie libraire qui me l'a mis entre les mains.

  
Et maintenant n'allez pas dire que je ne vous avais pas prévenus.

MIOR.


Page d'accueil du site de Wajdi Mouawad :

 Le scarabée est un insecte qui se nourrit des excréments d’animaux autrement plus gros que lui. Les intestins de ces animaux ont cru tirer tout ce qu’il y avait à tirer de la nourriture ingurgitée par l’animal. Pourtant, le scarabée trouve, à l’intérieur de ce qui a été rejeté, la nourriture nécessaire à sa survie grâce à un système intestinal dont la précision, la finesse et une incroyable sensibilité surpassent celles de n’importe quel mammifère. De ces excréments dont il se nourrit, le scarabée tire la substance appropriée à la production de cette carapace si magnifique qu’on lui connaît et qui émeut notre regard : le vert jade du scarabée de Chine, le rouge pourpre du scarabée d’Afrique, le noir de jais du scarabée d’Europe et le trésor du scarabée d’or, mythique entre tous, introuvable, mystère des mystères. 
Un artiste est un scarabée qui trouve, dans les excréments mêmes de la société, les aliments nécessaires pour produire les œuvres qui fascinent et bouleversent ses semblables. L’artiste, tel un scarabée, se nourrit de la merde du monde pour lequel il œuvre, et de cette nourriture abjecte il parvient, parfois, à faire jaillir la beauté.
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jeudi 12 mai 2016

" Villa Amalia " de Pascal Quignard

Afficher l'image d'origine- Je n'ai jamais pu supporter les gens qui se prétendent heureux.
- Pourquoi ?
- Ils mentent. Cela me fait peur.




Ce billet ne va pas être facile à écrire...
J'ai eu avec ce livre des émotions fortes , et contrastées. 
Beaucoup de mal au début, tant tout me semblait "romanesque" dans l'univers que campe Pascal Quignard dans les premières pages :
dans les premiers jours de Janvier, une femme approchant la cinquantaine , musicienne, compositrice plus exactement, décide assez brutalement de quitter son compagnon, et tout ce qui faisait sa vie jusqu'à présent. Elle n'a pas d'enfants, est seule propriétaire de sa maison parisienne qu'elle décide de vendre sans même lui en faire part (légère impression d'irréalité). Elle va orchestrer son départ comme une fuite, une cavale, ayant soin d'effacer toute trace, et de se fondre littéralement dans le paysage.

C'était un caractère très étrange : extraordinairement passive. Presque contemplative. Mais cette apparence d'inertie contenait une activité propre. Elle était profondément calme, calme sans aucune sérénité, calme de façon inlassable, opiniâtre, à tout instant concentrée. Elle n'obéissait à personne mais commandait encore moins à qui que ce fût. (p.35)

Elle ne supportait plus la présence de Thomas. Odeurs, retours, attentions, présence mendiante, bruits, linge sale, coups de téléphone, tout l'offensait.(p.77)

Ce n'était pas seulement un homme qu'elle quittait mais sa passion. C'était une façon de vivre sa passion qu'elle quittait. (p.93)

Le 20 Janvier le compte à rebours commença à s'effilocher et à hésiter. A force de consacrer son temps à ces rangements furtifs, à force de jeter en cachette, à force de préméditer le vide, une vague de détresse la submergea de manière progressive. Il est difficile de se séparer de ce qu'on a aimé. Il est encore plus problématique de se séparer de soi ou de l'image de soi. (p.73)

Deuxième partie : après une errance de quelques semaines en Europe - sa façon de "quitter le monde" - elle arrive à Naples et plus précisément sur l'île d'Ischia. C'est un coup de foudre, une révélation , une communion de tous les instants avec les paysages, la nature , la mer...et une plongée dans la solitude voulue, aimée, réclamée par son corps et son esprit. 

- Je me sens parfois très seule et je commence à aimer énormément cela. (p.117)

Elle avait l'air magnifique d'une femme qui ne pense jamais à l'impression qu'elle peut produire.

Il y a un plaisir non pas d'être seule mais d'être capable de l'être (p.295)

Tout ce bonheur culmine dans la découverte d'une maison, petite , simple, abandonnée, avec une terrasse à la vue inouïe, qu'elle investit totalement. La communion avec le site est totale.

