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mardi 6 septembre 2016

" La Grande Arche " de Laurence Cossé

Afficher l'image d'origineBien qu'elle soit publiée dans La Blanche j'ai l'impression que 
Laurence Cossé n'est pas très connue du grand public.
Pour ma part ce qui m'intéresse -et m'impressionne- 
chez cet auteur c'est la diversité de son inspiration. 

"Au bon libraire" était une fantaisie en forme de thriller sur les bonheurs et les dangers du métier de libraire, c'était ludique et intelligent, et c'était un livre-qui-donnait-envie-de-lire-d'autres-livres :-)  

Résultat de recherche d'images pour "au bon libraire laurence cossé""Les Amandes Amères" était le récit, avec un ton qui sonnait personnel, de la tentative d'alphabétisation par une parisienne pleine de bonnes intentions de sa femme de ménage qu'elle découvrait illettrée.

Les deux m'avaient beaucoup plu.





Afficher l'image d'origineEt maintenant ce bouquin étonnant sur la genèse et la construction de la Grande Arche de la Défense.

Les années 80, l'état français encore riche, la mitterrandie pleine d'aplomb et les Grands Projets du dernier monarque .
 J'y étais, mais comme ça fait drôle de se replonger dans cette époque ! Elle semble tellement révolue qu'on a pratiquement l'impression qu'on vous parle d'un autre pays...et puis les souvenirs affleurent petit à petit. Oui, c'était bien cette ambiance.

Récit en forme d'épopée, roman politique sans fiction, enquête avec digressions, mais plus encore tombeau d'un architecte disparu.
On sent que Laurence Cossé est totalement tombée sous le charme de son personnage principal , un total inconnu qui gagna en 1983 le concours qui devait doter ce qu'on appelait alors la Tête Défense d'un Centre International de la Communication.
Que devait-il se passer dans ce centre, euh, on n'en savait strictement rien. Et on s'en fichait un peu. On ferait "en allant" comme disait ma grand-mère, et l'organe créerait la fonction, en somme. 

L'architecte danois se nomme Spreckelsen, il se ramène à l'Elysée en birkenstock ou l'équivalent scandinave de l'époque. Il est essentiellement professeur d'architecture, et n'a construit somme toute que sa propre maison, et trois églises au Danemark. Le lecteur contemporain ne sait pas s'il doit s'émerveiller ou s'effrayer que de telles choses furent possibles...

L'homme appelle son projet le Cube. Sa déclaration d'intention est d'un humanisme très pur et presque naïf. Lui qui a veillé au choix de chaque pierre de ses églises est vite débordé par l'immensité de son propre projet, on lui adjoint un architecte français, Andreu, susdit plus au courant des contraintes techniques. 
Spreck, comme on le surnomme, commence à se sentir dépossédé de son oeuvre.

Le plus fort est que cette Arche aux dimensions si justes, si bien venue au milieu des tours, du parvis, ce cube dont Spreckelsen a dit qu'il en avait cherché le volume à l'estime, à l'oeil et en situation, d'abord avec une maquette du quartier, puis en venant sur place, est large comme les Champs-Elysées, deux fois plus haut que l'Arc de triomphe, et que chacun de ses côtés a la surface exacte de la Cour carrée du Louvre

Il faut dire que la France pour Spreckelsen c'est le Sud de l'Europe, des moeurs effrayantes, et surtout des gens sur qui on ne peut pas compter, qui tournent casaque si facilement qu'ils lui semblent des girouettes. Heureusement sa relation avec Mitterrand est excellente, ce qui sauvera le projet du naufrage total... 
De revirements en compromis (le choix des plaques de marbre blanc qui doivent couvrir tout l'édifice, une scène incroyable...) ce que nous voyons aujourd'hui est loin, mais vraiment très loin, de ce que son concepteur avait rêvé...

Laurence Cossé n'évite pas un peu de jargon rébarbatif ( tous ces délicieux acronymes dont on affuble tant de choses ici) et le montage juridique et financier au sein de l'Epad de ce qui deviendra la Grande Arche peut parfois lasser. 
Mais cette monographie des maux français, "le mal sans malfaiteur, par négligence, désinvolture et ou cynisme " se révèle passionnante.

