lundi 21 octobre 2013

" Cherchez la femme " d'Alice Ferney

chez Actes Sud

Lu dans le cadre du Prix ELLE

Alice Ferney, dans ce très long roman, semble avoir le projet de tout nous raconter de l'itinéraire d'un couple .
 Rencontre , vie , mort du couple , mort des protagonistes.
Bien sûr , le sujet a de quoi passionner -surtout les femmes,en général, hmm - mais il y a aussi de quoi se casser les dents, après que ce sujet ait été traité tant de fois et par les plus grands, non ?
Mais ne soyons pas injuste , le livre commence bien , avec la description à la loupe de la genèse et l'éducation de Serge Korol , l'homme de ce livre ( à qui il est dédié ; serait-il de l'entourage direct de l'auteur ? Ce point est un peu gênant par la suite tant le portrait du dédicataire est sans complaisance )

Alice Ferney démontre d'abord à quel point dans un couple on n'est pas deux mais six ! en comptant les deux couples parentaux d'origine.

 Rencontre, illusions ou aveuglement et dés pipés, semble-t-elle dire :
...Couple heureux sans histoire avec malentendu. Aucun des deux n'a idée de ce qui anime son alliance. Des croyances excessives (Il tient à moi. Je suis unique pour lui), des colères ridicules (Cette femme est dure), des émotions légitimes (Nos enfants sont beaux) s'incorporent à leur histoire.

Et ils furent mariés "à double tour"   (p.251)

Et puis c'est l'amertume de la maturité insatisfaite qui s'empare du beau Serge. 
Sa vie l'étouffe. Alors même qu'il manque d'étoffe -contrairement à Marianne l'épouse qui elle bénéficie d'un portrait flatteur (peut-être un peu trop ? La solidarité féminine semble jouer à fond ! ) 
Marianne est positive , dynamique, créative , dévouée, elle sait trouver son bonheur; elle est attachante et presque agaçante (à la limite de la sainteté, lol) 
Serge est intelligent mais vain ; il a définitivement été gâté par un amour parental démesuré. C'est un monstre d'orgueil. 
C'est là que le bât blesse pour la lectrice que je suis : les forces sont inégales , a-t-on envie de s'exclamer! Serge donnant en permanence de quoi l'accabler, et de plus en plus, au fur et à mesure du déroulement du récit.

Serge s'acharnera sur Marianne avec la plus évidente mauvaise foi afin d'obtenir un divorce qu'elle ne souhaite pas :
Elle connaissait la réponse: elle avait parcouru tout son chemin avec celui-là, elle ne voulait pas d'autre mari.
Tout en elle savait qu'elle ne voulait pas vivre sans Serge.
J'ai conçu mon existence avec cet homme. Je l'ai choisi , il n'a pas de substitut. Il me plaît. Ses défauts, je m'y suis habituée, qui ne sont pas de ceux qui me gênent. J'aime l'idée de lui que je me suis faite à travers le mariage. Jamais je n'ai renié le choix originel. J'aime notre alliance. J'ai passé ma jeunesse avec lui, je me la rappelle trop pour vivre la maturité avec un autre. C'est avec lui que j'aime mes souvenirs. Avec lui que je peux me les remémorer. Vieillir sous le regard d'un homme qui a connu ma fraîcheur me sera moins cruel. Je pense sans le craindre à l'avenir avec lui. J'espère que l'un tiendra la main de l'autre à l'instant de mourir. Ma tombe sera la sienne. J'élève avec lui trois enfants. Lui seul peut m'écouter en faire l'éloge. Je partagerai sa descendance. J'aime vivre avec lui. J'y suis habituée. Ce n'est pas un argument péjoratif, la saveur de l'habitude est grande et rassurante. J'ai besoin de lui. Ma vie sans lui ne serait pas la mienne. Désormais il existe entre nous une appartenance : je lui appartiens et il est une part de moi-même. J'ai offert à ce compagnon mon attention et mon élan, mon temps et le cadre de mes jours. J'ai déposé à ses pieds ce qui fait de moi ce que je suis. Je n'aurai pas d'autre mari. Il y a dans ce qui me lie à lui quelque chose d'irrémédiable autant que d'irremplaçable. Je ne sais pas l'imaginer avec une autre femme. Je ne peux m'imaginer avec un autre homme. Un autre serait une rencontre , une découverte, un éblouissant moment peut-être, mais jamais ce chemin qui va du commencement à la fin. Parce que le commencement a déjà eu lieu , et c'est avec Serge que je l'ai joué.


