vendredi 5 juin 2015

" Cette nuit je l'ai vue " de Drago Jancar

aux éditions Phébus . 214 pages .Traduit du slovène 



Ce n'est pas un livre de saison. 
Aucun côté "charme du mois anglais", pas non plus un livre qui vous amène doucement vers l'été . 
A dire vrai, je devrais rédiger ce billet et vous le garder pour les premiers frissons d'automne , quand l'âme s'inquiète et se questionne. Ose regarder certains aspects sombres de la destinée humaine. Doute et peine à trouver le repos.

Quatrième de couverture :
Veronika Zarnik est de ces femmes troublantes, insaisissables, de celles que l'on n'oublie pas. Sensuelle, excentrique, éprise de liberté, impudente et imprudente , elle forme avec Leo, son mari, un couple bourgeois peu conventionnel aux heures sombres de la Seconde Guerre mondiale,tant leur indépendance d'esprit, leur refus des contraintes imposées par l'Histoire et leur douce folie contrastent avec le tragique de l'époque.
Une nuit de Janvier 1944, le couple disparaît dans de mystérieuses circonstances, laissant leur entourage en proie aux doutes...


Cette femme , ce couple, seront alors racontés par cinq témoins de leur destinée.
Cinq chapitres, cinq narrateurs , qui chacun détiennent "une" vérité sur Veronika, la leur.

Stevo, l'officier de cavalerie, pour qui Veronika quittera un moment Leo, est le premier à prendre la parole. Il est alors prisonnier de guerre. 
Incipit : 
Cette nuit, je l'ai vue comme si elle était vivante. Après avoir traversé la baraque, elle s'est avancée entre les châlits où mes camarades respiraient calmement dans leur sommeil. Elle s'est arrêtée à ma hauteur, m'a regardé un moment l'air pensif, un peu absent, comme toujours lorsqu'elle ne pouvait pas dormir et qu'elle errait dans notre appartement de Maribor, elle s'est arrêtée devant la fenêtre, s'est assise sur les lits,puis elle est retournée vers la fenêtre. Qu'y a t-il, Stevo ? a-t-elle dit, toi non plus, tu ne peux pas dormir ?
Sa voix était sourde , grave, presque masculine, légèrement voilée, absente comme son regard. J'ai été surpris quand j'ai reconnu sa voix, si distinctement sienne, qui s'était perdue avec les années quelque part dans le lointain. Sa silhouette, je pouvais la faire réapparaître à tout moment, ses yeux, ses cheveux, ses lèvres, oui, son corps aussi qui s'était tant de fois écroulé, essoufflé, à mes côtés, mais je ne parvenais plus à entendre sa voix ; quand on ne voit pas quelqu'un pendant longtemps, c'est sa voix qui disparaît la première, son timbre, sa couleur et son intensité. Il y a très longtemps que je ne l'avais pas vue, combien de temps ? au moins sept ans , me suis-je dit. J'ai frissonné.

J'aime cette première page , mélancolique , mystérieuse, rêveuse. C'est toute la tonalité du livre qui est ici résumée.

Viendront ensuite Mme Josipina, la très vieille dame qui parle à son époux défunt de leur fille Veronika, qu'elle attend à la fenêtre de son petit appartement de la banlieue de Ljubljana.
Horst Hubermayer, le médecin allemand, occupant malgré lui, reçu au domaine Podgorsko des époux Zarnik pour les soirées informelles et festives où un pianiste ami venait jouer Beethoven;
Jozi la servante dévouée ;
enfin Ivan Jeranek, lui aussi attaché au "château" , qui amènera vers un dénouement que l'on craint de vérifier depuis le début, mais on veut savoir , bien sûr ...

C'est une histoire humaine et c'est une histoire de guerre, l'occupant, les partisans , la neige , la forêt... 

Même si ce n'est pas géographiquement correct il y a un côté "château des Carpathes" dans ce récit (qui se déroule en fait dans la région montagneuse de Haute Carniole ) 
 Et puis -et surtout- c'est un portrait de femme superbe , une héroïne forte et indépendante, une femme in-oubliable au sens strict du mot  - elle m'a rappelé la Dina d'Herbjorg Wassmö, comme elle, elle a étudié à Berlin , elle est cultivée , cosmopolite et frondeuse- elle paiera le prix fort pour avoir été cela. 
Faudra-t-il toujours que les femmes payent si cher leur liberté de pensée et d'action ?

On vit une époque où on ne respecte que les gens, vivants ou morts, qui étaient prêts à se battre, même à se sacrifier pour les idées qu'ils ont en partage. C'est ce que pensent les vainqueurs et les vaincus. Personne n'apprécie les gens qui ne voulaient que vivre. Qui aimaient les autres, la nature, les animaux, le monde, et se sentaient bien avec tout ça. C'est trop peu pour notre époque. Et même si moi, je peux me compter parmi ceux qui, bien que vaincus, ont combattu, au fond, moi je voulais juste vivre. Que cela ait un sens m'a été révélé par cette femme, curieuse, joyeuse, ouverte à tous et un peu triste que j'ai rencontrée dans un pays lointain qui m'est proche. Veronika.

