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mardi 24 mars 2015

" Toute passion abolie " de Vita Sackville-West


Lu dans l'agréable édition "Autrement" 
(13€ et tellement plus jolie que celle du Livre de Poche, à 6€ certes)

Match de dames , deuxième manche.

De Vita Sackville-West, je ne connaissais que son amitié amoureuse avec Virginia Woolf, par la gazette mondaine .

Je crois que je me l'imaginais comme une riche et tumultueuse aristocrate dilettante -ce qu'elle fut, une femme aux aspirations artistiques pouvait-elle être autre chose à l'époque ?-  et sans envergure notable (la jalousie m'animait je pense ; j'aurais adoré être une riche dilettante moi-même)

Pour ma villégiature romaine de Février ( impeccable, le voyage en Italie était déjà un must dans ce milieu et à cette époque; je m'y suis crue..) je suis partie avec ces deux dames, lues la même semaine. 
Je vous ai raconté ma rencontre avec Orlando dans l'épisode précédent.



Vita Sackville-West
Force m'a été de reconnaître mon erreur :

"Toute passion abolie" est un récit délicieux .  

Et son auteur est talentueuse.


Quand Lady Slane perd brutalement son époux Henry Holland , comte de Slane et ancien vice-roi des Indes, elle décide presque immédiatement et sans en faire étalage, de commencer enfin à vivre sa vie. 

Après tout, elle n'a que quatre-vingt-huit ans . 

Bien sûr il y a le domaine de Elm Park Gardens, et l'héritage que ses enfants vieillissants (et ils sont six, dont quatre aux dents très longues) s'apprêtent déjà à gérer à sa place...

Pour William et Lavinia, l'épargne était un but en soi. A leurs yeux, une pomme abîmée tombée d'un arbre n'était jamais considérée comme perdue mais plutôt destinée à passer immédiatement au four. Le gaspillage leur était un véritable cauchemar et ils seraient allés jusqu'à fabriquer des mèches avec des journaux pour économiser une allumette . Le désir d'obtenir quelque chose gratuitement les hantait. La vision de la moindre petite mûre sauvage représentait une souffrance pour Lavinia tant qu'elle ne l'avait pas mise en bocal.

 Mais l'argent n'est pas du tout ce qui intéresse Lady Slane : elle ne rêve que d'un petit cottage entrevu à Hamstead une trentaine d'années auparavant. Elle entend y vivre seule, mais oui. Et demande à ses enfants d'avoir la gentillesse de prévenir avant de passer.

...ce drame récent  leur avait fourni le prétexte d'une nouvelle phrase : "Mère est merveilleuse" (...) Mère est merveilleuse mais que va-t-on faire d'elle ? Evidemment elle peut demeurer merveilleuse le restant de sa vie. Toutefois il faudra bien redescendre sur terre un jour, quand tout cela serait terminé, et lui trouver un toit, un abri. Dehors les affichettes annonçaient : LA MORT DE LORD SLANE. 
(...) Ils n'imaginaient pas qu'elle puisse remettre en question les arrangements qu'ils allaient devoir prendre. Mère n'avait aucune autorité. Aimable et charmante, elle avait été toute sa vie une femme soumise -un prolongement de son mari. On tenait pour acquis le fait qu'elle n'était pas assez cérébrale pour prendre des décisions. Herbert en faisait parfois la remarque. "Grâce à Dieu, Mère n'est pas une de ces femmes de tête" .

Estomaqués, ils devront pourtant s'y faire. 
Leur mère, sans faire de vagues, met ses projets à exécution. Retirée à Hamstead et protégée par son grand âge , "toute passion abolie", elle reconsidère toute sa vie et bien sûr son mariage... Dans le fond , et la forme :

...Tout cela fonctionnait à la perfection , et durant quelques jours elle accepta de jouer cette comédie, imaginant qu'elle pourrait s'en sortir sans trop de difficultés, car elle n'avait que dix-huit ans et qu'il était au fond bien agréable d'être complimentée, spécialement par les siens. Mais elle avait pourtant l'impression qu'une sorte de toile d'araignée se tissait à l'intérieur d'elle, encerclant ses poignets et ses chevilles de ces innombrables fils qui la reliaient au coeur de ses proches. L'un allait vers son père, et un autre vers M.Holland -qu'elle avait appris à appeler timidement Henry.
...Et pendant qu'elle se tenait ainsi, se sentant aussi stupide qu'une reine de mai au milieu des serpentins qui voltigent autour d'elle, elle distingua dans le lointain tout un peuple qui s'avançait, portant des cadeaux, se dirigeant sur elle comme des vassaux livrant leur tribut. Henry avec une bague -quand il la glissa à son doigt ce fut un véritable cérémonial-, ses soeurs avec avec un nécessaire de toilette , sa mère avec suffisamment de linge pour gréer un voilier .

