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mercredi 29 juillet 2015

Correspondance Vita Sackville-West / Virginia Woolf

En m'embarquant au printemps 2015 dans un voyage dans l'oeuvre de ces deux grandes Ladies des lettres anglaises, je me doutais qu'il serait au long cours...


Après avoir lu Orlando et Le voyage au phare mais aussi Dark Island (oui, je sais, je l'ai éreinté, so what ?) et Toute passion abolie , je viens maintenant de passer plusieurs semaines avec Virginia Woolf et Vita Sackville-West grâce à leur correspondance : délicieuse les trois quarts du temps, fastidieuse par moments puisqu'il s'agit non d'une sélection mais de la quasi-totalité des lettres de Vita et d'environ la moitié de celles de Virginia en réponse (cent soixante-quinze sur quatre cents ou presque).



Dix-huit ans de correspondance (1923-1941) entre deux grandes plumitives, ce sont donc 600 pages dans cette édition au Livre de Poche précédées une longue et excellente introduction. 
C'est découvrir la valeur, dans la vie de chacune, de cette amitié amoureuse, de cette très grande amitié qui survécut à la passion ; c'est se régaler des missives de Vita, épistolière de génie, grande lady aux extravagances pleines de superbe, et savourer la finesse de celles de Virginia.

Tout le génie de Vita est dans sa vie, pourrait-on dire, et celui de Virginia dans son oeuvre ; toutes deux en sont conscientes et sont fascinées par cette différence qui les attire et les nourrit. L'admiration littéraire de Vita est sans limite et fréquemment exprimée ; Virginia , elle, partage -un peu- les affres de la création :

J'ai l'intention de mener une vie de blaireau, nocturne, secrète, pas de dîners en ville, ni de cavalcades à droite et à gauche, non, la solitude dans mon terrier à l'arrière de la maison (sept.1925)

Je compare mon écriture d'analphabète à la vôtre, si savante, et je rougis de honte (déc.1925)

Le style est quelque chose de très simple ; tout est dans le rythme (...) Or c'est quelque chose de très profond, la nature du rythme, et cela va beaucoup plus loin que les mots. Un spectacle, une émotion, provoquent une vague dans l'esprit bien avant qu'ils n'aient créé des mots pour s'y adapter (mars 1926)

...Quand je te lis, j'ai le sentiment que personne n'a écrit en prose anglaise avant toi (juin 1926) 

Terminant "To the lighthouse" : s'il est bon ou mauvais, qu'en sais-je : je suis hébétée, je m'ennuie, je suis lasse à en mourir : je m'évertue à supprimer des virgules et à mettre à la place des points-virgules dans un état de désespoir marmoréen. Je suppose qu'il doit y avoir quelque part un demi-paragraphe qui vaut la peine d'être lu: mais j'en doute. (fév.1927)

Lisant "To the lighthouse " : ...je suis éblouie et ensorcelée. Comment as-tu fait ? Comment as-tu pu marcher sur cette lame de rasoir sans tomber ? (...) Ma chérie, tu m'effraies. Je suis effrayée par ta pénétration et ta grâce et ton génie. Le dîner est peut-être la partie que j'aime le mieux. Et puis la maison désertée et le passage du temps , qui a dû te donner tant de mal à mettre en place et où tu as réussi si parfaitement. (...) Ma chérie quel beau livre ! (...) Bien sûr c'est complètement ridicule d'appeler ce livre un roman (mai 1927) 

Le dîner est ce que j'ai écrit de mieux de toute ma vie : il justifie, selon moi, à lui tout seul mes défauts d'écrivain : Cette satanée "méthode" (...) Je ne sais si je ressemble à Mrs Ramsay : étant donné que ma mère est morte alors que j'avais 13 ans , probablement est-ce là une vision d'elle marquée par l'enfance : mais j'éprouve une espèce de délice sentimental à me dire qu'elle te plaît. Elle m'a hantée : mais mon père, ce vieux scélérat, me hantait aussi. (mai 1927)

Je n'ai pas écrit une ligne depuis que je suis ici. C'est vraiment dramatique. Je ne pense pas que je sois le moins du monde écrivain, -non, pas même journaliste. Si je l'étais, j'aurais au moins pondu une douzaine d'articles. (à Téhéran, fév.1927)

ORLANDO EST FINI !!! (...) au moment où j'en sors , à quoi vraiment ressembles-tu ? Existes-tu ? T'ai-je entièrement inventée ?... (mars 1928)