Spreckelsen finira par jeter l'éponge, demander très simplement mais très fermement que son nom ne soit pas associé à ce qui finalement était sorti de terre, bref il refusera de "signer" son bâtiment.
Il est malade , il rentre au Danemark, six mois plus tard il est mort. 
Le livre, comme l'Arche, se termine sans lui, on en reste éberlué et vaguement coupable.

MIOR.

Spéciale dédicace à Keisha ;-)

Delphine-Olympe en parle bien aussi .


jeudi 12 mai 2016

" Villa Amalia " de Pascal Quignard

Afficher l'image d'origine- Je n'ai jamais pu supporter les gens qui se prétendent heureux.
- Pourquoi ?
- Ils mentent. Cela me fait peur.




Ce billet ne va pas être facile à écrire...
J'ai eu avec ce livre des émotions fortes , et contrastées. 
Beaucoup de mal au début, tant tout me semblait "romanesque" dans l'univers que campe Pascal Quignard dans les premières pages :
dans les premiers jours de Janvier, une femme approchant la cinquantaine , musicienne, compositrice plus exactement, décide assez brutalement de quitter son compagnon, et tout ce qui faisait sa vie jusqu'à présent. Elle n'a pas d'enfants, est seule propriétaire de sa maison parisienne qu'elle décide de vendre sans même lui en faire part (légère impression d'irréalité). Elle va orchestrer son départ comme une fuite, une cavale, ayant soin d'effacer toute trace, et de se fondre littéralement dans le paysage.

C'était un caractère très étrange : extraordinairement passive. Presque contemplative. Mais cette apparence d'inertie contenait une activité propre. Elle était profondément calme, calme sans aucune sérénité, calme de façon inlassable, opiniâtre, à tout instant concentrée. Elle n'obéissait à personne mais commandait encore moins à qui que ce fût. (p.35)

Elle ne supportait plus la présence de Thomas. Odeurs, retours, attentions, présence mendiante, bruits, linge sale, coups de téléphone, tout l'offensait.(p.77)

Ce n'était pas seulement un homme qu'elle quittait mais sa passion. C'était une façon de vivre sa passion qu'elle quittait. (p.93)

Le 20 Janvier le compte à rebours commença à s'effilocher et à hésiter. A force de consacrer son temps à ces rangements furtifs, à force de jeter en cachette, à force de préméditer le vide, une vague de détresse la submergea de manière progressive. Il est difficile de se séparer de ce qu'on a aimé. Il est encore plus problématique de se séparer de soi ou de l'image de soi. (p.73)

Deuxième partie : après une errance de quelques semaines en Europe - sa façon de "quitter le monde" - elle arrive à Naples et plus précisément sur l'île d'Ischia. C'est un coup de foudre, une révélation , une communion de tous les instants avec les paysages, la nature , la mer...et une plongée dans la solitude voulue, aimée, réclamée par son corps et son esprit. 

- Je me sens parfois très seule et je commence à aimer énormément cela. (p.117)

Elle avait l'air magnifique d'une femme qui ne pense jamais à l'impression qu'elle peut produire.

Il y a un plaisir non pas d'être seule mais d'être capable de l'être (p.295)

Tout ce bonheur culmine dans la découverte d'une maison, petite , simple, abandonnée, avec une terrasse à la vue inouïe, qu'elle investit totalement. La communion avec le site est totale.

Quelque chose, aussi intense qu'immédiat, l'accueillait à chaque fois qu'elle arrivait sur le surplomb de lave . C'était comme un être indéfinissable, euphorisant, dont on ne sait par quel biais on se voit reconnue par lui, rassurée, comprise, entendue, appréciée, soutenue, aimée . (p.136)

3ième partie : Ann redécouvre de l'amour auprès d'un homme, Leonhardt , de son enfant -Léna, une petite fille de deux ans-, puis d'une jeune femme, Giulia. 
Je ne divulgâcherai aucunement ce passage riche en péripéties et en drames...

