C'est l'histoire d'une rencontre catastrophiquement ratée ...non, pas celle de l'héroïne avec son mari persécuteur -quoique- mais la mienne avec cet auteur, que Papillon entr'autres me recommandait avec feu depuis longtemps ...
Mon amie libraire en ayant remis une couche, j'ai acheté la version poche sortie récemment (Folio, 400 pages)
En une quarantaine de pages initiales, le narrateur -un écrivain dont le prénom est Eric- raconte ses deux entrevues avec une lectrice/admiratrice qui lui a adressé une belle lettre sensible à laquelle il a eu -pour une fois- envie de donner suite. Un café du Palais-Royal abrite ces deux longs rendez-vous, au cours desquels la conversation navigue entre goûts littéraires et considérations sur la "vraie" vie. Le romancier Eric n'est pas insensible au charme mélancolique de la jeune femme, professeur de lettres dans un lycée de province. Il devine des failles, un mal-être récurent, un colossal manque de confiance en soi. La suite de leurs échanges, par mail, lui confirmera que c'est de gouffres qu'il s'agit, d'un mariage tragiquement malsain qui la mine totalement.
Il entreprend alors de nous narrer la triste vie de Bénédicte Ombredanne.
Nous sommes donc dans la veine, que dis-je, le filon du "d'après une histoire vraie". D'accord. Quand c'est Emmanuel Carrère qui s'y colle je ne fais pas ma mijaurée.
Mais alors pourquoi tant d'afféteries dans la façon de narrer, et surtout de situations improbables ?
Bénédicte-Ombredanne -car elle sera toujours nommée ainsi, prénom et nom accolés, histoire de faire très très littéraire pour le coup- est tyrannisée par un mari odieux, et ce depuis des années : las, quand celui-ci entend un soir "Le Téléphone Sonne" -pour un effet de réel, là, j'imagine- il s'écroule et se liquéfie toute la nuit car il s'est soudain reconnu dans les affreux pervers manipulateurs décrit par les femmes tremblantes et traumatisées qui se succèdent au micro. (Scène initiale du chapitre 2)
Super-vraisemblable n'est ce pas ? Ainsi que, dans la foulée, le fait que sa femme passe sa nuit à le moucher -pas au sens figuré, mais bien littéral...
Plus tard, car elle est quand même dégoûtée de la vie d'enfer qu'il lui fait, elle se défoule -pour la première et dernière fois de sa vie- sur Meetic ; Reinhardt se défoule lui aussi et c'est tristement drôle et puis drôlement triste aussi, mes compliments à Gentleman et Napoléon, ils sont bien gras comme il faut , j'en ai eu des hauts le coeur. Et là, Le Miracle : elle rencontre l'homme idéal, spirituel, pas avide, détaché juste ce qu'il faut, LIBRE, genre au bout d'une heure (je rappelle que les miracles sont des occurrences extrêmement rares tout de même)
Ni une ni deux, elle, (Bénédicte-Ombredanne, oui, je sais) qui n'ose jamais ouvrir la bouche ni lever le petit doigt concocte un rendez-vous pour le Jeudi suivant, ben oui, quand on croise un miracle il faut savoir dire Allelujah, Rejoice et battre le fer tant qu'il est chaud (excusez-moi, c'est Napoléon qui déteint).
Miracle tient ses promesses, il est beau comme un Dieu, un amant du tonnerre (what else) et il vit dans un cadre de rêve entouré d'objets d'art au milieu des bois (c'est sûr que dans le F3 d'une ZUP ça le ferait moins, on est d'accord)
B-O, telle une Princesse de Clèves moderne, décide et proclame qu'elle ne reverra pas Miracle après cette après-midi féerique où elle sait pourtant, de toutes les fibres de son être, qu'elle a trouvé l'amour...