Pourquoi faut-il que tu te montres si timide et si bouffie d'orgueil, les deux à la fois, à propos de ce roman que tu écris ? (...) Je t'en prie, écris ton roman et tu pénétreras alors dans le monde irréel où vit Virginia -incapable qu'elle est maintenant, la pauvre, de vivre n'importe où ailleurs... (août 1928)

Correspondance, 1923-1941


A leur rencontre en décembre 1922, Virginia a quarante ans , Vita dix de moins. 
Virginia a publié trois romans et a atteint une certaine notoriété, sans obtenir de succès commercial. Alors que , paradoxalement, Vita est un auteur à la réputation bien assise, ayant publié poésie et fiction. 
Vita, lesbienne assumée, est mariée à un homme pour qui elle a la plus belle amitié (et avec qui elle a deux garçons). Voici comment elle lui narre la rencontre...et ses conséquences :
"j'adore tout simplement Virginia, et vous feriez de même. Vous seriez totalement désarmé devant son charme et sa personnalité (...) Tout d'abord on pense qu'elle a un visage assez quelconque, et puis une manière de beauté spirituelle s'impose à vous, et l'on découvre une fascination à la contempler... (...)Je me suis rarement entichée de quelqu'un aussi fortement, et je pense qu'elle a de la sympathie pour moi. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'elle m'a invitée à aller à Richmond, où elle habite. Chéri, me voici amoureuse." 
!!!

Si tu savais ce que tu représentes pour moi, tu serais sûrement contente (en voyage vers la Perse, mars 1926)

Viens, je t'en prie, me baigner de sérénité une fois de plus. Oui, j'ai été entièrement, intégralement, heureuse...(déc.1926)

Oh bon sang, Virginia, que ne donnerais-je pas pour t'aimer moins. Mais non ; ce n'est pas vrai. Je suis heureuse de t'aimer. Je ne sais quoi te dire , si ce n'est que ça m'a arraché le coeur de te dire adieu -je suis pleine de reconnaissance pour la journée que nous avons passée hier -un réel cadeau des dieux- (au départ pour son deuxième séjour en Perse, janvier 1927)

Comme je suis heureuse que tu existes ! (fév.1927)

Eh bien, il m'est arrivé de voir je ne sais plus où une petite boule bondissant et rebondissant sur le jet d'eau d'une fontaine : la fontaine c'est toi; la boule moi. Tu es la seule personne à me donner ce genre de sensation. Physiquement, ça me stimule, et en même temps ça me repose... (oct.1928)

Il est certain que Virginia est fascinée par l'extrême vita-lité de son amie (c'est un jeu de mot qu'elle fait elle-même quelque part) et que Vita la rassure également par une attitude très protectrice. Mais je me suis fait la réflexion qu'on ne "sent" pas le déséquilibre psychique de VW à travers la correspondance ; des fatigues, des migraines sont concédées, des grippes et des périodes de découragement littéraire parfois ... c'est bien Vita qui emploie le plus souvent l'adjectif "déprimée", paradoxalement.

Leur attachement survit aux frasques de Vita , grande séductrice incapable de résister à une tentation... 
Leur amitié est également possible grâce à l'estime et la considération qu'elles nourrissent pour leurs époux respectifs. Leonard Woolf est l'éditeur de certains opus de Vita avec la Hogarth Press qu'il tient avec sa femme. Harold Nicholson est lui un homme capable d'écrire à Virginia : " Vous n'aurez jamais à vous inquiéter à mon sujet car je n'aurai jamais d'autre désir que celui de voir Vita mener une existence aussi riche et aussi sincère que possible. Je hais la jalousie au même titre que je hais toute forme de maladie" 
...
Vita suit donc ce magnanime époux dans ses missions diplomatiques, à une époque où le voyage est encore toute une aventure ; elle rédige des pages sublimes et drôles :

A notre retour de Louxor au Caire notre train a pris feu; le wagon-restaurant flambait allègrement derrière nous comme la queue d'une comète . Personne ne semblait s'en soucier, hormis mon beau Bédouin qui s'attardait, par besoin de réconfort, près de la porte de mon compartiment jusqu'au moment où, poussée par un réflexe de légitime défense, je suis allée me coucher  (...)

Ma Virginia chérie 
J'ai le sentiment que j'aimerais t'écrire une longue lettre. Une lettre sans fin. Des pages et des pages. Mais il y a trop à dire. Trop d'émotions, et aussi trop d'Egypte, et trop de surexcitation. Et sincèrement, tout se réduit à cette vérité parfaitement simple que je voudrais que tu sois là (...)
Le reste du temps je lis Proust. Comme personne à bord n'a jamais entendu parler de Proust, mais possède assez de français pour pouvoir traduire le titre, on me regarde plutôt de travers à cause des nombreux volumes de Sodome et Gomorrhe qui jonchent les ponts .
Mais pourquoi a-t-il mis 10 pages à écrire ce qu'il aurait pu dire en 10 mots ? 

