Nous y encourage, devrais-je dire.
Car il faut bien avouer que se plonger dans un classique , c'est renouer avec la phrase longue, le vocabulaire soutenu, les descriptions, et ici les références bibliques ou mythologiques, bref une nourriture beaucoup plus riche que ce que la plupart des auteurs contemporains nous concoctent.
Point de jugement de valeur mais bien plutôt une comparaison culinaire ;-) les classiques ne font pas dans la nouvelle cuisine, cqfd.
Si la lecture d'un classique me fait souvent envie -et me semble même une piqûre de rappel tout à fait nécessaire- elle représente toutefois un petit effort pour la lectrice que je suis . Ici je suis venue par un chemin détourné car c'est "Tamara Drewe" , Bd de Posy Simmonds , qui m'avait enchantée et donné envie de connaître le texte dont elle s'était très librement inspirée ; les éditions Sillage en ont fourni en 2011 une nouvelle traduction française et grâce à l'actualité cinématographique une réédition bienvenue vient d'être faite en poche.
" Loin de la foule déchaînée" est paru pour la première fois en feuilleton dans un journal populaire, tout au long de l'année 1874. Aussi le découpage en très courts chapitres allège et structure la lecture de ces quelques 400 pages. Fort heureusement car c'est très bavard tout de même !
L'histoire :
dans la campagne anglaise, vers la fin du XIXe siècle, une jeune femme d'une grande beauté et au caractère décidé et parfois fantasque, Bathsheba Everdene, hérite d'une importante exploitation agricole. Contre toute attente, elle décide de gérer seule son domaine et de diriger fermement les travaux de ses nombreux journaliers.
Elle réussit dans sa nouvelle tâche, bien conseillée par un éleveur ruiné, Gabriel Oak, qu'elle avait jadis éconduit. Celui-ci aime toujours Bathsheba, mais la jeune femme est courtisée par deux autres hommes, le propriétaire terrien voisin William Boldwood et le sergent Troy...
A propos de Gabriel Oak :
Il était à la période la plus brillante de la croissance masculine, car son intelligence et ses émotions étaient clairement séparées : il avait passé l'âge de l'impulsivité où l'influence de la jeunesse les mélange aveuglément, et il n'était pas encore arrivé à celui des préjugés, où ils sont à nouveau réunis sous l'influence d'une épouse et d'une famille . En bref, il avait vingt-huit ans et était célibataire (...)
il donnait l'impression d'un homme dont la couleur morale était une sorte de poivre et sel
Quand au fermier Bolwood :
...il ne savait pas lire dans les pensées d'une femme. Le fond de la stratégie érotique semblait consister en attentions subtiles, exprimées de manière trompeuse. Chaque geste, chaque regard, chaque parole et chaque intonation contenait une part de mystère tout à fait distincte de leur importance manifeste, et il n'avait pas pris le temps de chercher à les comprendre jusqu'à présent.
Echange avec le sergent Troy :
- Que regrettez-vous ?
- Que ma romance soit terminée.
- Toutes les romances s'achèvent avec le mariage.
Eh oui .
Il apparaît que les hommes ordinaires prennent des épouses parce que la possession n'est possible que par le mariage, et que les femmes ordinaires acceptent des maris parce que le mariage est impossible sans possession. Malgré ces desseins totalement différents , la méthode est la même des deux côtés.
Mais encore :
On a pu faire l'expérience qu'il n'existe pas de voie toute tracée pour sortir de l'amour, contrairement à celle qui permet d'y entrer. D'aucuns voient dans le mariage un raccourci pour y parvenir, mais il n'est pas infaillible
Enfin , Bathsheba elle même :
Bathsheba était d'une nature impulsive, sous ses airs résolus. Véritable Elizabeth par l'esprit et Mary Stuart par l'âme, elle agissait avec une grande témérité, et beaucoup de discrétion. La plupart des ses pensées étaient de parfaits syllogismes ; malheureusement elles restaient toujours à l'état de pensées. Seules quelques une étaient des postulats irrationnels, et malheureusement c'étaient celles qui le plus souvent se transformaient en actes.