4ième partie : ce sont les Adieux , en quelque sorte, la finitude de toute chose par la séparation ou par la mort...et une forme de sérénité au bout du chemin, vingt ans plus tard...

J'ai beaucoup cité l'auteur dont la langue est extraordinairement remarquable, bien sûr.  
On tombe à chaque instant sur des pépites, des phrases que l'on a envie de dire à haute voix puis de noter précieusement. 

Le livre est riche de bien des paradoxes : 
c'est un roman romanesque, quoique tout soit plausible ; il est juste un peu "plus" que la vie, pourrait-on dire...
c'est une sorte de mélo froid et bouleversant (Ann n'est pas à proprement parler "sympathique", sa quête d'absolu l'aiguisant comme une lame ; c'est une héroïne qui souffle le froid et le chaud, en somme, ce qui peut tenir à distance )
c'est très intello mais aussi ancré dans la chair ( pas mal de scènes de resto ...à chaque fois on a le menu, et on salive : pigeon aux fèves, lotte à la crème de laitue, bar aux trompettes de la mort , langoustes et étrilles...)
c'est plein de silence , mais également de musique (que Quignard connait bien, et dont il parle bien)
c'est une littérature très raffinée voire précieuse mais avec beaucoup de dialogues dans une langue simple (ce n'est pas un livre difficile d'accès)
c'est empreint d'une grande mélancolie, mais plein de force également.

Afficher l'image d'origineC'est un livre que je viens de lire deux fois de suite. 
Et que je pense que je relirai encore. 
C'est un livre qui opère un charme, assurément...

Je le vois peu dans la blogo. Je m'étonne.

MIOR.

lundi 14 mars 2016

"L'amie prodigieuse " d'Elena Ferrante

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Dans l'avion qui me ramenait de Naples, ma voisine et moi ouvrîmes en même temps le même livre, elle en italien et moi dans la traduction française. De plus nous en étions pratiquement au même chapitre, et vers la fin. 
Exclamations, amusement, discussion. "Vous aimez ? C'est une Naples ancienne, tout de même, vous savez... Ici en Italie on soupçonne qu'Elena Ferrante pourrait être un homme, en fait, qui se cacherait sous ce pseudo. C'est bien traduit ?" 

Ma foi je n'en sais rien. Tout ce que je sais c'est que je serais sûrement passée à côté de ce livre si je ne l'avais pas lu après avoir passé quelques jours à Naples... Il est tellement âpre, si peu aimable parfois... 
Je n'ai pas un grand goût pour les souvenirs d'enfance, en général, et suis toujours incrédule -et légèrement envieuse- quand d'aucuns savent retracer dans le détail le tissu dont furent fait leurs premières années. Souvenirs "racontés" et intégrés au point de ne plus même le savoir, ou vraies sensations imprimées au fer rouge dans la mémoire ? ... Ici en tout cas, un travail minutieux et surprenant pour ressusciter la mémoire collective d'un quartier, ce quartier qui protège et qui enferme terriblement , et ces deux gamines, la douce et l'effrontée, l'aimable et l'enragée, la modeste et la fascinante. 

Je me consacrai à l'école et à un tas d'autres choses difficiles qui m'étaient étrangères seulement pour rester à la hauteur de cette gamine terrible et fulgurante.
 
C'est surtout pour le récit de cette amitié ambigüe et dévorante narrée par Elena la gentille que vaut le livre ; telle une entomologiste, elle dissèque le lien indéfectible et parfois haineux qui relie "à la vie à la mort" les deux enfants, puis les deux adolescentes, à une époque où envoyer des filles à l'école, dans les milieux populaires, représentait un effort financier important et semblait encore une perte de temps, disons le tout net.
Ce n'est pas typiquement italien, quoique dans les années cinquante le problème était en voie de disparaître en France, je crois, alors que l'Italie pauvre tirait la patte. 