Aujourd'hui se trouvant être l'anniversaire du Shah, (bien que la rumeur prétende qu'il ne connaît ni le jour de sa naissance ni son âge, étant de basse extraction,) le ministère des Affaires étrangères a donné hier soir un dîner en son honneur (...) Harold en uniforme, à broderies d'or, une petite épée entre les jambes; Vita moqueuse mais parée d'émeraudes (...) Les bottes des sentinelles sont toutes boueuses; à peu près tout, ici, est vraiment de la pacotille. Soixante-dix personnes à table : la porcelaine n'est pas assortie, -il en manque trop pour que ça suffise aux besoins, -les ministres persans ont revêtu leurs habits d'apparat : de vieilles robes de chambre crasseuses en cachemire, avec des chemises de soirée sans col (mars 1926)

Il s'agit bien du Shah d'Iran que nous avons connu ! (Reza Pahlevi) que Vita décrira dans "Passenger to Teheran" sous les traits d' "un cavalier cosaque à la mine renfrognée, avec un grand nez, des cheveux poivre et sel et une mâchoire de brute" 

Tenir une correspondance Perse/Angleterre n'est pourtant pas chose aisée, à l'époque :
... je me languis de Virginia et pour aggraver encore la situation, (1) le courrier de Russie a perdu la boussole depuis maintenant deux semaine, et (2) la valise, qui aurait dû arriver hier, a manqué l'aéroplane et ne sera pas ici avant au moins quinze jours. Ce qui veut dire que je n'ai eu aucune lettre. Que je ne saurai pas avant des siècles si, oui ou non tu vas en Grèce. Que je ne saurai même pas si, oui ou non tu m'as oubliée. Que je ne saurai pas si tu vas bien. Tout cela est infernal. 



En Janvier 1928, le père de Vita décède. Etant femme , elle ne peut hériter de Knole, où elle est née, fief de sa famille depuis des siècles, fantasmé par Virginia comme ce château aux 365 chambres , dans "Orlando" ! 
Le château et le titre reviennent à son oncle Charles... eh oui, il n'y a pas que dans une célèbre série ... 
Vita et Harold achèteront plus tard Sissinghurst -sans aucune commune mesure avec Knole...- qu'elle aménagera à son goût, avec entre autres des jardins qui sont considérés parmi les plus beaux d'Angleterre. Elle mènera progressivement une existence moins mondaine.



En 1931, Harold qui a quitté la diplomatie fait un essai politique désastreux en adhérant au nouveau parti d'Oswald Mosley... qu'il quitte un an plus tard, ralliant ensuite les travaillistes. Il est appelé par Churchill au gouvernement durant la guerre.
En 1938, la Hogarth Press publie les oeuvres de Sigmund Freud, que Virginia rencontre en personne en janvier 39, alors qu'il se réfugie de Vienne à Londres.

La fin de la correspondance se trouve terriblement assombrie par la menace de la guerre, puis sa réalité, dès le 3 septembre 1939. Les maisons respectives de Vita et de Virginia se trouvent sur la ligne de front, les combats aériens se déroulent quasiment au-dessus de leurs têtes. La possibilité d'une invasion par l'Allemagne de l'Angleterre du sud parait suffisamment sérieuse pour que le frère de Virginia, le Dr Adrian Stephen, procure aux époux Woolf deux doses mortelles de morphine à utiliser en cas de débarquement...
Vita envoie à Virginia des produits de sa ferme ; à cause des restrictions d'essence, les visites sont difficiles à organiser. Ce qui sera la dernière rencontre a lieu le 17 Février 1941, et le 28 Mars Virginia se noie dans les eaux de l'Ouse, des pierres dans les poches...




Vita écrit à Harold :

Je viens de subir le plus affreux des chocs: Virginia s'est donné la mort (...) Leonard dit qu'elle n'était pas bien depuis quelques semaines déjà, et qu'elle vivait dans la terreur de devenir folle de nouveau (...) Je continue à penser que j'aurais pu la sauver si seulement j'avais été sur place et si j'avais pu savoir l'état d'esprit vers lequel elle évoluait .

Vita avait peut-être raison...



MIOR.