Bathsheba aimait X .. comme seules peuvent aimer les femmes indépendantes, quand elles renoncent à leur indépendance. Quand une femme forte rejette sa force avec insouciance, elle est pire qu'une femme faible qui n'a jamais eu de force à rejeter. Une des sources de son malaise était la nouveauté de sa situation. Elle n'avait aucune expérience de ce qu'il convenait de faire. La faiblesse est double quand elle est nouvelle.
(...) Bathsheba ne se rendait pas coupable d'artifices en l'occurrence. Bien qu'elle fut en un sens une femme du monde, son monde était celui de coteries qui ne se cachaient pas, d'un tapis de verdure où le bétail représentait la foule des badauds et le bruit du vent son bourdonnement, où une paisible famille de lapins ou de lièvres vivaient de l'autre côté du mur mitoyen, où votre voisin vous était apparenté et où tous les calculs se rapportaient au jours de marché.
Ce monde rural est vraiment au coeur du livre , avec de splendides descriptions de la campagne anglaise et du mode de vie qui y prévalait alors . Les travaux des champs mobilisent toute la communauté, les aléas climatiques suscitent de nombreuses catastrophes et de belles pages : orages violents , incendies , inondations, tout y passe, et semble symboliser les émotions dévorantes des quatre protagonistes principaux.
Beaucoup de dialogues émaillent le texte. Il sont d'intérêt inégal à mes yeux, et souffrent peut-être parfois de la traduction qui semble les alourdir (beaucoup de scènes "pittoresques", plus ou moins réussies)
Ce qui m'a enchantée :
l'humour qui sous-tend bien des passages et leur confie parfois même un double sens ; c'est absolument délicieux et clairement so british.
Ce qui a parfois retenu mon enthousiasme :
quoi qu'on en dise, tout ce "maquignonnage" autour du mariage...
Je suis consciente que celui-ci restait encore avant tout un commerce social et une sorte de vente de soi-même, n'ayons pas peur du mot. C'est la raison pour laquelle (et je sais que je vais choquer !) je n'apprécie pas du tout Jane Austen, par exemple, qui se vautre avec délices dans toutes les manoeuvres que générait cette opération cruciale de la vie des femmes en particulier.Il y a là une hystérisation qui nous sidère un peu en 2015 et même si l'on peut -et on doit !- bien évidemment se remettre dans le contexte, on se sent gêné et attristé de ce que amour et épousailles ne rimaient que si peu souvent ensemble.
Retournons à la campagne avant de nous quitter :
c'était le premier jour du mois de Juin, et la saison de la tonte des moutons battait son plein. Tout le paysage, jusqu'au moindre pâturage, respirait la santé et n'était que couleurs. L'herbe était d'un vert nouveau, les pores ouverts, les tiges enflées par les sucs qui coulaient en elles. On pouvait voir Dieu partout dans la campagne et le diable était parti en ville .
:-))
Je ne pouvais faire un billet plus complet que celui de Cléanthe (mais de qui je regrette qu'il m'ait inconsidérement spoilé tout à trac ce que je n'aurais dû apprendre qu'à la page 250 ;-)
Pour ma part j'ai fait cette lecture en parallèle avec Papillon par hasard et avec plaisir ;-)
Je n'irai pas voir le film , je pense, l'affiche ne me dit rien qui vaille .
En revanche , j'ai revu hier l'adaptation de "Tamara Drewe" par Stephen Frears, savoureuse ô combien quand on sort du bouquin ...
MIOR.
Je ne savais pas que Tamara Drewe était l'adaptation d'un roman de Hardy! j'ai beaucoup aimé le film. Je n'ai toujours pas lu Hardy, j'avoue que j'étais un peu impressionnée par la réputation du bonhomme. J'ai noté un recueil de nouvelles, je pense que je commencerai par là; Et ce titre me tente aussi beaucoup.
