On pourrait croire l'avoir lu , car on se souvient de la belle adaptation cinématographique par James Ivory en 1986 - voilà qui ne nous rajeunit pas :-(
Et je serais tentée de dire que ce genre de transposition à l'écran a pu faire de l'ombre à un texte somme toute pas si connu que ça
(et pas disponible actuellement, sauf en occasion...)
...car infiniment moins subtile , mais plus séduisante ; léchée, un peu lisse peut-être malgré l'excellence des interprètes ?
"Maurice" est un roman qui ne se donne pas tout de suite ;
le début est un peu lent , comme un peu "empêché", à l'image du héros qui se débat avec la conscience ultra-honteuse qu'il a de ses goûts contre nature , ceux-là même qui menèrent Oscar Wilde en prison en 1895 .
L'homosexualité masculine était alors encore un crime (l'homosexualité féminine ne l'était pas, car pas reconnue) dans une société anglaise très corsetée.
Si E.M.Forster écrivit "Maurice" en 1913, il ne consentit d'ailleurs pas à ce que l'ouvrage soit publié de son vivant. Sortie en 1971, traduction française en 1973 chez Bourgois.
Mais il ne faudrait pas prendre Maurice pour un texte militant.
C'est avant tout le récit d'une trajectoire douloureuse vers l'âge adulte, où il faut apprendre à se définir au sein d'un milieu bourgeois, conventionnel et borné.
Et pourtant, c'est bien ce milieu-là qui vous a formé /déformé, vous en faites partie, ou plutôt il est en vous ! Comment s'en affranchir ? A quel prix ?
C'est par un mouvement de l'âme extrêmement confus et tourmenté que Maurice commence à sentir qu'il est différent, ce qui sera tout à la fois son malheur mais peut-être aussi sa chance .
...il alla rendre visite à l'ancien associé de son père. Il avait hérité de quelque argent et d'un certain sens des affaires, et il fut décidé qu'en sortant de Cambridge il irait faire avec lui ses premières armes comme stagiaire : Hill and Hall agents de change. Maurice se préparait à entrer dans la niche que l'Angleterre lui avait assignée.
...avec des préjugés de classe assez féroces :
- Je connais les pauvres, moi aussi, dit Maurice en prenant une tranche de gâteau. Mais je n'arrive pas à m'apitoyer. Il faut leur donner un petit coup de main par civisme, c'est tout. Ils n'ont pas le cuir très sensible . Ils ne souffrent pas comme nous à leur place.
(s'il s'agit d'un autoportrait, il n'est pas complaisant !)
Il n'est pas remarquable, au sens strict du mot, assez banal en fait.
On ressent vite qu'il est comme engourdi, entre une mère assez limitée et convenue, et deux soeurs pimbêches pas forcément attachantes.
Dans ce gynécée, on le veut coq .
A Cambridge , il rencontre Clive Durham, qui l'attire énormément. Mais lui-même n'est pas capable de le reconnaître :
Durham ne put attendre plus longtemps. Ils étaient entourés de gens, mais ses yeux devinrent d'un bleu intense , tandis qu'il chuchotait "je vous aime".
Maurice fut horrifié, scandalisé. De toute son âme de petit bourgeois, il était choqué.
"Non, mais vous rigolez !" s'exclama-t-il. Sa réaction, ses mots furent plus prompts que sa pensée. "Durham, dit-il, nous sommes anglais tous les deux, ne dites donc pas de sottises !
E.M.Forster -et c'est assez fort- nous fait ressentir comment Maurice va tenter de sortir de cette gangue où il est comme englué. Il s'attache à des sensations , des états d'âme, son récit n'est pas toujours formaté pour aller à l'essentiel mais se perd dans des notations un peu floues.
Il laisse parfois le lecteur désespérer.
Maurice n'est pas un héros qui combat, c'est -parfois- un pauvre hère qui nous fait de la peine et dont on ressent la nausée existentielle. Sa solitude est intense et nous prend parfois à la gorge. Rien d'intellectuel là-dedans , pas de débat d'idées, de tirades brillantes, juste un gars qui veut vivre avec un poids terrible sur la poitrine...
La chrysalide deviendra finalement papillon -c'est du moins ce que nous laisse espérer la fin- mais que de souffrances, de dégoût de soi et d'isolement dans cet itinéraire...
J'ai trouvé qu'une atmosphère de grande tristesse nimbait ce récit, le malaise est souvent palpable.
Mais je me suis attachée progressivement à Maurice grâce au ton, extrêmement honnête et peu enjolivé pour faire plus "aimable".
Une pointe d'humour anglais dans le style de l'auteur m'a aussi souvent fait sourire et m'a paru délicieux, pour la distance qu'il permet de maintenir. Humour et understatement as usual ;-)
Pour finir sur une pirouette , "Maurice" ce serait un peu : "Downton , ton univers impitoyable" .
C'est bien cette époque, avec ces préjugés qui nous semblent si datés maintenant ; il y a pourtant des êtres de chair et de sang qui ont souffert mille morts pour enfin voir la lumière ...
MIOR.
