mercredi 14 janvier 2015

" Martin Eden " de Jack London

Une semaine s'est passée depuis le terrible 7 Janvier 2015, une date que nous n'oublierons certainement pas. Après le temps de l'émotion viendra celui de la réflexion. Nous avons du travail ...

Mais puisque la culture est un des remparts contre le fanatisme et la barbarie -du moins peut-on continuer à l'espérer- lisons, partageons, bagarrons nous -mais alors très gentiment...- et enthousiasmons nous, encore et encore...




MARTIN EDEN (JACK LONDON) dans auteurs américains martin+eden-couverture

Quel type , ce Martin ! J'avoue être tombée sous le charme très vite. 

L'oeuvre de Jack London, j'avoue que je ne la connaissais pas, c'était un peu "into the wild" et pas grand chose de plus dans mon imaginaire.

Eh bien si, et ce Martin Eden m'a passionnée.

Oakland, Californie, vers 1900. 

Martin Eden , jeune type de vingt et un ans issu de la classe laborieuse la plus modeste, rencontre une jeune fille de bonne famille, Ruth Morse -il a sauvé son frère d'une rixe fâcheuse. 
C'est le choc, amoureux mais peut-être plus encore, culturel et social :

Il était donc à la fois perturbé par sa propre inadéquation et charmé par tout ce qui se passait autour de lui. Il découvrait qu'un repas pouvait être autre chose qu'une fonction alimentaire. Il ne savait pas ce qu'il mangeait. Pour lui ce n'était que de la nourriture. A cette table où manger était un acte esthétique -et même intellectuel- il se repaissait de beauté. C'était surtout son esprit qui était en appétit. Il entendait des mots dont il ignorait le sens, d'autres qu'il n'avait rencontrés que dans des livres et qu'aucun homme ou femme de sa connaissance n'eût été capable de prononcer. Chaque fois que de tels mots tombaient négligemment des lèvres d'un membre de cette merveilleuse famille -sa famille à elle- il était en extase. La beauté idyllique et l'élévation spirituelle devenaient réalité. Il était dans cet état rare et béni que l'on éprouve en voyant ses rêves quitter les châsses du fantasme pour entrer dans le domaine des faits .

Les parents de Ruth , tout en surveillant bien sûr du coin de l'oeil, ne s'opposent pas formellement à ce qu'elle revoie ce drôle de gaillard, baraqué, buriné, qui raconte ses aventures de marin. Il a quelque chose d'exotique, et ma foi , Ruth a déjà vingt-quatre ans et ce n'est pas une mauvaise chose qu'elle "s'éveille" .

Martin, à qui l'amour donne des ailes, a un appétit de vie et de connaissances hors du commun. 
La donzelle, faisant des études de lettres, commence par corriger ses fautes de syntaxe ? Martin se plonge dans l'étude de la grammaire et parle bien tôt aussi bien voire mieux qu'elle. 
Tout est à l'avenant : il décide d'explorer bien des domaines, d'un éclectisme total, dévorant tout ce qui lui tombe sous la main, fréquentant à présent les bibliothèques, rationalisant ses apprentissages, se restreignant bientôt à quatre maigres heures de sommeil car la tâche est immense. 

Et bientôt, sa décision est prise : il sera écrivain. Récit de voyage pour commencer. Facile.

Son récit fut achevé en trois jours frénétiques. Mais, quand il l'eut recopié soigneusement, dans une large écriture facile à lire, il découvrit l'importance et la fonction des paragraphes et des guillemets dans un manuel de rhétorique glané à la bibliothèque. Il n'avait jamais pensé à ces détails. Il se mit donc en devoir de réécrire son article en se conformant aux préceptes du manuel et en apprit davantage en un jour qu'un écolier moyen en un an.

Martin , c'est LA figure de l'autodidacte. 

Martin Eden avait toujours été dévoré de curiosité. Il voulait savoir. C'était pour cela qu'il avait couru le vaste monde.

Certes, il s'instruit pour "mériter" Ruth et se hisser à son niveau -il croit naïvement que cela suffira pour être accepté dans son milieu...- mais plus fondamentalement, dès qu'il commence à étudier, son incroyable appétence lui ouvre des horizons merveilleux qu'il ne songe plus qu'à investir totalement au prix de grands sacrifices, lui qui est pauvre à lécher les murs.

Le mythe de Pygmalion est ici inversé : pour une fois c'est une femme qui favorise l'accès à la connaissance -bien qu'elle même ne soit pas réellement d'une grande intelligence, au fond, bien trop bourgeoise et convenue pour cela, et ne connaissant rien de la vie, pour le coup...  ( La bourgeoisie est timorée. Elle a peur de la vie. )

Il redevenait de la glaise entre ses mains, aussi désireux d'être modelé par elle qu'elle l'était de le façonner à l'image de son idéal masculin. Et, comme elle lui faisait remarquer l'opportunité du moment, les examens d'entrée au collège commençant le lundi suivant, il déclara sans hésiter qu'il s'y présenterait. 