RépondreSupprimermais oui, c'en est une adaptation très libre mais très réussie ! Il y a les principaux éléments : la belle coquette qui s'amuse à faire tourner les coeurs , trois hommes qui la convoitent dans des manières très différentes , la nature , les considérations désabusées sur le mariage ... et l'humour anglais of course ;-)
SupprimerDécidément, beaucoup lise "Loin de la foule..." de Hardy - à cause du film, j'imagine. J'avais beaucoup aimé "Les forestiers" (il y a des années).
RépondreSupprimereh bien moi pas du tout , comme tu peux voir ;-) (ne me tente guère, je préfère rester sur mes impressions de lecture)
Supprimer"Les Forestiers" est un titre qui revient souvent , est que je note pour une deuxième approche de Hardy
Je possède Les forestiers et Loin de... dans de vieilles éditions, lues lors d'une période Hardy (dont je suis sortie vivante). Je relirais bien , tiens! Surtout que j'ai lu deux fois Tamar Drewe, mais ça a l'air librement inspiré quand même. Pour Gemma Bovery, je voyais mieux ce qui était du roman et ce qui ne l'était pas. Evidemment je te conseille toutes les BD de Posy Simmonds.
RépondreSupprimerOh oui j' adore, je l'avais découverte en lisant "le chat du boulanger " à mes enfants . Son coup de crayon m'enchante
Supprimerun des romans de Thomas Hardy que j'ai beaucoup aimé mais il faut dire que je suis fan de l'auteur
RépondreSupprimertrès humblement , mon premier...je n'étais guère attirée par les grosses machines comme Tess , ou Jude ( dont l'adaptation cinématographique m'a traumatisée !) ; j'ai apprécié cet opus
SupprimerMais il y a énormément d'ironie chez Jane Austen ! J'avais beaucoup aimé "Loin de la foule déchainée", Bathsheba est un personnage de femme moderne et indépendante qui finit par céder au jeu du mariage. Et Gabriel Oak, n'est-ce pas un beau personnage droit et loyal ? Et je suis d'accord avec toi sur la description de la campagne anglaise, c'est récurrent chez Thomas Hardy qui y était très attaché.
RépondreSupprimerBathsheba essaye de se comporter en femme libre ! mais Hardy l'a quand même affligée d'une tête de linotte !! Elle se sait indépendante , et pourtant elle drague en permanence (elle est toute jeune , on la comprend ;-) et se débat avec les impératifs de son époque ; tout ceci est très ambigu tout de même ... (et chez Austen c'est encore pire , et foin du second degré ou de l'humour anglais , on parle de pouliches qui doivent rejoindre des écuries dignes de leur "pedigree" , c'est tout de même d'un cynisme et d'un non-romantisme absolu à mes yeux !)
SupprimerBah oui mais c'est ça qui me plaît chez Austen, ce n'est absolument pas romantique ! Et c'est pour ça que je rentre en guerre contre tous ceux qui font d'elle un auteur mièvre et à l'eau de rose. J'aime son ironie mordante. Elle essaie d'échapper à la fixette du beau mariage en la détournant et en montrant son ridicule. Je suis contente de voir que nous avons été plusieurs à défendre Miss Austen !!! Sinon, tu peux effectivement essayer "Persuasion". Tu me diras si jamais tu te lances, il faudrait vraiment que je le relise.
Supprimerok, ok , je vais voir qu'est ce qui croupit, d'elle , sur mes étagères ...je te dirai ;-)
SupprimerJe suis d'accord avec Titine, il y a beaucoup d'ironie et finalement, les manoeuvres échouent quasiment toujours ! Ce sont d'autres évènements qui permettent aux jeunes filles de se marier.