Les livres de George ont aimé sans réserve
Un article pour connaître un peu mieux E.M.Forster
Avec ce "classique du XXième siècle" ma première participation au MOIS ANGLAIS :-)
Je me demande si ce n'est pas l'une des caractéristiques de la littérature britannique les démarrages un peu diesel, les livres qui ne se donnent pas immédiatement. je pense à McEwan qui pareillement, met du temps à ferrer son lecteur. Je le note, c'est vrai qu'on a tendance à oublier à quel point la société a changé en un siècle, bien plus que pendant les 2 ou 3 siècles précédents. J'aime ta référence à Downton ton univers impitoyable. D'ailleurs, le personnage de Thomas dans la série n'est aussi que souffrance et solitude (et méchanceté parfois-souvent- aussi).
RépondreSupprimerThomas c'est quand même un vrai méchant (comme on les aime) ! Quelle omerta , à l'époque, en effet , une vraie chape de plomb ...
Supprimer...mais le livre est plus que ça , et certainement pas un manifeste
Supprimerça me va !!!!!
Supprimer(oui mais Thomas est un type brisé par cette différence qu'il n'assume pas)
et qui est un crime à l'époque ! (pas un délit) , il faut le rappeler
SupprimerJ'ai sûrement lu ce roman (bien avant le mois anglais, j'ai eu des années anglaises où je dévorais tous les romans anglais qui me tombaient sous la main -et je peux te dire que trouver Jane Austen ou Dickens à l'époque, c'était coton; restait à dépenser pour les gros bouquins -y compris pléiade- ou lire en VO). Résultat, peu m'ont échappé (sauf Woolf, on se demande pourquoi, elle, je la lsi depuis assez peu)(bref). Bientôt je vais avouer publiquement que je viens juste de lire Les hauts de hurlevent, incroyable!)
RépondreSupprimerLe problème avec tous ces romans anglais, c'est qu'ils possèdent une forte tendance à inciter à la relecture. Pour Maurice, je suis sûrement passée à côté dans ces années là de lecture.
Au fait, j'ai lu 8 nouvelles de Woolf, autour de Mrs Dalloway. Il faut une pause.
...mais je te rejoins bientôt , Keisha, sur VW , promis !
SupprimerC'est vrai que c'est un auteur dont on ne sait plus si on l'a lu ou pas, ni même si on a vu les adaptations ou pas... je connais tous les titres de ses livres, mais lus ou pas ? Mystère ! (soit dit en passant, c'est la même chose pour moi pour Jane Austen, mais chuuuuuut !)
RépondreSupprimerJe vais me rattraper (un tout petit peu) grâce à ce mois anglais, mais pour E. M. Forster, ce sera plus tard.
les films sont formidables mais un peu "sur papier glaacé" ; l'auteur a quelque chose de moins "parfait" mais plus subtil ( et , partant, attachant)
SupprimerJe suis fan d'Austen, redécouverte il a deux ans ... alors que j'étais passée à côté, il y a bien des années !!! Je viens de tomber avec un grand plaisir dans l'univers impitoyable de "Dowton Abbey". Je suis dingue de l'adaptation d' Ivory de "Chambre avec vue", ce qui ne m'a pas emp^cher de lire avec régal le livre de Forster l'été dernier. Depuis, je voulais lire "Maurice" ... et grâce à ton article, je comprends pourquoi je ne le trouvais pas dans ma librairie indépendante préférée ... INDISPONIBLE ... Par Woolf, j'avoue, je n'y arrive pas ...
RépondreSupprimerah oui ? étonnant ! (Woolf)
SupprimerEt je ne sais pas si je vais oser le dire en plein mois anglais ...je n'aime pas Austen pour ma part :-)))
Je ne connaissais pas ce roman mais je suis intriguée ! Merci pour ce très joli billet ! Je vais essayer de le trouver :D
RépondreSupprimermerci du compliment ;-)
SupprimerC'est un bizarre bouquin , très triste et assez sans pitié, mais attachant aussi
Merci pour ce long et complet article sur ce roman que j'avais adoré, tout comme l'adaptation d'Ivory. Tu me donnes envie de le relire d'ailleurs ! C'est vrai qu'il est important de ne pas oublier à quel point la société à évoluer et à quel point ce fut douloureux.
RépondreSupprimerici Forster parle de solitude fondamentale et d'incommunicabilité , agravées par l'homosexualité (pas crées par elle )
SupprimerJe pense que c'est important de saisir la différence pour apprécier le bouquin , qui est assez triste
Non lu mais vu et il dégage du film beaucoup de choses dites dans ce billet. Ivory est fort !
RépondreSupprimerBon mois de juin !
c'est qd même bcp moins subtil , les sentiments dans lebouquin sont bien plus cruels et ambivalents que ds mon souvenir du film en tout cas
SupprimerUne envie de lecture depuis très longtemps. J'avais aimé l'adaptation qui m'avait donné l'envie de lire Forster.
RépondreSupprimeril m'attendait sur une de mes étagères " depuis très longtemps "...
SupprimerJ'adore Forster, mais je n'ai pas lu celui-là, qui me semble le plus personnel, le plus intime de l'auteur. Je crois que je vais essayer de lui faire une petite place au cours de ce mois anglais.
