Titre original : "To the lighthouse " , traduit le plus souvent par "La promenade au phare".
Ici dans la traduction de Magali Merle pour l'édition de La Pochotèque (Le Livre de poche)
Je ne suis malheureusement pas capable de lire Virginia Woolf dans le texte...
Il est des textes dans lesquels on entre comme dans une cathédrale.
Naturellement le silence se fait, on sent la fraîcheur de l'air, on lève le regard pour apprécier la lumière colorée par les vitrails, et quelle que soit ses convictions spirituelles on se sent élevé, emporté vers le haut.
La parenthèse peut ne durer que quelques minutes, on ressort, on s'ébroue, on retourne vers du trivial ; mais la pause a eu lieu, il s'est passé quelque chose, on a été transporté .
Virginia Woolf -dont je suis loin de connaître tous les textes- me fait immanquablement cet effet-là.
Il y a les bouquins et puis il y a la littérature, pas de doute...
Littérature : "ensemble des oeuvres écrites auxquelles on reconnaît une finalité esthétique"
Pas besoin d'une bonne histoire pour cela . Ici , en effet presque rien : une maison de vacances au bord de la mer, une famille, des invités, de nombreux enfants, une mère, centrale dans le dispositif, à qui le plus jeune réclame une expédition au phare voisin.
Et puis, le temps et la mort qui passent, la maison qui se recroqueville telle une coquille vide, mais qui finira par s'animer de nouveau ? ...
Virginia Woolf commence "To the lighthouse" en 1925.
Elle transpose sur l'écossaise Ile de Skye ses souvenirs de St Ives, Cornouailles, où la famille Stephen avait ses habitudes. Elle écrit une sorte de tombeau à la mémoire de sa mère, trop tôt perdue ; ici Mrs Ramsay.
Lorsqu'elle interrogeait le miroir, et voyait, à cinquante ans, ses cheveux gris, sa joue creuse, elle se disait qu'elle aurait pu, peut-être, tirer un meilleur parti des choses -de son mari; de l'argent; des livres de son mari. Mais pour sa part , jamais de la vie elle ne regretterait une décision prise, n'éluderait les difficultés; ne se soustrairait aux obligations (...)
On venait la trouver, naturellement, puisqu'elle était femme, toute la journée, tantôt pour ceci et tantôt pour cela; l'un avait besoin de ceci, l'autre de cela; les enfants grandissaient; elle avait souvent l'impression de n'être qu'une éponge imbibée d'émotions humaines (...)
Ah, mais elle n'avait surtout pas envie de voir James tant soit peu grandir, ni Cam non plus. Ces deux-là, elle aurait voulu les garder tels quels, pour toujours, démons d'espièglerie, anges de félicité, ne jamais les voir se transformer en monstres à longues jambes. Une telle perte , rien ne la compensait (...)
Elle avait l'impression d'avoir tout dépassé , d'avoir tout connu, d'avoir tout épuisé , tandis qu'elle servait le potage, comme s'il se trouvait-là un tourbillon, dans lequel on pût être, hors duquel on pût être ; et qu'elle se situât en dehors
(...)et, la main sur la porte de la chambre des enfants, elle éprouva cette communauté de sentiments avec autrui que donne l'émotion
Mais quel magnifique portrait de femme ! ...
Virginia Woolf procède avec de très courts chapitres, tels des vignettes , passant avec fluidité d'un personnage à l'autre. Tandis que la dernière phrase s'enchaîne avec la première du chapitre suivant, tel un kaléidoscope secoué nous passons tour à tour par le flux de conscience de chacun des personnages présents.
C'est un procédé fascinant et légèrement vertigineux pour le lecteur.
La complexité et l'ambivalence permanente des émotions , pensées, sentiments éprouvés et retracés ici donnent un peu le tournis. On est dans l'infiniment petit (dans le sens du quasiment indicible). Et pourtant...
A l'heure actuelle , on conseillerait certainement à Mrs Ramsay/ V.Woolf de pratiquer la méditation, de lâcher-prise, de se soigner en un mot ...
Bien sûr , nous pensons à la fin tragique de l'auteur , au détail terrible des pierres dans les poches au moment de se jeter dans l'Ouse, à la lettre magnifique laissée à Leonard son époux quand nous la lisons...
Je suis réellement pétrifiée d'admiration devant l'oeuvre de Virginia Woolf et ai hésité à "commettre" un billet ; merci à Keisha ;-) pour son amicale sollicitation.
Lisez aussi le très beau billet de Dominique.
MIOR.
Avec ce grand texte ma troisième participation au Mois Anglais

Il est toujours délicat de parler d'une telle œuvre, d'être à la hauteur d'un talent aussi immense. Ce roman est le tout premier que j'ai lu de Virginia Woolf et je ne l'ai plus quittée depuis tant je suis époustouflée à chaque lecture. Jamais je n'ai pensé à elle comme une malade lorsque je la lis. Il me semble que nos pensées sont comme un flux qui va et vient et que nous ressassons tous certaines idées. Et cette langue si belle, si sublime ! Merci pour ton billet !
RépondreSupprimermon premier a été "la traversée des apparences " puis "Mrs Dalloway " , choc, et puis "une chambre à soi" "Instants de vie", "Orlando" récemment , il me manque encore de grands textes , mais c'est comme avec le petit Marcel , je sens que je suis partie pour l'intégrale ;-)
Supprimertrès très tentant! tu as bien fait de le chroniquer
RépondreSupprimerje te remercie (j'ai vraiment hésité , on se sent un tout petit lecteur face à cette grande dame des lettres...)
