Affichage des articles dont le libellé est Elena Ferrante. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Elena Ferrante. Afficher tous les articles

lundi 8 août 2016

" Les jours de mon abandon " d' Elena Ferrante

C'est Kirili qui m'avait  - à l'époque où elle tenait l'excellent et parcimonieux blog 
"Three books and a cup of tea"- fait dresser l'oreille et retenir ce nom , Elena Ferrante, 
bien avant qu'il n'enflamme toute la blogo. 

Afficher l'image d'origine
Elle parlait (très bien) d'un livre un peu étrange, quelque peu difficile à trouver ...

Il est maintenant en poche,  j'ai littéralement sauté dessus lors d'un de mes derniers passages en librairie.

Et, s'il peut paraître loufoque au premier abord, je dois dire que le visuel de couv' est assez bien trouvé...

Ca commence comme ça : 

Un après-midi d'avril, aussitôt après le déjeuner, mon mari m'annonça qu'il voulait me quitter. Il me le dit tandis que nous débarrassions la table, que les enfants se chamaillaient comme à l'ordinaire dans une autre pièce, et que le chien rêvait en grognant devant le radiateur. Il m'affirma qu'il était confus, qu'il était en train de vivre de bien mauvais moments faits de fatigue, d'insatisfaction, de lâcheté peut-être. Il parla longuement de nos quinze années de mariage, de nos enfants, et il admit volontiers qu'il n'avait rien à nous reprocher ni à moi ni à eux, il garda comme toujours une attitude digne, excepté un geste excessif de la main droite lorsqu'il m'expliqua, avec une grimace enfantine, que des voix légères, une sorte de susurrement, étaient en train de le pousser ailleurs. Puis il se déclara coupable de tout ce qui arrivait et il referma prudemment la porte de l'appartement derrière lui, me laissant pétrifiée auprès de l'évier.

J'ai adoré ce ton, cette apparence de contrôle dans le cataclysme, ce sur-réalisme en quelque sorte.
 Il m'a immédiatement accroché , et Olga m'a plu. 
Cette belle Turinoise de trente-huit ans qui se retrouve frappée par la foudre va d'abord essayer de réfléchir posément, ne pas consentir à l'effondrement. 
Elle se rappelle comment elle avait pensé, encore lycéenne, à la lecture de "La femme brisée" de Simone de Beauvoir : 

Ces femmes sont stupides. Des femmes cultivées, appartenant à un milieu aisé, elles se brisaient comme des fanfreluches dans les mains d'hommes distraits.

(j'adore cet emploi de l'adjectif "distraits", ici. L'auteur va souvent procéder ainsi, avec le choix d'un vocabulaire précis mais souvent légèrement décalé, pas le mot qu'on aurait attendu. Cela donne un sel !)

Olga avait des velléités d'écrivain, au début de son mariage. Mais, insidieusement, elle s'est éloignée de l'écriture, il y avait deux enfants en bas âge, un mari qui gagne bien sa vie, une flemme aussi ... 
Elle s'est un peu laissée aller et l'abandon de Mario la réveille d'une claque brutale.

Mario, écrivais-je afin de me stimuler, n'a pas emporté le monde, il n'a emporté que lui-même. Et toi, tu n'es pas l'une de ces femmes d'il y a trente ans. Tu es une femme d'aujourd'hui, agrippe-toi à l'aujourd'hui, ne régresse pas, ne t'égare pas, tiens bon. Surtout ne t'abandonne pas à des monologues distraits, médisants ou rageurs. Efface les poins d'exclamation. Il est parti, toi, tu restes.Tu ne jouiras plus de l'éclair de ses yeux, de ses paroles, et quand bien même ? Organise tes défenses, préserve ton intégrité, ne te laisse pas rompre tel un bibelot, tu n'es pas une fanfreluche, aucune femme n'est une fanfreluche. La femme rompue, ah, rompue, rompue mes couilles.


Mais, quand bien même la lucidité et la pensée piquante d'Olga la tiennent debout, elle court comme un poulet sans tête... 
Et l'effondrement qui la menaçait finit bien par la rattraper, un maléfique samedi 4 août (tiens, comme par hasard...) où tout, je dis bien tout, semble se liguer contre elle et se détraquer jusqu'à l'emmener très loin. 

Dans la ville désertée et caniculaire, Olga va livrer bataille sur une drôle de ligne de crête, et ferrailler toute la journée, quoiqu'engluée dans une mélasse qui l'empêche d'agir de façon appropriée : le chien est malade et semble empoisonné, son fils a lui une bonne fièvre et de forts maux de tête , or Olga n'arrive plus à ouvrir la porte blindée qu'elle a fait installer récemment, son téléphone fixe ne marche plus, elle a brisé son portable un jour de colère, aucun voisin ne semble là, elle finit par avoir des hallucinations...