Soyons clairs, à partir de là, pour moi c'était fini, Reinhardt m'avait perdue (à moins que ce ne fut le contraire)
Pourquoi le "d'après une histoire vraie" estampillé dans les premières pages, si c'était pour nous compter de telles fables ensuite, totalement "romanesques" voire rocambolesques pour le coup ? Pourquoi ne pas partir alors dans une fiction assumée laissant toute latitude au romancier ? (on aurait pu se demander si Miracle existait bien, par exemple, ça n'aurait pas été inintéressant...)
J'ai continué ma lecture, bien entendu, parce que les enfers conjugaux ont toujours quelque chose de terriblement fascinant, tant on sait, si l'on veut être tout à fait honnête, à quel point leurs cercles vicieux se fabriquent souvent à deux. Façon Sofia et Leon Tolstoï ; ou bien, sordidement, comme dans les faits divers.
Et puis certaines pages sont futées, d'autres belles, parfois les deux :
Les ambitions qu'elle attachait au devenir de son couple avaient toujours été tellement élevées qu'elle n'avait jamais pu se résoudre à ne pas afficher, au regard de l'extérieur, même quand les choses avaient commencé à ne plus très bien marcher, les apparences d'une réussite incontestable, par orgueil certainement, ou par manque de courage, mais aussi parce qu'elle n'avait jamais désespéré qu'un beau jour la situation finisse par s'arranger, par pur idéalisme adolescent. En simulant que tout allait bien, mieux encore : en propageant l'exemple d'une plénitude conjugale à ce point rayonnante qu'elle humiliait, rendait envieux et rancuniers tous ceux qui en étaient les spectateurs, Bénédicte Ombredanne se vengeait sans doute sauvagement, aussi, il arrivait qu'elle se l'avoue, de ses espoirs trahis -elle éprouvait une sorte de joie malsaine à attiser chez les autres ce dont elle-même agonisait en secret.
Les profs, leur objectif, c'est de nous rendre conformes à la norme, mais moi je veux garder ma personnalité et mes défauts, qu'on n'y touche pas, qu'on essaie pas de me banaliser, ou de me faire rentrer dans un moule -tout ce qui fait mon charme c'est ce que le collège veut corriger, disait Lola quand elle était en verve. Chaque fois que Bénédicte Ombredanne entendait ce discours-là, elle bondissait. Ce sont des clichés, Lola, lui disait-elle, mais le problème c'est qu'à douze ans on ne sait pas que ce sont des clichés, on peut les prendre pour une substance vivante qui n'appartient qu'à soi, parce qu'on sent dans son être quelque de brûlant et d'intense, d'urgent, d'intime, qui peut sembler la manifestation de sa personnalité authentique. Mais ça n'est pas brûlant parce que c'est authentique, c'est brûlant parce que c'est nouveau, c'est urgent parce que c'est soi en train de naître et ça s'appelle l'extrême jeunesse : c'est un moment magnifique, je t'envie d'être en train de le vivre, lui disait Bénédicte Ombredanne , mais les splendeurs de cette jeunesse extrême ne sont pas une fin en soi, tu dois les vivre comme la promesse d'autres états qui viendront par la suite, mille fois plus savoureux, à condition que tu saches qui tu es, afin qu'ils puissent se déployer.
Le sordide va revenir en force, dans les cent dernières pages, nous laissant pantelants, quoique prêts à arracher les yeux à ce mari monstrueux (c'est pas un peu trop, des fois ?...)
Cuné parle d' "une immense tristesse poisseuse dont on craindrait la contagion";
Eva aime malgré "des scènes qui ne semblent pas plausibles et cohérentes" ; elle soulève la question d'une lectrice/admiratrice d'E. Reinhardt qui se considère vampirisée par l'auteur et va certainement lui coller un procès (long article de l'Express) ; problématique récurrente ces derniers temps...
Tout le monde ou presque semble avoir adoré (bel article de Fabienne Pascaud dans Télérama ) aussi, dix-huit mois après la sortie, osé-je cette critique enflammée. Le livre a fait son chemin et séduit beaucoup de lecteurs (ou faut-il dire de lectrices ) je ne lui ferai aucun tort...
MIOR.
ps: Papillon, promis, je lui laisserai une seconde chance ;-)