Voilà , si cette mystique de l'amour conjugal vous indispose , passez votre chemin !
Sinon, vous trouverez de belles pages dans ce (très, trop ?) long ouvrage.
De belles études de caractère en particulier (la "monstrueuse" mère de Serge)

J'ai lu cinq livres d'A.Ferney , dont ce dernier, et je dois dire que je trouve son oeuvre inégale ; mon préféré reste incontestablement "l'élégance des veuves" , qui porte bien son nom.

Alice Ferney a quelque chose de démodé qui fait son charme mais aussi sa limite .
C'est d'un univers un peu bourgeois, dans le fond, ou tout au moins très classique (comme son écriture d'ailleurs) qu'elle parle. 
Ses couples ont peu à faire avec l'époque contemporaine, alors on aime ...ou pas .
Bien sûr elle veut se placer sur le plan de l'éternel de l'amour,et elle y réussit mais en partie seulement.
J'ai été surprise et déçue, par exemple, que dans son souci d'entomologiste elle ne consacre pas la moindre attention à l'univers sexuel de "son" couple. Une seule page décrit Marianne dans l'amour, et cette page est fort belle. 
Pourquoi passer sous silence cet aspect de la relation, pourtant si crucial en vérité ?
 Il y a là une pudeur qui me semble à la limite du coincé, et qui minore l'intérêt de la démonstration "totale" promise. 
La parentalité est évacuée également assez vite ; et pourtant quelle incidence dans l'histoire des couples au long cours , quelles transformations exige-t-elle ...

Le livre est souvent redondant, l'analyse fine , le style un peu lourd (aucun humour mais un certain sens du tragique) le fond du propos assez noir (nous ne faisons pas de "vrais" choix mais sommes bringuebalés par des affects ne nous appartenant parfois même pas en propre) . 
Pas franchement réconfortant ?
A vous de voir !



Une note pour ELLE : 13 (assez bien)


MIOR.

6 commentaires:

  1. J'ai beaucoup aimé les premiers romans d'Alice Ferney et depuis le grandiloquent Passé sous silence, je n'ose plus, j'ai trop peur d'être cruellement déçue. J'avais été très touchée par Grâce et dénuement, et par Dans la guerre.

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    1. c'est une oeuvre variée ...et variable . J'aime bien quand Alice Ferney ancre l'action dans le passé , comme dans "l'élégance des veuves" ou "dans la guerre" . 1920 lui va très bien !
      Mior

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  2. Je ne l'ai pas encore lu, mais la plupart des jurées l'ont perçu comme toi ! Un peu trop long, un peu trop redondant, un peu trop bourgeois aussi peut -être!! Certaines l'ont adoré, parce qu'il est très bien écrit.Ton billet est en demi-teinte , j'ai donc hâte de me faire mon avis sur ce livre (sachant que j'ai abandonné l'un des romans de Ferney)

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    1. c'est vrai que je suis très mitigée sur ce bouquin ... peut-être parce que le mari est à fuir !! (à mes yeux du moins...)
      Mior

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  3. Je suis d'accord avec toi, mais il m'a bien captivée. Je ne dirais pour ma part même pas qu'il est trop long. Au final je lui ai mis, je crois, la même note que toi. je ne le trouve pas aussi exigeant qu'il veut nous le faire croire

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  4. Ce roman est assez captivant , c'est certain...même si il est difficile de ressentir de la sympathie pour Serge , l'époux.
    En y repensant , je dirais que ce sont les personnages des parents de Serge qui sont le plus finement évoqués
    Alice Ferney les analyse impitoyablement, les décortique , les dissèque littéralement !
    Cet aspect là du livre est assez impressionnant (réussi)

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Mior