Quelque chose, aussi intense qu'immédiat, l'accueillait à chaque fois qu'elle arrivait sur le surplomb de lave . C'était comme un être indéfinissable, euphorisant, dont on ne sait par quel biais on se voit reconnue par lui, rassurée, comprise, entendue, appréciée, soutenue, aimée . (p.136)

3ième partie : Ann redécouvre de l'amour auprès d'un homme, Leonhardt , de son enfant -Léna, une petite fille de deux ans-, puis d'une jeune femme, Giulia. 
Je ne divulgâcherai aucunement ce passage riche en péripéties et en drames...

4ième partie : ce sont les Adieux , en quelque sorte, la finitude de toute chose par la séparation ou par la mort...et une forme de sérénité au bout du chemin, vingt ans plus tard...

J'ai beaucoup cité l'auteur dont la langue est extraordinairement remarquable, bien sûr.  
On tombe à chaque instant sur des pépites, des phrases que l'on a envie de dire à haute voix puis de noter précieusement. 

Le livre est riche de bien des paradoxes : 
c'est un roman romanesque, quoique tout soit plausible ; il est juste un peu "plus" que la vie, pourrait-on dire...
c'est une sorte de mélo froid et bouleversant (Ann n'est pas à proprement parler "sympathique", sa quête d'absolu l'aiguisant comme une lame ; c'est une héroïne qui souffle le froid et le chaud, en somme, ce qui peut tenir à distance )
c'est très intello mais aussi ancré dans la chair ( pas mal de scènes de resto ...à chaque fois on a le menu, et on salive : pigeon aux fèves, lotte à la crème de laitue, bar aux trompettes de la mort , langoustes et étrilles...)
c'est plein de silence , mais également de musique (que Quignard connait bien, et dont il parle bien)
c'est une littérature très raffinée voire précieuse mais avec beaucoup de dialogues dans une langue simple (ce n'est pas un livre difficile d'accès)
c'est empreint d'une grande mélancolie, mais plein de force également.

Afficher l'image d'origineC'est un livre que je viens de lire deux fois de suite. 
Et que je pense que je relirai encore. 
C'est un livre qui opère un charme, assurément...

Je le vois peu dans la blogo. Je m'étonne.

MIOR.

samedi 16 avril 2016

" Le Palais de glace " de Tarjei Vesaas

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Editions Cambourakis

Ce bouquin, je l'avais acheté au Salon du Livre (oui, vous savez, cette grande foire aux jambons dont s'enorgueillit la capitale) et je le gardais pour la bonne bouche. Je le laissais vieillir sur mes étagères comme un bon vin depuis deux ans je crois bien... enfin arriva le temps de déboucher la dive bouteille; las, le nectar n'était pas madérisé ou bouchonné, mais le charme n'opéra pas...
Très passionnée du monde scandinave, je partais pourtant du bon pied. Mais j'ai vite senti que j'allais rester à la porte de ce fameux Palais de Glace... Je suis allée au bout, mais rien n'y a fait, quelque chose m'a été refusé sur ce texte, je n'ai pas trouvé l'entrée.
Dans une Norvège rurale d'il y a une soixantaine d'années, Siss et Unn, deux jeunes filles de onze ans vivent une rencontre capitale, un grand coup de foudre d'amitié. 
Siss est vive , populaire, décidée, Unn plus mystérieuse et discrète, mais elle aussi très "intense". 
Elle vient d'arriver il y a peu dans ce village et cette école : elle vient résider chez une tante suite à la mort de sa mère. 
En une après-midi, une seule, des liens indéfectibles sont tissés entre les deux gaminettes (dans une scène où le non-dit et le bizarre se mêlent)
Le lendemain, Unn décide de ne pas se rendre à l'école mais de se livrer, seule, à l'exploration du Palais de Glace, une cascade gelée en perpétuelle évolution vers laquelle est prévue une sortie de toute la classe prochainement. 
Elle disparaît, on la cherche (très belle scène de battue nocturne par les hommes du village) , commence une période aride et éperdue pour Siss...

Ce qui a gêné ma lecture : beaucoup de fausses pistes habilement semées par l'auteur au fil des pages... qui mettent en appétit mais qui ne trouveront jamais de réponse ; une prose poétique, certes, mais très inégalement inspirée selon les pages; et une langue étrange, certainement extrêmement délicate à restituer via la traduction. On peut d'ailleurs constater d'importantes différences entre cette nouvelle traduction de Jean-Baptiste Coursaud et la précédente. Je ne rentrerai pas dans les détails mais c'est certainement une gageure que de restituer l'univers des mots de Tarjei Vesaas ...