Elena Ferrante réussit à nous raconter, dans ces 90 pages centrales, ce dont plus tard l'héroïne pourrait dire " le jour où j'ai failli devenir folle"... 

Après cet acmé, la narration reprend un tour plus normal, la vie d'Olga aussi , la crise va se résoudre avec toutefois des épisodes cocasses, ou salaces. 
Jamais de pathos, mais une sacrée analyse...
Un beau personnage, et quelle plume !

MIOR.




lundi 14 mars 2016

"L'amie prodigieuse " d'Elena Ferrante

Afficher l'image d'origine
Afficher l'image d'origine

Dans l'avion qui me ramenait de Naples, ma voisine et moi ouvrîmes en même temps le même livre, elle en italien et moi dans la traduction française. De plus nous en étions pratiquement au même chapitre, et vers la fin. 
Exclamations, amusement, discussion. "Vous aimez ? C'est une Naples ancienne, tout de même, vous savez... Ici en Italie on soupçonne qu'Elena Ferrante pourrait être un homme, en fait, qui se cacherait sous ce pseudo. C'est bien traduit ?" 

Ma foi je n'en sais rien. Tout ce que je sais c'est que je serais sûrement passée à côté de ce livre si je ne l'avais pas lu après avoir passé quelques jours à Naples... Il est tellement âpre, si peu aimable parfois... 
Je n'ai pas un grand goût pour les souvenirs d'enfance, en général, et suis toujours incrédule -et légèrement envieuse- quand d'aucuns savent retracer dans le détail le tissu dont furent fait leurs premières années. Souvenirs "racontés" et intégrés au point de ne plus même le savoir, ou vraies sensations imprimées au fer rouge dans la mémoire ? ... Ici en tout cas, un travail minutieux et surprenant pour ressusciter la mémoire collective d'un quartier, ce quartier qui protège et qui enferme terriblement , et ces deux gamines, la douce et l'effrontée, l'aimable et l'enragée, la modeste et la fascinante. 

Je me consacrai à l'école et à un tas d'autres choses difficiles qui m'étaient étrangères seulement pour rester à la hauteur de cette gamine terrible et fulgurante.
 
C'est surtout pour le récit de cette amitié ambigüe et dévorante narrée par Elena la gentille que vaut le livre ; telle une entomologiste, elle dissèque le lien indéfectible et parfois haineux qui relie "à la vie à la mort" les deux enfants, puis les deux adolescentes, à une époque où envoyer des filles à l'école, dans les milieux populaires, représentait un effort financier important et semblait encore une perte de temps, disons le tout net.
Ce n'est pas typiquement italien, quoique dans les années cinquante le problème était en voie de disparaître en France, je crois, alors que l'Italie pauvre tirait la patte. 

En la regardant je compris définitivement que, dans peu de temps, elle aurait tout perdu de son air de petite fille-petite vieille, comme on perd un motif musical très connu quand il est adapté avec trop d'inventivité. Elle était devenue sinueuse. Son front haut, ses grands yeux qui se plissaient brusquement, son petit nez, ses pommettes, ses lèvres et ses oreilles cherchaient une nouvelle orchestration, et ils semblaient sur le point de la trouver.

Le cadre de Naples est important bien sûr ; cette ville où on pouvait passer toute une enfance sans jamais voir la mer, alors que la baie est là, à quelques encablures. Cette ville où votre adresse vous classe -ou vous déclasse- immédiatement ; où la famille pesait de tout son poids sur les choix des jeunes, tyranniquement, égoïstement, banalement. Les camoristes qui tiennent le quartier, les communistes qui essayent de réveiller les conciences, les petites gens qui sont dans la survie, n'ayant pas la curiosité, même le Dimanche, d'aller plus loin que le bout de leur rue... 

Il y avait  une part d'insoutenable dans les choses, les gens, les immeubles et les rues : il fallait tout réinventer comme dans un jeu pour que ça devienne supportable. L'essentiel, toutefois, c'était de savoir jouer, et elle et moi -personne d'autre- nous savions le faire.
 
Si j'ai trouvé quelques longueurs, surtout dans la partie centrale, et me suis parfois perdue entre tous ces personnages dignes d'un roman russe, j'ai été emballée par la longue scène de mariage qui clôt ce premier volume (quatre prévus je crois ?)  de façon cruelle et brillante...

Toute la blogo s'est enflammée pour cet ouvrage et a certainement concouru au joli succès de librairie via le bouche à oreille qui fut le sien -la blogo servirait-elle à quelque chose parfois ;-) - 
Beaucoup l'ont promu au rang de coup de coeur absolu.
Je n'irai pas jusque là, mais je lirai le deuxième volume, c'est certain :-)



MIOR.