C'est Marilyne qui m'avait donné furieusement envie. 
Un très beau billet découvert chez Laisse parler les filles depuis, évoque "un roman de l'âme slave" .

Faites une fugue en Slovénie... 

MIOR.

28 commentaires:

  1. Si il y a du Dina ... Forcément ..... Et s'il n'est pas de saison, je le note pour l'automne ...

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    1. oui, il y a ce côté femme-libre-qui-fascine-et-qui-dérange ; c'est un portrait en creux , façon "deux ou trois choses que je sait d'elle" , j'aime bien .

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  2. Voilà qui est suffisamment intrigant pour avoir envie de le lire.

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    1. ...et en premier lieu parce que ce n'est pas souvent qu'on lit slovène , n'est ce pas ;-)

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  3. Drago Jancar fait partie de ces auteurs qu'il me faut absolument découvrir tant on me l'a vanté ! Ton billet est très alléchant et je vais écouter ton conseil et le garder pour cet automne. ( et comme j'adore les portraits de femme forte, c'est tout bon ! ^^)

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    1. il y a un côté MittelEuropa en décomposition, avec Tito qui se "place",tout cela évoqué sans appuyer le trait, car c'est plutôt un récit de l'intime par temps de guerre, c'est cela que j'ai le plus apprécié

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  4. Merci d'avoir cédé à la tentation. Comme tu le sais, j'ai adoré ce roman, écriture, choix narratif du roman choral, récit, personnages, atmosphère, ravie de ce partage. A ton tour de tenter d'autres lecteurs :)

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    1. une atmosphère pleine de mélancolie, bien particulière ...

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  5. je l'ai noté il y a déjà plusieurs mois et toujours pas lu, tu réveilles mon envie là

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  6. Oui, un très bon bouquin que j'ai chroniqué il y a quelques mois.Mon avis est assez semblable.

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    1. ah? je retourne vous lire ;-)

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    2. ...vous aviez intitulé votre billet "l'insoutenable liberté des autres" , ce que je trouve très bien choisi !

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  7. Tu es tentante ! Et la couv est superbe, comme toujours chez cet excellent éditeur !

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    1. oui , n'est ce pas ? j'ai aimé bcp de titres chez eux .
      Et pour la couv', dans l'histoire , Veronika est une cavalière émérite

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  8. Hyper tentée, il est noté, en plus tu sais que dans le postulat de départ, il y aurait presque un petit air de Modiano de l'Est quand même. Qu'en est-il du dénouement? Il est à la hauteur du mystère ?

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    1. Tu sais que ce n'est pas faux , ce que tu dis là ? Bien que je n' y avais pas pensé au moment de la lecture.
      Le dénouement , je ne veux evidemment rien t'en dire, mais il est très bien mené. J'ai fini ma lecture la gorge serrée

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    2. Il est noté et suligné du coup, je dois passer à ma librairie cet après-midi.

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    3. C'est prouvė maintenant , mon blog est devenu prescripteur , MDR ! Je galège ;-) ...

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  9. J'avais noté ce livre depuis un moment mais tu as ranimé mon intérêt !

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    1. iil a bcp de charme, et une tristesse particulière ; une amie de mon club de lecture l'a trouvé parfois redondant, un peu répétitif , ce n'est pas faux mais ce n'est pas gênant à mes yeux. Une certaine façon d'être de l'Est m'a fait penser aux premiers Kundera par ailleurs

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  10. Ca tombe bien, je comptais me garder ce roman pour cet automne justement ; outre les circonstances et le projet qui m'y incite, j'avais vu juste pour la saison de ce livre alors (la couverture joue sans doute avec cette ambiance brumeuse). Marilyne m'avait déjà tentée, et si tu insistes avec un tel portrait de femme, je ne peux qu'être convaincue. Ta conclusion ("Faudra-t-il toujours que les femmes payent si cher leur liberté de pensée et d'action ?") me plaît beaucoup également.

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    1. oui, clairement ce livre parle (beaucoup) de ça , à mes yeux ; et je suis émue d'un beau portrait de femme tracé par un auteur homme, avec beaucoup de finesse et quelques ellipses .
      Et, oui, parfait pour une collection automne/hiver ;-)

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  11. Un portrait de femme comme je les aime. Je m'empresse de noter.

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  12. C'est vrai que la première page donne tout de suite le ton.:-) Moi, elle m'a hâpée directement dans le récit et entraînée vers un ailleurs assez indéfinissable. Une belle découverte cet auteur. Je pense lire le roman que Sandrine a lu. La thématique me parle assez.

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    1. Il est dans ma pile ; poche + chouette couv+ surtout thématiques intéressantes, il me le fallait ;-)

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A bientôt !
Mior