SURTOUT ne partez pas d'ici sans aller lire le splendide billet qu' Attila a consacré à ce livre qu'elle adore et dont elle parle magnifiquement. 
Vous y trouverez également des extraits qui vous permettront de juger si ce livre est pour vous ...ou pas 

Afficher l'image d'origineL'opus vient de ressortir chez Babel , après avoir été longtemps indisponible en poche, sous ce visuel :
MIOR.

lundi 14 mars 2016

"L'amie prodigieuse " d'Elena Ferrante

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Dans l'avion qui me ramenait de Naples, ma voisine et moi ouvrîmes en même temps le même livre, elle en italien et moi dans la traduction française. De plus nous en étions pratiquement au même chapitre, et vers la fin. 
Exclamations, amusement, discussion. "Vous aimez ? C'est une Naples ancienne, tout de même, vous savez... Ici en Italie on soupçonne qu'Elena Ferrante pourrait être un homme, en fait, qui se cacherait sous ce pseudo. C'est bien traduit ?" 

Ma foi je n'en sais rien. Tout ce que je sais c'est que je serais sûrement passée à côté de ce livre si je ne l'avais pas lu après avoir passé quelques jours à Naples... Il est tellement âpre, si peu aimable parfois... 
Je n'ai pas un grand goût pour les souvenirs d'enfance, en général, et suis toujours incrédule -et légèrement envieuse- quand d'aucuns savent retracer dans le détail le tissu dont furent fait leurs premières années. Souvenirs "racontés" et intégrés au point de ne plus même le savoir, ou vraies sensations imprimées au fer rouge dans la mémoire ? ... Ici en tout cas, un travail minutieux et surprenant pour ressusciter la mémoire collective d'un quartier, ce quartier qui protège et qui enferme terriblement , et ces deux gamines, la douce et l'effrontée, l'aimable et l'enragée, la modeste et la fascinante. 

Je me consacrai à l'école et à un tas d'autres choses difficiles qui m'étaient étrangères seulement pour rester à la hauteur de cette gamine terrible et fulgurante.
 
C'est surtout pour le récit de cette amitié ambigüe et dévorante narrée par Elena la gentille que vaut le livre ; telle une entomologiste, elle dissèque le lien indéfectible et parfois haineux qui relie "à la vie à la mort" les deux enfants, puis les deux adolescentes, à une époque où envoyer des filles à l'école, dans les milieux populaires, représentait un effort financier important et semblait encore une perte de temps, disons le tout net.
Ce n'est pas typiquement italien, quoique dans les années cinquante le problème était en voie de disparaître en France, je crois, alors que l'Italie pauvre tirait la patte. 

En la regardant je compris définitivement que, dans peu de temps, elle aurait tout perdu de son air de petite fille-petite vieille, comme on perd un motif musical très connu quand il est adapté avec trop d'inventivité. Elle était devenue sinueuse. Son front haut, ses grands yeux qui se plissaient brusquement, son petit nez, ses pommettes, ses lèvres et ses oreilles cherchaient une nouvelle orchestration, et ils semblaient sur le point de la trouver.

Le cadre de Naples est important bien sûr ; cette ville où on pouvait passer toute une enfance sans jamais voir la mer, alors que la baie est là, à quelques encablures. Cette ville où votre adresse vous classe -ou vous déclasse- immédiatement ; où la famille pesait de tout son poids sur les choix des jeunes, tyranniquement, égoïstement, banalement. Les camoristes qui tiennent le quartier, les communistes qui essayent de réveiller les conciences, les petites gens qui sont dans la survie, n'ayant pas la curiosité, même le Dimanche, d'aller plus loin que le bout de leur rue... 

Il y avait  une part d'insoutenable dans les choses, les gens, les immeubles et les rues : il fallait tout réinventer comme dans un jeu pour que ça devienne supportable. L'essentiel, toutefois, c'était de savoir jouer, et elle et moi -personne d'autre- nous savions le faire.
 
Si j'ai trouvé quelques longueurs, surtout dans la partie centrale, et me suis parfois perdue entre tous ces personnages dignes d'un roman russe, j'ai été emballée par la longue scène de mariage qui clôt ce premier volume (quatre prévus je crois ?)  de façon cruelle et brillante...