Deborah avait des velléités d'ouvrir un atelier, juste avant son mariage, car elle avait un certain talent de peintre. Est-il nécessaire de préciser que ce projet -tout simplement incongru- ne verrait pas le jour ? 
Elle serait l'épouse essentiellement décorative d'un vice-roi des Indes, fine, cultivée et intelligente mais vivant dans l'angoisse -car elle avait conscience, elle, de ses limites- qu'un invité de marque lui pose une question trop pointue. 

Jusqu'à quel point la mort d'Henry l'avait libérée, lady Slane n'arrivait pas encore à le réaliser.

Elle se fait un nouvel ami en la personne du très coincé M.Bucktrout, qui lui loue cette fameuse maison. Il s'y déroule des "high teas" très réjouissants : 

-J'ai peu d'amis, lady Slane. Avec l'âge, on a de plus en plus envie de fréquenter seulement ses contemporains, et de délaisser les jeunes. Entre nous, ils sont vraiment très fatigants, très agités. Je peux à peine supporter la compagnie de quelqu'un de moins de soixante-dix ans. Les jeunes vous obligent à envisager la vie comme un combat, une véritable entreprise, ils sont sans cesse pris par leurs plans. En revanche, les personnes âgées, tous projets  abandonnés, peuvent enfin se pencher sur leur passé. Ne trouvez-vous pas que c'est reposant ? Le repos, Lady Slane, est une des choses les plus importantes de la vie, et pourtant peu d'entre nous y parviennent réellement, d'ailleurs bien peu en rêvent vraiment.

Non, il ne se passera pas ce que vous imaginez peut-être déjà.
Mais vous aurez des surprises tout de même.
Se livrant à une relecture de son mariage et de sa vie en général, Deborah Slane prendra le risque de se connaître vraiment...

Il est fréquent de sourire à la lecture d'un bon texte, surtout quand il témoigne de cette merveille que l'on appelle l'humour anglais. 
Il est plus rare de s'esclaffer, de glousser, voire de rugir de plaisir comme je le fis à de nombreuses reprises durant ces cent-cinquante pages pleines d'esprit (et parfois même de mauvais esprit bien entendu) 

Ce texte est magnifique d'élégance et de simplicité.
Il parle de bien des choses qui fondent la vie des hommes et des femmes -oui, aujourd'hui encore-  : d'intériorité , de la capacité à accepter ses besoins profonds, de la finesse qui permet de les connaître. 
C'est une pépite, un texte court et précieux, d'une sagesse extrêmement malicieuse.
Il m'a paru d'une modernité incroyable !
Un style délié -l'air de ne pas y toucher- qui m'a ravi...

Bref... s'il est évident que l'apport de Virginia Woolf à la  Grande Littérature ne saurait être remis en question, Vita Sackville-West est-elle un auteur totalement mineur ? 
Qui d'elles deux, dans ces deux lectures, a gagné mon coeur  ? 
Vous l'avez bien compris.
Et il était vraiment touchant, connaissant leurs relations, de lire simultanément ces deux textes quasiment contemporains : "Toute passion abolie" , en 1931, succède de trois ans à "Orlando".

Un très beau billet d'Anne, " Des mots et des notes" ;-) pour compléter le mien.
Et un autre sur la maison de Vita et ses fabuleux jardins à Sissinghurst dans le Kent.



C'est drôle : on dirait le château d'Orlando ;-)
Les jardins de Sissinghurst dessinés par Vita et son époux





...Tiens , je sais ce que j'ai envie de lire maintenant ...

MIOR
















dimanche 22 mars 2015

Virginia Woolf vs Vita Sackville-West : ORLANDO

Match amical de dames . 

Comme par hasard :
"Orlando" de Virginia Woolf m'attendait depuis très longtemps sur mes étagères.
Et ce mois-ci, nous avions choisi Vita Sackville West au Club de lecture.


Un voyage à Rome ; je décidai de partir avec ces deux grandes ladies. 

Je savais qu'Orlando était un hommage voire un portrait sublimé de la seconde par la première.
Les deux femmes se sont aimées, d'amour dès 1925, d'amitié avant et toujours
(un bel article ici )

Dans la préface de mon vieux livre de poche "Biblio" d'Orlando, par Diane de Margerie : 

Personne sans doute ne devait lui faire éprouver cette "force rayonnante des femmes entre elles" mieux que Vita Sackville-West. Poétesse, romancière, celle-ci appartenait à la prestigieuse famille des Sackville qui possédait le château de Knole depuis que la reine Elizabeth l'avait donné, au XVIième siècle, à son cousin Lord Thomas Sackville. Virginia avait fait la connaissance de Vita en 1922 ; elle avait alors quarante ans et Vita trente ; les deux femmes furent immédiatement attirées l'une vers l'autre , et il est révélateur que ce soit la plus jeune qui ait éprouvé pour l'aînée les sentiments d'une mère : Virginia, dont on sait qu'elle avait déjà traversé la folie à plusieurs reprises, avoue trouver en Vita "la protection maternelle qu'elle recherche par-dessus toute chose".


Virginia en 1927  , et ...
Vita peinte par William Strang en 1918 !