En la regardant je compris définitivement que, dans peu de temps, elle aurait tout perdu de son air de petite fille-petite vieille, comme on perd un motif musical très connu quand il est adapté avec trop d'inventivité. Elle était devenue sinueuse. Son front haut, ses grands yeux qui se plissaient brusquement, son petit nez, ses pommettes, ses lèvres et ses oreilles cherchaient une nouvelle orchestration, et ils semblaient sur le point de la trouver.

Le cadre de Naples est important bien sûr ; cette ville où on pouvait passer toute une enfance sans jamais voir la mer, alors que la baie est là, à quelques encablures. Cette ville où votre adresse vous classe -ou vous déclasse- immédiatement ; où la famille pesait de tout son poids sur les choix des jeunes, tyranniquement, égoïstement, banalement. Les camoristes qui tiennent le quartier, les communistes qui essayent de réveiller les conciences, les petites gens qui sont dans la survie, n'ayant pas la curiosité, même le Dimanche, d'aller plus loin que le bout de leur rue... 

Il y avait  une part d'insoutenable dans les choses, les gens, les immeubles et les rues : il fallait tout réinventer comme dans un jeu pour que ça devienne supportable. L'essentiel, toutefois, c'était de savoir jouer, et elle et moi -personne d'autre- nous savions le faire.
 
Si j'ai trouvé quelques longueurs, surtout dans la partie centrale, et me suis parfois perdue entre tous ces personnages dignes d'un roman russe, j'ai été emballée par la longue scène de mariage qui clôt ce premier volume (quatre prévus je crois ?)  de façon cruelle et brillante...

Toute la blogo s'est enflammée pour cet ouvrage et a certainement concouru au joli succès de librairie via le bouche à oreille qui fut le sien -la blogo servirait-elle à quelque chose parfois ;-) - 
Beaucoup l'ont promu au rang de coup de coeur absolu.
Je n'irai pas jusque là, mais je lirai le deuxième volume, c'est certain :-)



MIOR. 

samedi 13 février 2016

" L'intérêt de l'enfant " de Ian McEwan

Il est comment le dernier MacEwan? 
Bien, très bien.

Un bouquin de MacEwan, c'est comme un vêtement de bonne facture : le matériau est noble, la coupe est tellement impeccable qu'elle se fait oublier, et, in fine, tout ce qu'on voit c'est que ça tombe bien. 
Il n'y a peut-être pas de quoi gloser des heures, car ça ne veut pas révolutionner la mode, c'est confortable et de (très) bon goût. 
Cela vous dit déjà si vous avez envie d'y aller... ou pas ;-)

Afficher l'image d'origineFiona Maye -qui est de la même décennie que moi, oh my God- est à Londres Juge aux affaires familiales. Alors que son mariage traverse une crise (qu'elle n'a pas vue venir, ce qui au fond est peut-être ce qui la dérange le plus, habituée qu'elle est à maîtriser son mode de vie et ses affects) elle est amenée à traiter des dossiers particulièrement délicats. Elle manquera peut-être de lucidité face à un jeune homme de dix-sept ans qui, témoin de Jéhovah, refuse toute transfusion dans le traitement de la leucémie qui l'accable. Aura-t-elle raison gardé, et pensé à l'intérêt supérieur de l'enfant en toute circonstance ?

Plus d'une demi-douzaine de cartons d'invitation imprimés en relief trônaient sur une table en noyer ciré, dans l'entrée de l'appartement de Gray's Inn Square. Les collèges d'avocats, les universités, des organisations caritatives, diverses sociétés royales, des amis en vue qui priaient Jack et Fiona Maye, eux-mêmes transformés par les ans en une institution miniature, de bien vouloir apparaître en public dans leurs plus beaux vêtements, apporter leur soutien, manger, boire et parler, et rentrer chez eux avant minuit.

