mercredi 28 janvier 2015

" Passés par la case prison " , ouvrage collectif

Huit anciens détenus , huit auteurs ; huit textes en forme de portrait littéraire, succédant à une interview, intercalés avec huit photos avant/après et quelques pages de chiffres et d'informations.

À l'arrivée un bouquin passionnant publié aux Editions La Découverte par l'Observatoire International des Prisons , dans le cadre de leur campagne " Ils sont nous".

Oui , cet intitulé prend une profondeur et une résonance toute particulière dans ce mois de Janvier 2015, ne trouvez vous pas ?

" Ni victimiser ni moraliser. Montrer la complexité d'histoires, de contextes et de raisonnements singuliers qui ont mené derrière les barreaux. Donner à voir l'effet d'un emprisonnement dans ces trajectoires. Telle était la démarche" (OIP)






L'OIP pose constat tout d'abord : " La prison, c'est cher . Une année d'incarcération coûte en moyenne 32 000 euros par personne détenue. Contre 1 014 euros pour des peines alternatives comme le travail d'intérêt général et le sursis avec mise à l'épreuve . 
Une journée de détention coûte 85 euros  en maison d'arrêt et 196 euros en maison centrale. (...) Entre 2006 et 2013 , plus de 2,7 milliards d'euros ont été consacrés à l'accroissement du parc carcéral (...) Aucune étude n'a permis de prouver l'effet dissuasif de l'emprisonnement sur la délinquance , ni son efficacité à prévenir la récidive. C'est en réalité le caractère certain d'être " pris" qui influence les comportements et non la sévérité de la sanction. "

Comme dans le cas de Christophe L. tel qu'il le raconte lui même :

Dès le premier cambriolage , je deviens accro. L'adrénaline . L'attrait de l'interdit . La sensation de faire un bras d'honneur à la société a aussi joué dans mon cas. J'avais essayé plein de jobs et me retrouvais sans rien. (...) J'ai pris six ans , tout comme mes coéquipiers : ça les valait. (...) Je m'étais toujours dit qu'un jour ou l'autre, je serais incarcéré, mais j'avais décidé que cela ne m'arriverait qu'une fois. Dès le départ, le risque de "tomber" était présent dans mon esprit, ce qui n'a d'ailleurs rien empêché.
(...) Je sors affûté comme une lame, je suis dans la violence , ce qui n'était pas le cas avant . Je ne laisse plus rien passer et je pars au quart de tour.
(...) J'ai découvert que je pouvais utiliser ma colère autrement qu'en menant ma petite guerre, seul dans mon coin.

Christophe anime actuellement un jardin collectif dans sa cité. Des gamins qui cassaient des bagnoles viennent donner à manger aux poules le soir...
C'est Philippe Claudel (de lui , avez-vous lu "Le bruit des trousseaux"? ) qui le portraiture.

D'autres plumes célèbres se sont engagées dans ce projet : Gérard Mordillat, Nancy Huston,Virginie Despentes, Marie Darieussecq et Pierre Lemaitre mais encore Mohamed Kacimi et Olivier Brunhes.


Il y a le portrait de Sacha Y., vint-trois ans, qui s'est trouvé tragiquement impliqué dans les émeutes urbaines de 2005, et qui, poursuivant son projet de devenir avocat, a passé ses examens en prison.
"La justice telle que je l'ai connue ne laisse pas la place pour se sentir coupable ou responsable. Elle ne laisse la place qu'à la rage. Comment avoir des remords, quand la violence du système paraît pire que les actes commis ? "

Matoub B. dit, lui : 
"Je n'ai pas de logement, pas de femme , pas d'enfant, et je vais repasser en jugement . Je travaille en intérim un jour par-ci, un jour par-là, ça fait des années que je ne trouve que ce type de travail. Je dors sur le canapé de mes parents. L'Etat dépense 100 euros par jour par détenu, alors que si on leur donnait la moitié pour se réinsérer, ils arrêteraient leurs conneries (...)
Les barbus, je les hais. C'est les nouveaux. Avant ils dealaient, et quand ils ont vu la crise, c'était dur pour eux, ils ne savaient pas quoi faire comme bizness, parce que la drogue c'est un métier, il faut être un commercial, c'est pas donné à tout le monde. Même chose pour les casses, faut être audacieux, patient, faut du talent, alors qu'est ce qu'on fait ? On se recycle dans la religion ! Ah, je les hais ! Et quand ils viennent me dire:  "ça c'est haram et ça c'est hallal, tu vas aller en enfer", je leur dis :" Dégage, mais ça va pas ? Hier tu faisais du deal  et aujourd'hui tu as appris deux sourates, tu viens me faire la leçon ?"