Toute la blogo s'est enflammée pour cet ouvrage et a certainement concouru au joli succès de librairie via le bouche à oreille qui fut le sien -la blogo servirait-elle à quelque chose parfois ;-) - 
Beaucoup l'ont promu au rang de coup de coeur absolu.
Je n'irai pas jusque là, mais je lirai le deuxième volume, c'est certain :-)



MIOR. 

dimanche 28 février 2016

" L'amour et les forêts " d'Eric Reinhardt

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C'est l'histoire d'une rencontre catastrophiquement ratée ...non, pas celle de l'héroïne avec son mari persécuteur -quoique- mais la mienne avec cet auteur, que Papillon entr'autres me recommandait avec feu depuis longtemps ...
Mon amie libraire en ayant remis une couche, j'ai acheté la version poche sortie récemment (Folio, 400 pages)


En une quarantaine de pages initiales, le narrateur -un écrivain dont le prénom est Eric- raconte ses deux entrevues avec une lectrice/admiratrice qui lui a adressé une belle lettre sensible à laquelle il a eu -pour une fois- envie de donner suite. Un café du Palais-Royal abrite ces deux longs rendez-vous, au cours desquels la conversation navigue entre goûts littéraires et considérations sur la "vraie" vie. Le romancier Eric n'est pas insensible au charme mélancolique de la jeune femme, professeur de lettres dans un lycée de province. Il devine des failles, un mal-être récurent, un colossal manque de confiance en soi. La suite de leurs échanges, par mail, lui confirmera que c'est de gouffres qu'il s'agit, d'un mariage tragiquement malsain qui la mine totalement. 
Il entreprend alors de nous narrer la triste vie de Bénédicte Ombredanne.

Nous sommes donc dans la veine, que dis-je, le filon du "d'après une histoire vraie". D'accord. Quand c'est Emmanuel Carrère qui s'y colle je ne fais pas ma mijaurée. 
Mais alors pourquoi tant d'afféteries dans la façon de narrer, et surtout de situations improbables ? 

Bénédicte-Ombredanne -car elle sera toujours nommée ainsi, prénom et nom accolés, histoire de faire très très littéraire pour le coup- est tyrannisée par un mari odieux, et ce depuis des années : las, quand celui-ci entend un soir "Le Téléphone Sonne" -pour un effet de réel, là, j'imagine- il s'écroule et se liquéfie toute la nuit car il s'est soudain reconnu dans les affreux pervers manipulateurs décrit par les femmes tremblantes et traumatisées qui se succèdent au micro. (Scène initiale du chapitre 2)
Super-vraisemblable n'est ce pas ? Ainsi que, dans la foulée, le fait que sa femme passe sa nuit à le moucher -pas au sens figuré, mais bien littéral...

Plus tard, car elle est quand même dégoûtée de la vie d'enfer qu'il lui fait, elle se défoule -pour la première et dernière fois de sa vie- sur Meetic ; Reinhardt se défoule lui aussi et c'est tristement drôle et puis drôlement triste aussi, mes compliments à Gentleman et Napoléon, ils sont bien gras comme il faut , j'en ai eu des hauts le coeur. Et là, Le Miracle : elle rencontre l'homme idéal, spirituel, pas avide, détaché juste ce qu'il faut, LIBRE, genre au bout d'une heure (je rappelle que les miracles sont des occurrences extrêmement rares tout de même)
Ni une ni deux, elle, (Bénédicte-Ombredanne, oui, je sais) qui n'ose jamais ouvrir la bouche ni lever le petit doigt concocte un rendez-vous pour le Jeudi suivant, ben oui, quand on croise un miracle il faut savoir dire Allelujah, Rejoice et battre le fer tant qu'il est chaud (excusez-moi, c'est Napoléon qui déteint).
Miracle tient ses promesses, il est beau comme un Dieu, un amant du tonnerre (what else) et il vit dans un cadre de rêve entouré d'objets d'art au milieu des bois (c'est sûr que dans le F3 d'une ZUP ça le ferait moins, on est d'accord)
B-O, telle une Princesse de Clèves moderne, décide et proclame qu'elle ne reverra pas Miracle après cette après-midi féerique où elle sait pourtant, de toutes les fibres de son être, qu'elle a trouvé l'amour...