Elle avait l'ignorance et le dédain des Londoniens du nord pour la prolifération miteuse de Londres au sud du fleuve. Pas de station de métro pour donner sens et cohérence à cette jungle de villages dévorés depuis longtemps par des magasins tristes, des garages douteux qui alternaient avec des maisons édouardiennes poussiéreuses et des immeubles d'habitation au style brutaliste des années cinquante, repaires attitrés des gangs de dealers. Perdus dans des préoccupations qui lui étaient étrangères, les gens sur les trottoirs appartenaient à une autre ville, très lointaine, pas la sienne.Comment aurait-elle su que le taxi traversait Clapham Junction sans l'enseigne comique, aux tons passés, d'un magasin d'appareils électriques à la façade obturée par des planches. Pourquoi faire sa vie en ce lieu ? Elle reconnut chez elle les signes d'une misanthropie envahissante et s'obligea à revenir à sa mission. Elle se rendait au chevet d'un jeune homme gravement malade .

Belles pages sur la pratique de la musique, qui est le hobby de la dame. 
Laquelle lady j'ai bien aimée.
Sans nul doute, solide documentation préliminaire. 

Parfait si vous êtes plutôt Burberry que Jean-Paul Gaultier ;-)

MIOR.  

L'avis de Laure de Micmélo


...et une contribution chez l'amie Martine :-)

samedi 15 novembre 2014

" Rue des boutiques obscures " de Patrick Modiano


Sur la carte postale, la Promenade des Anglais, et c'est l'été.

Mon cher Guy, j'ai bien reçu votre lettre. Ici, les jours se ressemblent tous, mais Nice est une très belle ville. Il faudrait que vous y veniez me rendre visite. Curieusement, il m'arrive de rencontrer au détour d'une rue telle personne que je n'avais pas vue depuis trente ans, ou telle autre que je croyais morte. Nous nous effrayons entre nous. Nice est une ville de revenants et de spectres, mais j'espère n'en pas faire partie tout de suite.
Pour cette femme que vous recherchez, le mieux serait...
...  ...

Tout naturellement, la dédicace de ce billet va à Galéa, super-blogueuse, Attila Deshuns, super-lectrice de blogs ;-) et Mélanie Le Saux-Glaymann, super-libraire...




Patrick Modiano n'écrit pas depuis deux ans, ou même vingt. 

C'est en effet en 1968 que paraît son premier opus, la Place de l'Etoile. 
Suivi d'un titre presque tous les ans depuis.

Je le rencontre probablement pour la première fois chez Bernard Pivot en 1985, bafouilleur magnifique qui, en quelques secondes réussit toutefois à laisser deviner qu'il trimballe tout un monde avec lui, énigmatique et poétique comme peu. 
C'est pour la jeune femme que je suis alors une figure touchante et totalement romantique d'écrivain. 
Je le lis peut-être, mais je suis trop jeunette à cette époque -et surtout trop dans l'action- pour l'apprécier à sa juste valeur sans doute.

Je le découvrirai vraiment à la lecture de Dora Bruder, qui va me marquer en 1997 puis avec "Un Pedigree" qui me bouleverse en 2005.

Modiano ou le péripatétitien superbe, infatiguable piéton de Paris -mais pas seulement-  et avant tout arpenteur d'un cadastre d'états d'âme. 
Pour Modiano, toute action, toute sensation voire tout sentiment , s'ancre avant tout dans un  espace, un territoire. Quelques rues, un numéro de téléphone à l'ancienne, ANJou15-28, PASsy 72-29...
Cette connaissance de la ville semble relever tout à la fois de l'amour fou, du fétichisme, de la névrose, et de la peur panique "de se perdre dans le quartier" probablement.

Blessures d'enfance. De celles qui béent encore tout une vie plus tard. De celles qui fondent un artiste lorsqu'elles ne l'ont pas mis à terre tout simplement.

L'errance, la quête du sens, le goût de se souvenir, et la nostalgie surtout ; on retrouve tout cela dans son oeuvre couronnée le 9 Octobre 2014 par le prix Nobel de littérature pour « l'art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l'Occupation », comme l'expliquent l'Académie suédoise et son secrétaire perpétuel Peter Englund, qualifiant l'auteur de "Marcel Proust de notre temps »

J'ai voulu retourner aux sources et ai emprunté "Rue des Boutiques Obscures" à ma bibliothèque. 
Une belle table venait d'être constituée en hommage à Modiano. 
Le volume était fatigué mais barré d'un fier "Prix Goncourt 1978".  