RépondreSupprimerTu me donnes envie de le relire! Ah cette sublime deuxième partie aussi, la maison laissée vide. Oui, il te reste encore plein de beaux romans à découvrir, tu vas avoir Les Vagues , Entre les actes...
RépondreSupprimerOui, il y a de sa vie dans ses romans, les oiseaux parlant en grec, dans Mrs Dalloway, ça lui est arrivé je crois. Essaie de lire une biographie, il en existe de qualité.
sa vie me fascine autant que son oeuvre ; je suis en parallèle plongée actuellement dans sa correspondance avec Vita Sackville West , c'est un régal :-)
SupprimerAlors là, j'ai super honte et je me cache dans un trou de souris parce que ce roman j'ai essayé de le lire pour le Mois anglais 2014 et je n'ai jamais pu le finir; Je n'ai jamais pu finir aucun roman de VW. Je voudrais pourtant, je l'aime cette femme, sa vie me passionne, et je ne suis pas du genre à fuir devant la vraie et belle littérature, mais voilà, quelque chose ne passe pas, trop d'intériorité, je crois.
RépondreSupprimerVous avez le droit de me fouetter :-(
péché avoué, péché pardonné ... déjà !
SupprimerEt puis tu sais , je trouve ce texte admirable et même fascinant mais pas facile à lire ! j'ai mis un temps infini pour deux cent malheureuses pages...
peut-être sens tu ce coté "maladif" toi aussi ?
SupprimerAh non, pas du tout. Et j'aime beaucoup le procédé (lors du repas par exemple) qui fait passer d'un point de vue à un autre. Mais comme tu dis ce n'est pas facile à lire, c'est lent, si tu déconcentres cinq minutes, tu es largué.
Supprimerj'aime bien me colleter avec un texte un peu difficile de temps à autre ;-)
SupprimerLe repas est tout simplement génial
Je devrais avoir honte aussi, j'ai lu ce roman de Woolf et n'ai pas aimé du tout... Je ne peux même pas espérer accuser la traduction ou tenter un autre roman, parce que c'est tout le génie de l'auteur, son style, qui m'a déplu (oui, oui, je sais, je m'expose à la vindicte bloguesque là). Je ne sens pas la maladie dans son écriture, je ne supporte juste pas ce flux de pensée, ce flou entre les personnages ; je suis peut-être trop cartésienne et terre-à-terre.
RépondreSupprimerTu as bien fait de te lancer dans ce billet, tu mets en évidence ce portrait de femme à côté duquel je suis passée (je garde un souvenir plus fort de la peintre et de son tableau). C'est un point de vue intéressant, qui change de ce que j'ai pu lire à son sujet jusque là. :)
alors là je suis étonnée tu vois ! Mais c'est vrai que c'est typique de Woolf cette transcription du monologue intérieur incessant de tout un chacun ; alors évidemment si c'est ça qui te dérange tu ne peux pas aimer Woolf , ET TU AS LE DROIT ;-)
SupprimerJe suis sensible à tout ce que tu dis de Woolf (oui, il y a les livres, et il y a la littérature) et tout ce que tu dis de ce magnifique roman ! Je l'ai lu il y a fort longtemps maintenant ; tu me donnes envie de le relire. Merci !
RépondreSupprimermerci au Mois Anglais qui m'a bien motivée !
Supprimercomme toi j'avais eu du mal à faire mon billet, on a l'impression de commettre un sacrilège
RépondreSupprimerje n'arrive pas à décider si c'est mon préféré mais oui je crois et j'aime aussi énormément La chambre de Jacob
mais c'est tout à fait ça !
SupprimerJe pars te lire ;-)
il est magnifique ton billet , je rajoute le lien !
SupprimerCe roman, le premier de Woolf que j'ai lu, est un vrai bijou ! Je l'avais tout simplement adoré à un point...! Plus tard, j'ai aussi lu "Mrs Dalloway" que j'ai trouvé encore meilleur (ce que je ne pensais pas possible). L'as-tu lu ? J'aime mieux le contexte et l'atmosphère de "Vers le phare" (je crois que c'est la traduction de mon exemplaire) mais "Mrs Dalloway" m'avait aussi complètement éblouie du talent de son auteur.
RépondreSupprimeroui, et pourtant ce ne sont pas vraiment des lectures faciles ; je sens que j'y reviendrai plusieurs fois probablement
SupprimerJe suis émerveillée par V. Woolf. J'ai l'impression qu'elle a renouvelé mon regard sur la littérature. Elle est d'une finesse... Bref, je souscris tout à fait à tes impressions.
RépondreSupprimerj'avoue avoir peiné un peu dans la deuxième partie (la maison vide et le retour de Lili et de Mr Ramsay) ; on sent d'ailleurs dans mon billet que je me suis beaucoup attachée -dans les deux sens du mot- à la figure de Mrs Ramsay.
SupprimerUne grande artiste...
Je n'ai plus croisé Woolf depuis la fac - comme toi sa vie (la correspondance avec Vita ? Je dois me la procurer!) me fascine tout autant. Comme celle de Carson . Je pense aussi à Sagan, Plath - la littérature chez les femmes, ça vaut un mémoire !
RépondreSupprimerBon, moi je peux la lire en anglais donc je pense qu'à la rentrée elle viendra rejoindre ma pàl ;-) Très joli billet !
la correspondance avec Vita est en effet parue au Livre de Poche , elle est tout à fait régalante !
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