samedi 1 mars 2014

"Les évaporés" de Thomas B. Reverdy


Quatrième de couverture :

 Ici, lorsque quelqu'un disparaît, on dit simplement qu'il s'est évaporé, personne ne le recherche, ni la police parce qu'il n'y a pas de crime, ni la famille parce qu'elle est déshonorée. Partir sans donner d'explication, c'est précisément ce que Kaze a fait cette nuit-là. Comment peut-on s'évaporer si facilement ? Et pour quelles raisons ? C'est ce qu'aimerait comprendre Richard B. en accompagnant Yukiko au Japon pour retrouver son père, Kaze. Pour cette femme qu'il aime encore, il mènera l'enquête dans un Japon parallèle, celui du quartier des travailleurs pauvres de San'ya à Tokyo et des camps de réfugiés autour de Sendai.
 Mais, au fait : pourquoi rechercher celui qui a voulu disparaître ? 

Les évaporés se lit à la fois comme un roman policier, une quête existentielle et un roman d'amour. D'une façon sensible et poétique, il nous parle du Japon contemporain, de Fukushima et des yakuzas, mais aussi du mystère que l'on est les uns pour les autres, du chagrin amoureux et de notre désir, parfois, de prendre la fuite.

Cette quatrième est trop bien faite ! aussi je ne rajouterai pas grand chose sauf que j'ai pris un extrême plaisir à cette lecture.
Chapitres courts, langue simple, Thomas Reverdy ne cherche pas à "faire littéraire" mais une poésie certaine se dégage de son texte, forme et fond.
On apprend au passage beaucoup de choses sur le Japon contemporain, Fukushima compris:

Le tsunami avait brutalement jeté des milliers de personnes sur les routes. La reconstruction durerait des années. La zone d'exclusion demeurait inhabitable. Malgré les aides d'urgence, les dédommagements ne viendraient qu'au terme de procès qui prendraient au moins dix ans , dans lesquels l'Etat, la compagnie électrique et les assurances se rejetteraient la responsabilité de la catastrophe, regrettant de ne pouvoir l'attribuer à quelque dieu caché, au destin, à Monsieur Pas-de-chance. Ceux qui avaient des dettes ou qui avaient sombré avec le traumatisme avaient rejoint Tokyo dans l'espoir de refaire leur vie. Certains, pour des raisons qui leur appartenaient,en avaient profité pour disparaître.Beaucoup avaient erré , ballottés comme des débris de vaisseaux fantômes dans la campagne submergée, toutes amarres rompues, familles disloquées, parents perdus, maisons effondrées , anéanties, éparpillées sur la plaine en compagnie de carcasses de voitures et de bateaux, de wagons fracassés, d'arbres déracinés, de morceaux de route arrachés, de rochers , de chiens redevenus sauvages se nourrissant de vaches abandonnées, de cadavres aussi: il y en avait partout , dans les maisons éventrées, parmi les ruines, sur le rivage où la mer les ramenait sans cesse pendant des semaines, assez de morts pour transformer des bancs de maquereaux en piranhas, et tous ces gens qui erraient étaient comme à la dérive au milieu des restes de leur monde. La mer s'était retirée, mais il n'y avait plus de port où rentrer.
Ils n'avaient plus de bagages.

Alors ils avaient échoué ici, à San'ya.

...Richard B. avait vraiment du mal avec le Japon. C'est la langue. C'est de ne pas comprendre ce que les gens disent, de ne pas pouvoir lire le nom des stations de métro ou les panneaux dans les rues. Tout à coup les livres dans les librairies deviennent des objets absolument mystérieux et sans usage:de petits volumes rectangulaires de papier reliés et couverts de pattes de mouche, à quoi cela peut-il bien servir? On ne distingue ni titre ni auteur ni même le type de bouquin.C'est humiliant . Au Japon , soudain, on est analphabète. Le classement des aliments, pour ceux qu'on arrive à reconnaître, n'est pas le même dans un supermarché américain ou japonais. Les couleurs ne concordent pas : il y a des boîtes de tomates vertes, des brosses à dents et des cotons-tiges noirs, des tubes de dentifrice marron. Il y a au moins quinze sortes de wasabi, mais pas de moutarde. Des packs de lait bleus, verts, rouges, sans que ça corresponde à leur teneur en crème.Sans compter tous les aliments dans des cartons, des boîtes, des emballages sur lesquels, s'il n'y a pas la photo dessus, vous, analphabète, vous ne savez pas ce que c'est, aucune chance. Et c'était pire au restaurant.

P.119 à 122 : savoureuse "liste des raisons de disparaître" !

Petit haïku du poète américain Richard Brautigan, souvent cité (lui aussi , comme Thomas Reverdy , a vécu au Japon)

                                       J'aime ce chauffeur de taxi
                                     qui fonce dans les rues sombres 
                                                 de Tokyo
                                    Comme si la vie n'avait aucun sens.
                                             Je me sens pareil.



Un mélange très réussi entre désinvolture et gravité, vraiment.

MIOR

3 commentaires:

  1. Je l'avais noté à sa sortie, et puis il a été le malheureux des prix le pauvre...je l'ai un peu oublié et une blogueuse en a fait un coup de coeur...plus toi maintenant avec ce billet enthousiaste et hop il remonte en haut de ma liste...

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    1. j'aime beaucoup le Japon , c'est peut-être nécessaire pour apprécier ce bouquin? auquel j'ai trouvé un très grand charme

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  2. Je viens de le lire, et je l'ai aussi beaucoup aimé ! (Laure)

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A bientôt !
Mior