Et vous, Guy, qu'est ce que vous allez devenir? m'a-t-il demandé après avoir bu une gorgée de fine à l'eau.
- Moi ? Je suis sur une piste.
- Une piste ?
- Oui. Une piste de mon passé... 

Guy, le narrateur, semble être amnésique , lui qui, ironie du sort, travaille dans une agence de détectives... 
Un grand pan de sa vie a disparu, corps et biens, dans les tréfonds de sa mémoire. Son nom même cause problème...
C'est ce que l'on comprend progressivement alors que se met en place l'enquête qui remettra Guy en possession de son passé et d'un terrible secret. 

Au début , on erre et on est un peu perdu, comme Guy. 
Puis , à la façon d'un puzzle, les pièces trouvées commencent à former une image , puis à raconter une histoire, et comme si souvent chez Modiano, une histoire de fuite, de danger, de survie même.

 Le récit s'accélère, et si on est allé tranquillement au début, on dévore les quatre-vingt dernières pages avec une hâte un peu douloureuse.

Un récit magnifiquement nostalgique d'un bonheur perdu, à jamais. 
Une écriture superbement elliptique, pudique, et pourtant si subtile. 
L'air de ne pas y toucher...

Extraits, citations :
Pourquoi certaines choses du passé surgissent-elles avec une précision photographique ?
(p.136)
...Vous aviez raison de me dire que dans la vie ce n'est pas l'avenir qui compte , c'est le passé  (p.149)

En tête, deux femmes d'âge mûr soutenaient un vieillard par les bras, un vieillard si blanc et si fragile qu'il donnait l'impression d'être en plâtre séché (p.24)

... Il lisait en fronçant les sourcils et en tournant les pages après s'être mouillé l'index d'un coup de langue. Et moi je regardais ce gros blond aux yeux bleus et à la peau blanche lire son journal vert (p.27)

   Pas une lumière dans la rue Cambon sauf un reflet violacé qui doit provenir d'une vitrine. Mes pas résonnent sur le trottoir. Je suis seul. De nouveau la peur me reprend, cette peur que j'éprouve chaque fois que je descends la rue Mirabeau, la peur que l'on me remarque, que l'on m'arrête, que l'on me demande mes papiers. Ce serait dommage , à quelques dizaines de mètres du but. Surtout ne pas courir. Marcher jusqu'au bout d'un pas régulier.
  L'hôtel Castille. Je franchis la porte. Il n'y a personne à la réception. Je passe dans le petit salon, le temps de reprendre mon souffle et d'essuyer la sueur de mon front.Cette nuit encore j'ai échappé au danger. Elle m'attend là-haut. Elle est la seule à m'attendre, la seule qui s'inquiéterait de ma disparition dans cette ville.
  Une chambre aux murs vert pâle.Les rideaux rouges sont tirés. La lumière vient d'une lampe de chevet, à gauche du lit. Je sens son parfum, une odeur poivrée, et je ne vois plus que les taches de son de sa peau et le grain de beauté qu'elle a , au dessus de la fesse droite.
(p.143) 

Je le regardai. Tout était rond chez lui. Son visage, ses yeux bleus et même sa petite moustache taillée en arc de cercle. Et sa bouche aussi, et ses mains potelées. Il m'évoquait ces ballons que les enfants retiennent par une ficelle et qu'ils lâchent quelquefois pour voir jusqu'à quelle hauteur ils monteront dans le ciel. Et son nom de Waldo Blunt était gonflé, comme l'un de ces ballons.
  -Je suis désolé, mon vieux... Je n'ai pas pu vous donner beaucoup de détails sur Gay...
    Je le sentais alourdi par la fatigue et l'accablement mais je le surveillais de très près car je craignais qu'au moindre coup de vent à travers l'esplanade, il ne s'envolât, en me laissant seul avec mes questions. 
(p.58)


Madame la Ministre, je crois vraiment que vous avez raté quelque chose, là...

