jeudi 21 février 2013

"La Réparation" de Colombe Schneck

dimanche 25 mai 2014

" Ce que savait Maisie " d 'Henry James



Ce que savait Maisie par James
Bon sang, pourquoi ai-je eu tant de mal ?...
Ce livre m'attendait sagement dans ma Pal depuis un bon moment, et des amies de mon club de lecture m'en avaient plusieurs fois parlé avec une sorte d'effroi et d'extase mêlés dans la voix...

L'histoire : Londres,dans les dernières années du 19ième siècle. 
Maisie, six ans, est l'enfant unique d'un couple désuni. 

Le jugement de divorce intervint " et disposa de la fillette d'une manière digne du tribunal de Salomon. Elle était coupée par moitié, et les tronçons jetés impartialement aux deux adversaires.(..) 
Chaque spectateur se se rendait clairement compte que le seul lien entre son père et sa mère était cette situation qui la transformait en une coupe d'amertume, une profonde petite tasse de porcelaine où de mordants acides pouvaient être versés. Ses parents n'avaient pas voulu d'elle pour le bien qu'ils pourraient lui faire, mais pour le mal qu'ils pourraient se faire l'un à l'autre, grâce à son aide inconsciente. Elle servirait leur colère et scellerait leur vengeance (...) nous annonce tout bonnement  le narrateur dans le prologue.

Henry James a ailleurs expliqué la genèse de l'œuvre :
"quelqu'un avait par hasard mentionné devant moi, la manière dont la situation de la  enfant d'un couple divorcé avait été affectée par le remariage d'un de ses parents... La loi de sa petite vie, cette alternance des séjours chez le père et chez la mère, se trouvait contrariée par la mauvaise volonté du nouveau conjoint. Alors que jusque là le père et la mère se seraient disputé agressivement l'enfant, soudain l'époux remarié ne penserait plus qu'à s'en débarrasser et à la laisser, au-delà du temps prescrit, sur les bras de l'adversaire ; acte de mauvaise foi qui éveillerait le ressentiment de l'autre et lui inspirerait le désir de se venger par une tricherie de même nature. La pauvre enfant se trouverait ainsi pratiquement désavouée, rebondissant de raquette en raquette comme une balle de tennis ou un volant. Cette image ne pouvait que toucher l'imagination et lui apparaître comme le commencement d'une histoire...Je me souviens d'avoir aussitôt pensé que,  pour assurer une symétrie convenable, le second conjoint devrait se remarier aussi."

Tant de noirceur , d'inconstance et de cruauté ne seraient pas si modernes finalement ... Et ce qui serait plutôt de notre temps serait la notion d'intérêt supérieur de l'enfant et le respect que l'on cherche à lui garantir en tant que personne à part entière, dans les jugements de divorce contemporains.

Alors, certes, le sujet semble passionnant, quoique malsain et inconfortable. 
Mais,fichtre, que ce récit m'a semblé long ! De fait , pas loin de quatre cents pages.
 Il faut dire qu'il a paru d'abord en feuilleton, en 1897, ceci explique peut-être cela. 
On ne saurait probablement incriminer la traduction de Marguerite Yourcenar, mais le style est curieusement inégal, tantôt fulgurant mais aussi parfois un peu flou au contraire (il m'est arrivé de relire plusieurs fois une phrase pour comprendre ce qu'elle voulait vraiment dire)

La narration prétend représenter le point de vue de Maisie, son ressenti ; ce but n'est que partiellement atteint, à mes yeux, tant il est difficile de parler pour un enfant, en son nom. Ce qui est vrai  en revanche, c'est qu'on finit par se sentir comme elle totalement désorienté, bousculé, déstabilisé. Nié pratiquement. Maisie devient tour à tour un enjeu et un boulet pour des parents indignes et des beaux-parents qui ne le sont pas moins. Immatures, inconstants, égocentriques et vains. Un vrai jeu de massacre ... aucun adulte n'en sort grandi. 
Mais le côté bavard et redondant de l'oeuvre m'a gênée. Je crois que je ne comprends pas bien le Henry James de la maturité, qui est pour moi une sorte de Proust anglo-américain (intelligence et introspection) ...mais avec un coeur froid.
 Je lui préfère le jeune Henry James, qui m'avait tant enchantée l'été dernier avec "Washington Square" (1880) : pas un mot de trop, du "dégraissé", et pourtant sulfureux déjà, ô combien...

Enfin , voilà, dans la série "Mior révise ses classiques", il me reste la fierté d'être allée jusqu'au bout ! 


La Réparation

Je viens de lire d'une traite ce beau et douloureux récit. 

Comme il y a quelques années Mendelssohn écrivant "Les Disparus" , Colombe Schneck s'est sentie, au moment de sa propre maternité, investie de l'absolue nécessité d'enquêter sur sa famille juive disparue au ghetto de Kovno, en Lituanie.



Colombe Schneck confesse que si elle s'était jusque là contentée de récits sommaires sur l'histoire familiale, elle devinait dans le silence obstiné de sa mère et sa grand-mère (déjà installées en France au moment des faits) des abîmes de non-dits et d' opacité. 
Et en effet , un secret de famille a rongé ces deux femmes, alors que d'autres membres de la famille se révèlaient extrêmement résilients, comme elle le mettra en lumière par son enquête.

 La traversée de la Shoah est restée au sens strict du mot "indicible" pour la plupart des survivants, qui ont voulu protéger leurs enfants des récits atroces qu'ils auraient pu leur faire. Ils ont voulu vivre, ont en quelque sorte renoncé à la parole et enkysté en eux leurs souvenirs et leur douleur . 
Ce n'est généralement que sur le tard  que les enfants (comme Art Spiegelmann dans "Maus") ou les petits-enfants (comme Mendelssohn) ont réussi à extirper enfin la parole de leurs ascendants.