RépondreSupprimeril a attendu longtemps pour avoir des lecteurs , de fait ...
SupprimerUn des rares que je n'ai pas lu d'un auteur que j'aime beaucoup. Je vais essayer de le rajouter à ma déjà longue liste de lectures du mois anglais.
RépondreSupprimerah ah ! (pardon)
SupprimerAh mais le mois anglais a du bon : je n'avais jamais entendu parler de ce roman ! Je commence donc dès le 1er juin par une découverte, que je note précieusement ! Merci Mior ;)
RépondreSupprimerune ré édition serait la bienvenue ...
SupprimerJe n'ai jamais aimé Forster... j'en ai lu trois ou quatre, une de mes profs n'acceptant pas que je ne puisse pas aimer! Moi voilà, il y a bien longtemps que je l'ai rayé de ma liste d'auteurs à lire...
RépondreSupprimerécoute, très honnêtement c'était mon premier ; je n'ai pas totalement adoré , mais c'est fin et assez noir ...
SupprimerBeau billet, qui donne envie de lire le livre !
RépondreSupprimerDe l'auteur, j'ai lu (il y a longtemps) et aimé "La route des Indes".
merci ;-) "La Route des Indes" est supposé être son meilleur je crois ?
SupprimerJamais lu et jamais vu le film non plus, peut-être pour le mois anglais 2016 ?
RépondreSupprimercertaines ont de la suite dans les idées ! :-)
SupprimerJ'ai trouvé ce roman bouleversant ! J'ai d'ailleurs un autre Forster dans ma PAL pour le mois anglais ! En revanche, je n'ai jamais eu le courage de regarder le film, de peur d'être déçue ...
RépondreSupprimertrès envie de lire "Retour à Howards End" maintenant, dont l'adaptation cinématographique laisse deviner un bouquin assez machiavéliquement ambigu...
SupprimerOh j'avais adoré l’adaptation cinématographique (Ivory avait aussi adapté Howard's End et A room with a view, un film que je vénère).
RépondreSupprimerJ'ai étudié EM Forster en long et en large à la faculté. Howard's End en particulier - je me souviens du style très descriptif (des bosquets, de l'architecture des maisons...)et je me souviens que la moitié des étudiants s'ennuyaient à le lire. Moi j'aimais lire déjà mais je me souviens de ces quelques longueurs et puis les adaptations ciné sortaient et étaient très réussies.
Je ne l'ai jamais relu. Par contre tu me donnes envie de revoir les films (sauf Room with a view, déjà revu l'an dernier avec une très jeune Helena Bonham Carter)
...la maison semble avoir une certaine importance dans Howards End , de fait ;-)
SupprimerJe me lancerai certainement, un peu plus tard ...
Ma pile anglaise 2015 est déjà très impressionnante , il est évident que le mois de Juin ne sera pas suffisant pour l'explorer totalement :-)
J'ai vu 3 ou 4 adaptations des romans de cet auteur que j'ai beaucoup aimé mais je ne ne l'ai pas encore lu... il fait partie des auteurs que je veux lire...
RépondreSupprimeril a fait le bonheur des scénaristes en tout cas ! ( comme Austen, les Brontë et d'autres auteurs anglais)
RépondreSupprimer...tant d'autres auteurs anglais ;-)
SupprimerPas lu pas vu, j'ai du mal à savoir si il pourrait me plaire. Le thème m’intéresse, mais j'ai parfois du mal avec les héros un peu mou et qui ne s'aiment pas trop. Les petites touches d'humour anglais devraient pallier à cet aspect ;-)
RépondreSupprimerc'est un livre parfois déroutant par sa non-complaisance , je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire ? Le personnage principal n'est clairement pas un héros, mais un type assez ordinaire, très british , et porteur de ce qu'il ressent comme une malédiction, au fond, qui rend impossible l'accès au bonheur (même si la fin ...)
SupprimerJe n'ai pas vu le film mais j'avais beaucoup aimé le roman (le premier Forster que j'ai lu).
RépondreSupprimerpour moi aussi , je l'avoue ;-)
Supprimer(je ne sais pas s'il fait partie des "meilleurs" de cet auteur ; la dimension personnelle en tout cas ne fait aucun doute semble-t-il)
Je n'ai jamais lu Forster. Une lacune à corriger au cours du mois anglais. En revanche j'ai récemment découvert avec grand plaisir Downton abbey. Un pur bonheur !
RépondreSupprimerje t'envie de commencer !! Pour ma part il ne me reste plus qu'à attendre (tristement ) la saison 6 ...car elle sera la dernière
SupprimerMalaise, pesanteur, je ne suis pas sûre de résister à la lecture de ce roman... En ce moment mon attention est très capricieuse, j'ai du mal à adhérer à une histoire donc j'hésite à le noter sur ma liste, même si tu en parles très bien ! As-tu lu A Room with a view ? Je commencerai peut-être ma découverte de Forster par celui-là.
RépondreSupprimer...certainement plus riant grâce au soleil d'Italie ? ;-)
SupprimerBien vu ! ;-)
Supprimer