MIOR


Long interview de Modiano dans les Inrocks à propos de l'Herbe des Nuits.

dimanche 13 juillet 2014

"Mr Gwyn " d'Alessandro Baricco

J'ai un nouveau libraire. Il est jeune, souriant, il bosse tout seul dans une librairie minuscule. 
On se croirait presque dans "Alice", après rétrécissement s'entend.
Mais il a beaucoup de choses de qualité, et j'aime bien, de temps en temps, me laisser guider. 
Bon, j'aime les libraires, les vrais, ceux qui ne mettent pas des piles de Guillaume M. et de Marc L. dès l'accueil et des bouquins foireux de self-development à la caisse ; ceux chez qui on peut découvrir un auteur ou une boite d'édition inconnus, un titre oublié, ceux chez qui on aime prendre son temps car ce temps c'est déjà la respiration de la lecture. 
Et qui ne vous ont pas fait un vrai parcours fléché dans la boutique, non plus  -certains, dans ce genre là, ont vraiment exagéré-

Alors voilà il me dit  "Karoo" vient de sortir en Poche, c'est à ne pas rater"  le pauvre il ne sait pas que ce pauvre Karoo croupit dans ma Pal depuis sa sortie ; "et puis sinon, le dernier Baricco..."  et là c'est très joli car il ne trouve pas ses mots .
 Et moi, pouf, j'adore la couv' et c'est plié 
(ce qui est bizarre c'est qu'il y a juste marqué "d'après dessin", tu parles d'un crédit.)

Plus tard j'ai découvert que la couverture italienne était très chouette aussi : et que cette empreinte digitale géante est composé des mots de "Bartleby" cette géniale nouvelle de Melville.

Si je vous raconte tout ça, c'est que dans les deux cas, des indices sont semés. On nous parlera d'une femme "vue de profil" en quelque sorte (mais ça vous ne le comprendrez qu'à la fin), d'un homme qui préfèrerait "ne pas" et surtout de ce qui fait le coeur de notre être, sa singularité, une et indivisible et pourtant rarement décrite. 

Romancier britannique dans la fleur de l'âge, Jasper Gwyn a à son actif trois romans qui lui ont valu un honnête succès public et critique. Pourtant, il publie dans The Guardian un article dans lequel il dresse la liste des cinquante-deux choses qu'il ne fera plus, la dernière étant : écrire un roman. Son agent, Tom Bruce Shepperd, prend cette déclaration pour une provocation, mais, lorsqu'il appelle l'écrivain, il comprend que ça n'en est pas une : Gwyn est tout à fait déterminé. Simplement, il ne sait pas ce qu'il va faire ensuite. Au terme d'une année sabbatique, il a trouvé : il veut réaliser des portraits, à la façon d'un peintre, mais des portraits écrits qui ne soient pas de banales descriptions. Dans ce but, il cherche un atelier, soigne la lumière, l'ambiance sonore et le décor, puis il se met en quête de modèles. C'est le début d'une expérience hors norme qui mettra l'écrivain repenti à rude épreuve. (4ième de couv.)

Dans une langue impeccable et un style à la fois elliptique sur le fond mais précis dans la forme, Baricco nous embarque dans un court roman en forme de parabole poétique.

 Première phrase : 
Tandis qu'il marchait dans Regent's Park - le long d'une allée qu'il choisissait toujours, entre toutes-, Jasper Gwyn eut soudain la sensation limpide que ce qu'il faisait chaque jour pour gagner sa vie ne lui convenait plus. Plusieurs fois cette pensée l'avait déjà effleuré, mais jamais avec la même netteté ni la même agilité.