Il n'y a pas de transmission aux enfants et aux petits-enfants. Le monde d'avant est enterré et il n'en reste que quelques survivances. Les cornichons au sel , la vodka à l'herbe de bison, les gâteaux au pavot et la kacha. J'ai cinq ans , douze ans, vingt ans, trente cinq ans, je déjeune chez Ginda, le menu est d'année en année le même. ...
...Je pose des après-midi entiers à feuilleter ses albums, je ne pose aucune question. Je suis enfant, adolescente puis adulte, je ne sais pas ce que je cherche. Il n'y a aucune photo de Salomé, je ne connais pas son existence. J'attends qu'elle me raconte une histoire que je n'ai pas envie d'entendre.

Si le récit est par nature dramatique, il n'est pas sinistre et parfois cocasse :

...j'avais douze ans , c'était mon premier voyage en Israël. Je n'en revenais pas :"Tous les gens qui vivent ici sont juifs ?" Je les regardais avec curiosité, il y en avait de toutes sortes, des vendeurs de falafels ambulants, des conducteurs de bus, des réceptionnistes d'hôtel. Tous les Juifs que je connaissais en France étaient médecins, psychanalystes ou professeurs d'université, déprimés, trouvant le gefilte fish délicieux, se moquant des goys, incapables de mener une discussion sans que les mots "Juif" et "camp de concentration" ne s'introduisent toutes les cinq minutes,angoissés, paranoïaques, chiants, voulant coucher avec toutes les filles, cuisine exécrable, pommes de terre bouillies, compote de fruits secs, carpes farcies, harengs rabougris, constipés et obsédés par leurs problèmes intestinaux, en parlant tout le temps comme si c'était un sujet de conversation valable, insomniaques, se lamentant pour des choses ridicules, malheureux, seuls, dix ans d'analyse, aucun résultat, pessimistes, il n'y aura plus de place au cinéma, au restaurant, dans le train, à l'hôtel, car tu n'as pas réservé, raides , incapables de tendresse,  incapables de faire un compliment, détestant la terre entière , surtout leur belle fille, méprisant les séfarades, fait toujours trop froid , ne s'en sortent pas, ne parlant pas, coupables , parfois drôles, peur de tout.

L'écrivain va se rendre en Lituanie, en Israël et aux Etats-Unis pour démêler la pelote de cette histoire familiale , de 1939 à nos jours (je vous conseille un petit arbre généalogique pour ne pas perdre le fil, mais rassurez-vous ça n'est pas un roman russe !)

...Salomé était une petite fille très joyeuse.
- Est-ce qu'elle comprenait qu'elle vivait dans un ghetto, qu'elle était en sursis ?
- Je ne crois pas. Nous, les grands, on lui répétait tout va bien , on va bientôt rentrer à la maison. On mettait beaucoup d'énergie à protéger les enfants, qu'ils ne se rendent compte de rien.
"Quand j'étais enfant , on nous protégeait de la mort. ... Chez nous , les enfants n'allaient jamais aux enterrements. Dans le ghetto, Salomé et Kalman vivaient ainsi, rien de mal ne pouvait leur arriver. La mort, la maladie, la faim, la peur n'existaient pas pour eux,  on gardait tout cela en nous afin qu'ils ne s'aperçoivent de rien.
Et puis, toute la famille a été sélectionnée le 26 Octobre 1943.


Ce qui est toujours étonnant, c'est que même quand on a lu beaucoup de récits sur la Shoah, même si on peut avoir une bonne connaissance préalable des évènements , chaque histoire de famille reste bouleversante dans SA vérité , et chaque témoignage est un "Tombeau" aux disparus sans sépulture, victimes de la Shoah par balles ou par le gaz .

Et à chaque fois , c'est un silence consterné qui s'abat sur le lecteur quand il referme l'ouvrage. 
Et c'est tant mieux. 
Car ces histoires nous touchent profondément, alors que les survivants des camps nous quittent les uns après les autres.
Je remercie Colombe Schneck de m'avoir parlé de sa cousine Salomé , de ses tantes Raya et Macha , les soeurs de sa mère.

La culpabilité qui m'entravait depuis toujours s'est levée. Cette question , vivre sans ses enfants ou mourir avec eux ? La réponse de Raya et Macha de vivre et de vivre entièrement, m'a portée. Je veux tout savoir . 

Mior.


2 commentaires:

  1. Une lecture en demie teinte pour moi, principalement en ce qui concerne la construction du récit, beaucoup de redites, un peu trop de distance avec le sujet mais peut-être était-ce de la pudeur...

    RépondreSupprimer
  2. effectivement , pour moi nulle distance "calculée" de la part de l'auteur, mais plutôt de la pudeur ...et une forme d'auto dérision qui fait du bien dans ce contexte ( pas de pathos, plutôt des questionnements sur l'angle de vue de l'auteur, ce côté vertigineux d'être ici et maintenant, forcément protégée de ces tragédies... qui font pourtant partie de son histoire familiale, dépression et froideur de sa mère, tabou familial, malaise diffus pour elle-même etc...)
    J'ai lu ce texte d'une seule traite (il n'est pas très long)et cela m'a paru profitable: le récit est cohérent , pas redondant, et pour moi ce secret de famille, quand il éclate à peu près à mi-volume, m'a paru stupéfiant. J'ai été touchée et ai voulu le dire , car je trouve que les blogueurs ont eu la "dent dure" avec ce récit, un peu injustement
    Merci de votre commentaire, au demeurant !
    Mior

    RépondreSupprimer

Merci de votre visite, et de votre commentaire ;-)
A bientôt !
Mior