Et puis encore André V. , condamné pour des faits de pédophilie, et dont Olivier Brunhes dit : "je dois écrire sur un silence et je ne sais pas si le silence peut s'écrire".
" Il n'y a pas de faits divers, il n'y a que des faits singuliers, dit André, la difficulté de ma vie est sexuelle" (...) 
"En prison, on est complètement déphasé, on vit dans un monde à part, sans point commun avec la vie de la société. En prison, l'introspection est entre parenthèses, car on y est pris dans un microcosme rempli de risques. Il y a d'autres problèmes bien plus urgents : survivre, ne pas s'emmêler avec les mensonges, essayer d'en sortir dans le meilleur état possible. Même avec le psy que l'on peut rencontrer, on n'est pas en condition pour parler de soi et attaquer le problème de fond. On a besoin de lui parler de la détention, du fait que c'est invivable, étouffant, il faut vider son sac. L'amendement ne peut pas se faire en prison."

Enfin Yazid K. :
" Le milieu carcéral, c'est un peu le Pôle Emploi de la délinquance, il y a tous les corps de métier sur place : dealers, braqueurs, receleurs... Il suffit d'aller voir le bon pour perfectionner ses techniques. Quand je suis arrivé à la prison de Chartres, j'ai raconté que je m'étais fait prendre à cause d'un signal d'alarme et les détenus m'ont orienté vers le spécialiste des alarmes : " Tu vois le petit vieux là-bas, c'est le meilleur , il va t'expliquer." En plus, on y croise des grands braqueurs, ce qui revient à rencontrer Zidane pour un jeune footballeur. Ils deviennent des modèles, ils nous fascinent."

Yazid K., j'ai eu la chance de le rencontrer lors d'une soirée autour du bouquin à la librairie Folies d'Encre de Montreuil. Un monsieur qui dégage une force assez extraordinaire, et qui est un cas remarquable de "désistance", mot savant pour : sortie de délinquance .
 L'OIP en dit ceci : "pour se maintenir éloignés des tribunaux, les désistants ont besoin de donner un sens à leur vie, souvent à travers une activité auprès de personnes traversant les mêmes difficultés. Ils tirent profit de leur propre expérience pour les aider à éviter la délinquance, deviennent des "guérisseurs blessés" et des exemples vivants de la transformation possible."

Yazid K. sillonne les banlieues en camping-car, s'installe ici puis là , le temps nécessaire, pour entamer le dialogue et faire oeuvre utile dans des secteurs où "passé 19h il n'y a plus que le commissariat d'ouvert", dit-il... Respect.

Un livre utile , un livre droit , digne.

J'y ai appris beaucoup de choses.
J'ai touché du doigt des réalités qui échappent à mon trajet protégé.
Je me suis questionnée, une fois de plus, sur la réalité de nos prisons, où, "au-delà de quelques aménagements cosmétiques, nous en sommes encore au XIXième siècle" (G.Mordillat)

C'est peu de dire que je vous en recommande la lecture .

MIOR 


Merci aux Editions La Découverte qui m'ont envoyé le bouquin sur la proposition d'Olivier Brunhes.

6 commentaires:

  1. Je ne sais pas si j'ai envie de lire ça, et pourtant ça m'intéresse beaucoup. Depuis toujours, depuis petite en fait, j'ai gardé en moi l'idée que les "délinquants" sont aussi des fils, fiancés, pères que l'on aime - souvent du moins. Pas forcément les "mauvais" que nous voyons. Que nous ne connaissons pas. J'ai travaillé avec des anciens délinquants remis au travail en Italie. Notamment un pédophile (gentil mais je n'ai jamais été très à l'aise avec lui car il continuait de nier, ça me gênait) et un gars qui avait assassiné sa femme. Il avait de l'humour, un regard un peu bizarre il est vrai, mais je n'ai jamais eu "peur" de lui et nous ne parlions pas de ça... nous travaillions!

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  2. Nancy Huston , qui est une une des huit plumes , disait l'autre soir, dans cette rencontre autour du livre , que la prison - elle va à Fresnes depuis des années à ce que je comprends- est un lieu où elle a beaucoup appris , énormément même. Je pense que le citoyen lambda à tendance à considérer le détenu comme celui qui s'est mis hors la loi, point. Il serait temps de se questionner sur ce que l'on fait avec ceux là, qu'ils faut peut-être empêcher de nuire dans un premier temps mais qu'il faudrait surtout aider à repartir du bon pied ... De ce point de vue , le constat semble assez accablant

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  3. J'ai rencontré adolescente un auteur qui faisait des ateliers d'écriture dans les prisons et j'en avais été bouleversée. Je lirais certainement ces portraits.

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  4. Ahah et peut-il traverser les frontières ??? ;-)

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Merci de votre visite, et de votre commentaire ;-)
A bientôt !
Mior