P.32 : ...Il finit donc par comprendre qu'il était dans une situation que partagent beaucoup d'êtres humains, mais pas moins douloureuse pour autant, à savoir : la seule chose qui nous fait sentir vivants est aussi ce qui, lentement, nous tue. Les enfants pour les parents, le succès pour les artistes, les sommets trop élevés pour les alpinistes. Ecrire des livres, pour Jasper Gwyn.
(je me souviens avoir lu cette phrase dans le métro et que les larmes me sont montées aux yeux)

En soixante-huit tableaux de seulement quelques pages, le plus souvent deux ou trois, Baricco et son héros Mister Gwyn vont nous balader très amicalement aux frontières du réalisme (il y a une histoire extra d'ampoules électriques fabriquées sur mesure...) mais sans y toucher , en quelque sorte. 
L'histoire est totalement improbable quoique narrée sur un ton simple et "quotidien".
Mais nous allons clairement du côté du Merveilleux... 

Est ce par hasard que le patronyme est anglais, nous sommes au royaume de l'understatement et de la pudeur extrême des sentiments, teinté d'un humour délicieux. Curieusement, j'ai d'ailleurs tout le temps eu l'impression que le livre était traduit de l'anglais ! 

J'ai laissé ce récit longtemps résonner en moi avant de le chroniquer.
Et il se bonifie dans le souvenir que j'en garde.
Mais je dois aussi prévenir que le charme de ce livre est fragile, comme ces bulles de savon dont les enfants raffolent.
J'imagine très bien que l'on puisse passer à côté, si pas vraiment disponible pour une une expérience de lecture profonde et légère à la fois.

Mais j'espère que vous tomberez comme moi sous le charme ...

MIOR




jeudi 8 août 2013

"Tout s'est bien passé" d 'Emmanuelle Bernheim

Première lecture pour ELLE ; catégorie document.



Dans ce récit manifestement autobiographique, Emmanuelle Bernheim nous raconte comment son père, André, 88 ans, diminué après un AVC, lui demande de "l'aider à en finir".  Et ce qui s'ensuivra.

Si ce témoignage aborde un sujet sensible et par essence passionnant, comment on sort de la vie, je dois reconnaître que j'ai été intéressée mais que je n'ai jamais été émue.

En cause, ce style télégraphique difficile à supporter, même sur 200 pages seulement.
Des phrases courtes, très bien, mais pourquoi tant de détails si peu intéressants ? 
Exemple d'un paragraphe, choisi presque par hasard, et retranscrit dans son entier :

Ischémie, aphasie, ataxie, dysarthrie, hémiparésie, hémiplégie droite, lobe gauche , je m'y perds, les mots se brouillent. J'éteins l'ordinateur.
Mes yeux brûlent, si secs que le moindre clignement m'est douloureux.
Je file dans la salle de bain.
Il est quatre heures du matin. Je porte mes lentilles de contact depuis près de vingt heures. C'est beaucoup trop.
J'essaie de les enlever, mais je ne peux même pas les saisir tant adhèrent à mes cornées desséchées.
Je ne peux rester comme ça.
Je fouille l'armoire de toilette à la recherche d'un collyre , ou de sérum physiologique.
Enfin, je trouve un tout petit flacon.
Je renverse la tête en arrière et j'instille au bord de mes paupières une, deux, trois, quatre, cinq larmes artificielles.  (p.23)

Un des aspects plus attachants du récit est la belle relation de la narratrice avec sa soeur , avec qui elle va partager cette épreuve. Leur complicité , leurs fous-rire parfois .
 Leur complicité depuis l'enfance, face à un père pas facile, dans le fond , quoique adoré et extrêmement respecté.
 Un personnage, un monstre sacré familial.
 Intelligent, cultivé, égocentrique, aimant mais très dur aussi, définitif dans ses jugements, esthète et gourmand, toujours lié avec la mère de ses filles mais homosexuel, choisissant parfois mal ses amis: un de ses derniers amants le terrorise et s'opposera violemment à son choix.

Ayant finalement choisi le suicide assisté en Suisse, la famille Bernheim va se heurter à des complications difficilement imaginables; le récit s'accélère alors et devient proche du thriller dans les cinquante dernières pages. Une bonne fin (sans cynisme de ma part)

ELLE me demande une note . Je mets 12.


Mior