
Laurence Cossé n'est pas très connue du grand public.
Pour ma part ce qui m'intéresse -et m'impressionne-
chez cet auteur c'est la diversité de son inspiration.
"Au bon libraire" était une fantaisie en forme de thriller sur les bonheurs et les dangers du métier de libraire, c'était ludique et intelligent, et c'était un livre-qui-donnait-envie-de-lire-d'autres-livres :-)
Les deux m'avaient beaucoup plu.
Les années 80, l'état français encore riche, la mitterrandie pleine d'aplomb et les Grands Projets du dernier monarque .
J'y étais, mais comme ça fait drôle de se replonger dans cette époque ! Elle semble tellement révolue qu'on a pratiquement l'impression qu'on vous parle d'un autre pays...et puis les souvenirs affleurent petit à petit. Oui, c'était bien cette ambiance.
Récit en forme d'épopée, roman politique sans fiction, enquête avec digressions, mais plus encore tombeau d'un architecte disparu.
On sent que Laurence Cossé est totalement tombée sous le charme de son personnage principal , un total inconnu qui gagna en 1983 le concours qui devait doter ce qu'on appelait alors la Tête Défense d'un Centre International de la Communication.
Que devait-il se passer dans ce centre, euh, on n'en savait strictement rien. Et on s'en fichait un peu. On ferait "en allant" comme disait ma grand-mère, et l'organe créerait la fonction, en somme.
L'architecte danois se nomme Spreckelsen, il se ramène à l'Elysée en birkenstock ou l'équivalent scandinave de l'époque. Il est essentiellement professeur d'architecture, et n'a construit somme toute que sa propre maison, et trois églises au Danemark. Le lecteur contemporain ne sait pas s'il doit s'émerveiller ou s'effrayer que de telles choses furent possibles...
L'homme appelle son projet le Cube. Sa déclaration d'intention est d'un humanisme très pur et presque naïf. Lui qui a veillé au choix de chaque pierre de ses églises est vite débordé par l'immensité de son propre projet, on lui adjoint un architecte français, Andreu, susdit plus au courant des contraintes techniques.
Spreck, comme on le surnomme, commence à se sentir dépossédé de son oeuvre.
Le plus fort est que cette Arche aux dimensions si justes, si bien venue au milieu des tours, du parvis, ce cube dont Spreckelsen a dit qu'il en avait cherché le volume à l'estime, à l'oeil et en situation, d'abord avec une maquette du quartier, puis en venant sur place, est large comme les Champs-Elysées, deux fois plus haut que l'Arc de triomphe, et que chacun de ses côtés a la surface exacte de la Cour carrée du Louvre
Il faut dire que la France pour Spreckelsen c'est le Sud de l'Europe, des moeurs effrayantes, et surtout des gens sur qui on ne peut pas compter, qui tournent casaque si facilement qu'ils lui semblent des girouettes. Heureusement sa relation avec Mitterrand est excellente, ce qui sauvera le projet du naufrage total...
De revirements en compromis (le choix des plaques de marbre blanc qui doivent couvrir tout l'édifice, une scène incroyable...) ce que nous voyons aujourd'hui est loin, mais vraiment très loin, de ce que son concepteur avait rêvé...
Laurence Cossé n'évite pas un peu de jargon rébarbatif ( tous ces délicieux acronymes dont on affuble tant de choses ici) et le montage juridique et financier au sein de l'Epad de ce qui deviendra la Grande Arche peut parfois lasser.
Mais cette monographie des maux français, "le mal sans malfaiteur, par négligence, désinvolture et ou cynisme " se révèle passionnante.
Spreckelsen finira par jeter l'éponge, demander très simplement mais très fermement que son nom ne soit pas associé à ce qui finalement était sorti de terre, bref il refusera de "signer" son bâtiment.
Il est malade , il rentre au Danemark, six mois plus tard il est mort.
Le livre, comme l'Arche, se termine sans lui, on en reste éberlué et vaguement coupable.
MIOR.
Spéciale dédicace à Keisha ;-)
Delphine-Olympe en parle bien aussi .