RépondreSupprimerMais pour Hardy, je ne l'ai pas encore lu et tous ces billets qui fleurissent en ce moment sur ses romans me tentent beaucoup. Il faudra que je me décide un jour prochain.
cette "fixette" sur le beau mariage m'ennuie tout de même et me met facilement mal à l'aise toutefois ;-)
SupprimerJe suis content que tu aies aimé, malgré mon billet un peu trop explicite, à ce que tu dis; pourtant j'avais essayé de reste assez flou sur les périphéries de l'histoire. Par contre, pour Jane Austen, là vraiment, tu es inexcusable :-)
RépondreSupprimerBon , vous êtes nombreux à vous insurger contre cette charge anti-Austen-ienne ;-)
SupprimerJe ré essaierai un de ces jours ; lequel mettez vous au dessus des autres ? (j'ai lu Pride and Prejudice et ? ; me suis laissé dire que Persuasion valait vraiment la peine ?)
Je suis morte de rire en lisant tous les commentaires! Bon je ne vais pas défendre ton point de vue puisque j'adore Jane Austen également.
RépondreSupprimerTu parles de la traduction, or moi j'ai toujours lu les classiques en anglais et je pense quelque part que c'est un avantage (pas toujours non plus) mais je remarque que les traducteurs d'aujourd'hui sont plus doués pour transcrire certaines émotions (surtout l'ironie) que leurs pairs il y a 50 ans. Ainsi, pour les classiques, je lis systématiquement en anglais.
Et Jane Austen est super mordante, caustique et elle était violemment critique à l'égard de la société ! Elle voulait justement condamner la condition féminine de l'époque tout en montrant que les femmes sont également (en partie) responsable du fait (et c'est toujours le cas aujourd'hui, il existe toujours des femmes qui refusent de prendre position, préfèrent leur vie douillette et rester derrière leur mari...)
Bon j'arrête là, tu as le droit de ne pas aimer mais c'est autant étonnant car tu aimes Hardy... or ils se rejoignent ! Pour ma part, j'ai prévu de lire ce roman et je viens de publier un billet (sur mon autre blog) sur l'adaptation ciné et j'ai adoré ! Je partais perplexe mais vu que Vinterberg était à la réalisation le résultat est là et en lisant ton billet je vois qu'il a été fidèle au roman.
J'en suis sortie enthousiaste et ce soir je pars acheter son roman (en anglais) !
Sinon, j'adore Tamara Drew ;-)
Pour ta question, moi j'adore tous ses romans même si mon préféré est Pride and Prejudice, mais Persuasion également.
Bonne fin de journée
ici, la campagne anglaise a fait passer beaucoup de choses ;-)
Supprimeril me semble, dans mes souvenirs, que le monde de Jane Austen était encore beaucoup plus domestique avant tout?
Je viens juste de finir Orgueil et préjugés ;-) et comme toi je trouve que cela fait un bien fou de retrouver un classique. J'avais prévu de lire Hardy pour le mois anglais, malheureusement je crains de ne pas en avoir le temps.
RépondreSupprimerl'avantage avec les classiques c'est que ce sont eux qui nous attendent ;-)
Supprimermoi non plus je n'assure pas un caramel sur "le mois anglais" :-(
SupprimerJe suis maintenant plongée dans Virginia Woolf mais le respect qui me pétrifie m'empêchera peut-être de commettre un billet ...
Tu sais que c'est typiquement le genre de lectures qui me fait très très peur, peur de ne pas prendre suffisamment le temps, peur d'une certaine lenteur, et c'est vrai que moi aussi j'ai du mal à entrer dans toutes les circonvolutions autour du mariage, même si c'est un marqueur de l'époque, c'est d'ailleurs ce qui me bloque avec Dr Thorne en ce moment.
RépondreSupprimertu as vu cette levée de bouclier pour Austen , c'est drôle ! Cette auteure (bon dieu qu'est ce que c'est moche) a un fan-club très actif et efficace :-)
SupprimerHmm, lance toi un de ces jours ? (c'est moins tarte qu'Austen, mouahah, non non ! je plaisante mesdames !!)
Ah mais j'aime Austen, car au-delà du mariage elle est très caustique et dépeint les travers et mesquineries de ses semblables avec énormément de talent et de drôlerie ;-) et ça j'aime évidemment
Supprimerbon , toi aussi !...il faudra vraiment que je retourne y voir un de ces jours ;-)
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