Orlando est une fable , un conte, une fantaisie littéraire. 
Son héros vivra plusieurs vies, dans les deux sexes, homme d'abord puis femme, pendant plus de trois cents ans : 
"le XVI ième siècle avait encore quelques années à vivre" quand débute le récit qui se termine au "douzième coup de minuit, le jeudi onze octobre mil neuf cent vingt-huit" (date réelle du point final évidemment !)

Orlando est vraiment une oeuvre à part, une sorte de parenthèse, serait-on tenté de dire.
Récit picaresque, assez joyeux, improbable et quelque peu foutraque.

Le ton étonne chez cette auteur réputée difficile, introspective jusqu'au vertige, dont les livres les plus célèbres -Mrs Dalloway, La promenade au phare , Les Vagues- s'attachent plutôt au versant tragique de l'existence, avec une hyper sensibilité exacerbant le plus petit état d'âme et le disséquant presque. 

Rien de tel ici : Orlando est un jeune noble de seize ans habitant "une maison si vaste que le vent lui-même y semblait pris au piège, soufflant d'ici, soufflant de là, hiver comme été". 
Il a du bien , il a des terres, et dans cette période élisabéthaine cherche - plus qu'un sens à sa vie-  de quoi s'occuper, car il est assez instable. 
Il procède par toquades.
Bien sûr vient d'abord l'amour : après quelques "mises en jambe" Orlando s'éprend éperdument d'une belle moscovite , Sacha . 

...Echauffés par le patinage et l'amour, ils se jetaient à même la glace dans quelque crique solitaire aux rives frangées d'osiers jaunes ; un vaste manteau de fourrure les enveloppait tous les deux : Orlando étreignait la princesse et pour la première fois, chuchotait-il, connaissait les joies de l'amour. Puis, lorsque l'extase avait fui, et qu'ils gisaient, bercés, sur la glace, dans le plus doux évanouissement, il lui parlait de ses autres passions, lui confiait comment, comparées à ceci, elles n'avaient été que bois, toile de sac et cendres. Et riant de sa véhémence, elle se jetait une fois de plus dans ses bras et lui donnait, pour l'amour de l'amour, une étreinte nouvelle. Ils s'émerveillaient alors que la glace ne fondît pas à leur chaleur ...

Mais hélas, la belle se révélera traîtresse... 
Jurant, mais un peu tard, qu'on ne l'y reprendra plus Orlando va chercher à se consoler à travers les livres, et le démon de l'écriture le piquera également (pour le restant de ses jours d'ailleurs)
Ensuite ce sera la passion de la Nature (mais on s'ennuie vite) puis la passion du Décor, coûteuse (hilarant)

Pourtant , comme il passait en revue les galeries, il eut l'impression d'un certain vide. Des fauteuils et des tables, tout dorés, tout sculptés qu'ils soient ; des sofas, même s'ils reposent sur des pattes de lion ou des cols de cygne ; des lits, fussent-ils même en duvet de cygne le plus doux, ne nous satisfont pas s'ils demeurent vacants. Des gens assis, des gens couchés, les améliorent étonnamment. Aussitôt donc, Orlando inaugura une série de réceptions magnifiques où se rencontrèrent toute la noblesse et la gentry du voisinage. D'un seul coup, les trois cent soixante cinq chambres furent pleines pour un mois.

Vite insupportable également... Orlando fuit.
Ce sont maintenant voyages et vie d'ambassadeur, à Constantinople. 

Tout cela est haut en couleurs, certes, mais bizarrement j'ai perdu pied à ce moment-là... cela semblait tourner à vide soudainement, après cent cinquante pages assez réjouissantes.

Damned ! Juste au moment où :

Orlando était devenu femme -inutile de le nier. Mais pour le reste, à tous égards, il demeurait le même Orlando.
 Il avait, en changeant de sexe, changé sans doute d'avenir, mais non de personnalité .

Je m'explique mal pourquoi j'ai totalement décroché dans la deuxième partie du récit.

Certes je ne m'attendais pas à ce que Virginia traite de la question du genre ! ou se laisse aller à des considérations sur la sexualité. 
Peut-être pensais-je en revanche que la maternité serait accordée à son héroïne... et clairement espérais-je une sorte de "confrontation" des deux sexes -Virginia Woolf me semblant avoir fort à dire sur le sujet- 
"Orlanda" m'a déçue, en quelque sorte ; après la fantaisie du jeune homme Orlando je ne l'ai pas trouvée vraiment "incarnée", ce qui est tout de même un comble .

Je me suis alors sentie lassée par le procédé d'écriture, la mise à distance des "vrais" problèmes par un ton léger et persifleur. 
Vanité, tout n'est que vanité, songeai-je ...

Il faut redire ici qu'Orlando est vraiment un opus atypique dans l'oeuvre de Virginia Woolf. Probablement faut-il être dans une certaine humeur -badine- pour apprécier ce récit. Quelque chose n'a pas fonctionné pour moi, en tout cas, quelque (grande) admiration -voire fascination- je garde pour l'auteur(e)

Je reviendrai très bientôt vous parler de Vita, maintenant, dont "Toute passion abolie"  me permit la découverte ...et m'enchanta ...

MIOR