Soyons clairs, à partir de là, pour moi c'était fini, Reinhardt m'avait perdue (à moins que ce ne fut le contraire)
Pourquoi le "d'après une histoire vraie" estampillé dans les premières pages, si c'était pour nous compter de telles fables ensuite, totalement "romanesques" voire rocambolesques pour le coup ? Pourquoi ne pas partir alors dans une fiction assumée laissant toute latitude au romancier ? (on aurait pu se demander si Miracle existait bien, par exemple, ça n'aurait pas été inintéressant...)

J'ai continué ma lecture, bien entendu, parce que les enfers conjugaux ont toujours quelque chose de terriblement fascinant, tant on sait, si l'on veut être tout à fait honnête, à quel point leurs cercles vicieux se fabriquent souvent à deux. Façon Sofia et Leon Tolstoï ; ou bien, sordidement, comme dans les faits divers. 

Et puis certaines pages sont futées, d'autres belles, parfois les deux :

Les ambitions qu'elle attachait au devenir de son couple avaient toujours été tellement élevées qu'elle n'avait jamais pu se résoudre à ne pas afficher, au regard de l'extérieur, même quand les choses avaient commencé à ne plus très bien marcher, les apparences d'une réussite incontestable, par orgueil certainement, ou par manque de courage, mais aussi parce qu'elle n'avait jamais désespéré qu'un beau jour la situation finisse par s'arranger, par pur idéalisme adolescent. En simulant que tout allait bien, mieux encore : en propageant l'exemple d'une plénitude conjugale à ce point rayonnante qu'elle humiliait, rendait envieux et rancuniers tous ceux qui en étaient les spectateurs, Bénédicte Ombredanne se vengeait sans doute sauvagement, aussi, il arrivait qu'elle se l'avoue, de ses espoirs trahis -elle éprouvait une sorte de joie malsaine à attiser chez les autres  ce dont elle-même agonisait en secret.  

Les profs, leur objectif, c'est de nous rendre conformes à la norme, mais moi je veux garder ma personnalité et mes défauts, qu'on n'y touche pas, qu'on essaie pas de me banaliser, ou de me faire rentrer dans un moule -tout ce qui fait mon charme c'est ce que le collège veut corriger, disait Lola quand elle était en verve. Chaque fois que Bénédicte Ombredanne entendait ce discours-là, elle bondissait. Ce sont des clichés, Lola, lui disait-elle, mais le problème c'est qu'à douze ans on ne sait pas  que ce sont des clichés, on peut les prendre pour une substance vivante qui n'appartient qu'à soi, parce qu'on sent dans son être quelque de brûlant et d'intense, d'urgent, d'intime, qui peut sembler la manifestation de sa personnalité authentique. Mais ça n'est pas brûlant parce que c'est authentique, c'est brûlant parce que c'est nouveau, c'est urgent parce que c'est soi en train de naître et ça s'appelle l'extrême jeunesse : c'est un moment magnifique, je t'envie d'être en train de le vivre, lui disait Bénédicte Ombredanne , mais les splendeurs de cette jeunesse extrême ne sont pas une fin en soi, tu dois les vivre comme la promesse d'autres états qui viendront par la suite, mille fois plus savoureux, à condition que tu saches qui tu es, afin qu'ils puissent se déployer.

Le sordide va revenir en force, dans les cent dernières pages, nous laissant pantelants, quoique prêts à arracher les yeux à ce mari monstrueux (c'est pas un peu trop, des fois ?...) 

Cuné parle d' "une immense tristesse poisseuse dont on craindrait la contagion"; 
Eva aime malgré "des scènes qui ne semblent pas plausibles et cohérentes" ; elle soulève la question d'une lectrice/admiratrice d'E. Reinhardt qui se considère vampirisée par l'auteur et va certainement lui coller un procès (long article de l'Express) ; problématique récurrente ces derniers temps...

Tout le monde ou presque semble avoir adoré (bel article de Fabienne Pascaud dans Télérama ) aussi, dix-huit mois après la sortie, osé-je cette critique enflammée. Le livre a fait son chemin et séduit beaucoup de lecteurs (ou faut-il dire de lectrices ) je ne lui ferai aucun tort...
 
MIOR.

ps: Papillon, promis, je lui laisserai une seconde chance ;-)