Dans l'avion qui me ramenait de Naples, ma voisine et moi ouvrîmes en même temps le même livre, elle en italien et moi dans la traduction française. De plus nous en étions pratiquement au même chapitre, et vers la fin.
Exclamations, amusement, discussion. "Vous aimez ? C'est une Naples ancienne, tout de même, vous savez... Ici en Italie on soupçonne qu'Elena Ferrante pourrait être un homme, en fait, qui se cacherait sous ce pseudo. C'est bien traduit ?"
Ma foi je n'en sais rien. Tout ce que je sais c'est que je serais sûrement passée à côté de ce livre si je ne l'avais pas lu après avoir passé quelques jours à Naples... Il est tellement âpre, si peu aimable parfois...
Je n'ai pas un grand goût pour les souvenirs d'enfance, en général, et suis toujours incrédule -et légèrement envieuse- quand d'aucuns savent retracer dans le détail le tissu dont furent fait leurs premières années. Souvenirs "racontés" et intégrés au point de ne plus même le savoir, ou vraies sensations imprimées au fer rouge dans la mémoire ? ... Ici en tout cas, un travail minutieux et surprenant pour ressusciter la mémoire collective d'un quartier, ce quartier qui protège et qui enferme terriblement , et ces deux gamines, la douce et l'effrontée, l'aimable et l'enragée, la modeste et la fascinante.
Je me consacrai à l'école et à un tas d'autres choses difficiles qui m'étaient étrangères seulement pour rester à la hauteur de cette gamine terrible et fulgurante.
C'est surtout pour le récit de cette amitié ambigüe et dévorante narrée par Elena la gentille que vaut le livre ; telle une entomologiste, elle dissèque le lien indéfectible et parfois haineux qui relie "à la vie à la mort" les deux enfants, puis les deux adolescentes, à une époque où envoyer des filles à l'école, dans les milieux populaires, représentait un effort financier important et semblait encore une perte de temps, disons le tout net.
Ce n'est pas typiquement italien, quoique dans les années cinquante le problème était en voie de disparaître en France, je crois, alors que l'Italie pauvre tirait la patte.
En la regardant je compris définitivement que, dans peu de temps, elle aurait tout perdu de son air de petite fille-petite vieille, comme on perd un motif musical très connu quand il est adapté avec trop d'inventivité. Elle était devenue sinueuse. Son front haut, ses grands yeux qui se plissaient brusquement, son petit nez, ses pommettes, ses lèvres et ses oreilles cherchaient une nouvelle orchestration, et ils semblaient sur le point de la trouver.
Le cadre de Naples est important bien sûr ; cette ville où on pouvait passer toute une enfance sans jamais voir la mer, alors que la baie est là, à quelques encablures. Cette ville où votre adresse vous classe -ou vous déclasse- immédiatement ; où la famille pesait de tout son poids sur les choix des jeunes, tyranniquement, égoïstement, banalement. Les camoristes qui tiennent le quartier, les communistes qui essayent de réveiller les conciences, les petites gens qui sont dans la survie, n'ayant pas la curiosité, même le Dimanche, d'aller plus loin que le bout de leur rue...
Il y avait une part d'insoutenable dans les choses, les gens, les immeubles et les rues : il fallait tout réinventer comme dans un jeu pour que ça devienne supportable. L'essentiel, toutefois, c'était de savoir jouer, et elle et moi -personne d'autre- nous savions le faire.
Si j'ai trouvé quelques longueurs, surtout dans la partie centrale, et me suis parfois perdue entre tous ces personnages dignes d'un roman russe, j'ai été emballée par la longue scène de mariage qui clôt ce premier volume (quatre prévus je crois ?) de façon cruelle et brillante...
Toute la blogo s'est enflammée pour cet ouvrage et a certainement concouru au joli succès de librairie via le bouche à oreille qui fut le sien -la blogo servirait-elle à quelque chose parfois ;-) -
Beaucoup l'ont promu au rang de coup de coeur absolu.
Je n'irai pas jusque là, mais je lirai le deuxième volume, c'est certain :-)
MIOR.