Bientôt Martin découvre la philosophie évolutionniste et la sociologie , au travers de l'oeuvre d'Herbert Spencer (à l'époque plus connu que Darwin). Il se passionne pour les idées socialistes, veut tout embrasser et s'il renonce à l'étude du latin, ce n'est que par manque de temps ...
Le livre se perd parfois en digressions, débats d'idées, qui certes l'alourdissent mais lui permettent également de s'affranchir des codes du classique roman d'amour. 

Il est clair que Martin est un alter de Jack London , lui-même baroudeur , ayant pratiqué tous les métiers et beaucoup traîné sa bosse avant de découvrir sa vocation littéraire, et devenir un des premiers écrivains "à succès" de son vivant.

Un passage assez hallucinant de réalisme nous raconte quelques mois passés à travailler comme blanchisseur, à un train d'enfer, jusqu'à l'abrutissement total qui vous fait inévitablement tomber dans la boisson :

La boisson n'était que l'effet, ce n'était pas la cause. Elle suivait le travail aussi inévitablement que la nuit suivait le jour. Ce n'était pas en se transformant en bête de somme qu'il atteindrait les cimes, tel était le message que lui murmurait le whiskey.

Car enfin , Martin n'arrive pas à percer. 
Les éditeurs lui renvoient impitoyablement ses manuscrits, ils se ruine en timbres et accumule les refus , retravaillant ses textes , sûr de progresser , sûr aussi de ne pas vouloir lâcher. Il connaitra la faim, le vélo mis au clou , ou pire, son seul bon costume, ce qui l'empêche d'aller diner chez Ruth (double malheur...)

Ce sont des mois et des années de galère, nous finissons comme lui par être harassés, abrutis de fatigue, quand à la page 378... arrive enfin le succès .
Mais pour Martin , qui a connu des revers dans sa relation avec Ruth, c'est trop tard. Il subit un effondrement subit, malgré l'argent qui coule enfin à flots, et la reconnaissance tant attendue. 

Martin Eden , c'est le récit d'un homme qui s'enfante tout seul, qui s'extrait à la force du poignet d'un milieu fruste pour acquérir une VRAIE intelligence , pas un vernis intellectuel qui fait illusion. C'est le récit de la vie comme apprentissage, fondamentalement. 

Martin est un personnage profond , honnête, passionné, parfois partial, avec des marottes, des entêtements magnifiques, et cette volonté, superbe , qui lui permet de passer là où d'autres finiraient par mordre la poussière. 

Bon sang , que je l'ai aimé, ce gars là !

Volontairement je ne vous raconterai pas la fin , de façon à vous laisser une fraîcheur de lecture, je vous dirai juste que je l'ai trouvée magnifique.
Et j'ai compris pourquoi Martin Eden était le livre de chevet d'un ami perdu...

MIOR.


8 commentaires:

  1. Si je me faisais une étagère des indispensables, il en ferait partie... je compte bien le relire ! Par contre, j'ai été déçue par les lettres à ses filles parues récemment (il est tout petit, si tu veux, je te l'envoie, mais ce n'est pas aussi formidable que Martin Eden, loin de là !)

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    1. Ouah, c'est vraiment sympa ! L'homme London qui apparaît en transparence dans Martin Eden m'attire et me donne envie de mieux le connaître, j'avais repéré ce petit opus des lettres à ses filles en effet
      Merci Kathel

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  2. Tout comme toi, quand j'ai découvert ce livre, il y a une vingtaine d'années déjà, j'ai été enthousiasmée, éblouie, estomaquée de n' avoir pas plus souvent entendu parler de ce véritable chef d'œuvre. Il reste un de mes meilleurs souvenirs de lecture depuis et tout comme Kathel , je le relirais bien volontiers. Commencé presque dans l'indifférence, j'y avais passé la nuit entière et je me souviens parfaitement bien encore des circonstances, du lieu, de l'atmosphère de ce moment-là, ce qui n'est pas si courant malgré tout pour mes autres lectures!

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  3. ...je savais que c'était à lire , mais je ne m'attendais pas à si bien . J'en ai dégusté la lecture, un peu comme un alcool fort, et je crois bien que je n'oublierai pas Martin de si tôt , moi non plus !
    Quel plaisir , que de (re)découvrir un bon classique ;-)

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  4. tu as un don pour donner envie de lire un livre ! PASC

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    1. merci Pascale ! J'y repenserai quand j'aurais (une fois de plus) envie de fermer ce blog ;-)

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  5. J'ai trouvé ton article et partage évidemment ton enthousiasme.
    Après cette lecture bouleversante, j'ai donc acheté la biographie de London signée Jennifer Lesieur. J'en lis peu mais cette œuvre m'a donné envie de le connaître mieux.

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    1. ...ton billet est très beau ( et en fait je trouve que nos billets se complètent bien ;-)
      Quel personnage attachant , et , partant , l'homme caché derrière ...

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Merci de votre visite, et de votre commentaire ;-)
A bientôt !
Mior