Chroniqué aussi par Dominique , Cachou  (très déçue), Barbieturix, mais encore sur Slate




dimanche 12 juillet 2015

" Dark Island " de Vita Sackville-West

Arghl, c'est un triste moment celui de venir faire un billet sur une grosse déception...

J'avais découvert Vita Sackville-West au printemps avec Toute passion abolie , petit merveille de délicatesse ET d'humour anglais persifleur. Un régal .

Je me réjouissais donc de me plonger dans cet opus traînant depuis trop longtemps sur mon étagère, remis en avant par les réjouissances anglaises de Juin et plus encore.
Las... quelle ne fut pas ma déception ( à la hauteur de mes Great Expectations , of course...)

"Lorsque Venn propose à Shirin de l'épouser, il ne l'a vue qu'une fois, une décennie plus tôt. Elle avait seize ans. C'était à Port-Breton, où Shirin allait en vacances.
De la côte, elle pouvait contempler la petite île de Storn, qui la fascinait - elle lui vouait même un culte secret. 
Mais jamais elle n'avait imaginé s'y rendre, jusqu'à sa rencontre avec l'héritier de Storn : Venn Le Breton, qui l'emmena découvrir l'île. 
Dix ans plus tard, Venn ignore que c'est de Storn dont Shirin est tombée amoureuse. 
Devenu son mari, il fera tout pour la plier à sa domination perverse et repousser Cristina, l'amie intime de Shirin venue partager leur huis clos au château de Storn..."



Sur le papier c'est alléchant, n'est ce pas ?
Il y a tout pour construire un récit follement romantique et complexe.
 Et puis le découpage en quatre parties : 16 ans , 26 ans, 36 ans et 46 ans me plaisait beaucoup. 
Prendre une femme à quatre âges de sa vie, voilà un projet littéraire excitant, à mes yeux. 

Hélas, rien ne fonctionne : les situations sont abondamment commentées sans qu'il y ait d'action nous les présentant, les dialogues sont creux et épouvantablement répétitifs, les personnages caricaturaux et leur portrait psychologique sommaire, aucun n'est attachant, tout sonne faux et on s'ennuie à cent sous de l'heure. 

Shirin est belle et froide comme la glace, Cristina fidèle jusqu'à la dévotion sans jamais au fond avoir de vrai dialogue avec cette amie qui la subjugue, point, il faudra se contenter de ça. 
Venn est dit cruel et pervers ( un peu à la manière d'un Heathcliff si cela fonctionnait) mais certaines situations censées le démontrer sont à la limite du ridicule. 
On a en prime une aïeule pour pourrir définitivement l'ambiance . Superfétatoire.

 Le cadre est supposé grandiose (mais jamais décrit !) et follement aimé des deux époux, pour ma part je n'ai jamais réussi à dépasser cette image :
Pas de pages cornées , pas la moindre petite citation à vous proposer...

J'ai cru devenir folle car je suis en parallèle plongée dans la correspondance Vita S.W/Virginia Woolf qui est merveilleuse !!  (billet à venir) 
Vita y est excellente, spirituelle, drôle, d'une plume acérée et pleine de charme...

Evidemment, ma lecture de "Dark Island" souffre de venir tout de suite derrière celle de "la Promenade au Phare"...
C'est un peu comme si VSW s'était essayée au même exercice ...et complètement plantée

Alors je n'écrirai pas comme Virginia dans son Journal (12 Août 1934) :  "Dark Island est très bon " ; non, franchement c'est même très mauvais je crois.

Papillon , quoique plus pondérée , n'est pas loin d'en dire autant ; George aime ...un peu ; et Martine ...beaucoup !

Mais j'aime toujours Vita et retournerai la lire !

MIOR.

C'est avec ce billet :-(  que commence pour moi "A year in England" avec Martine



mardi 24 mars 2015

" Toute passion abolie " de Vita Sackville-West


Lu dans l'agréable édition "Autrement" 
(13€ et tellement plus jolie que celle du Livre de Poche, à 6€ certes)

Match de dames , deuxième manche.

De Vita Sackville-West, je ne connaissais que son amitié amoureuse avec Virginia Woolf, par la gazette mondaine .

Je crois que je me l'imaginais comme une riche et tumultueuse aristocrate dilettante -ce qu'elle fut, une femme aux aspirations artistiques pouvait-elle être autre chose à l'époque ?-  et sans envergure notable (la jalousie m'animait je pense ; j'aurais adoré être une riche dilettante moi-même)

Pour ma villégiature romaine de Février ( impeccable, le voyage en Italie était déjà un must dans ce milieu et à cette époque; je m'y suis crue..) je suis partie avec ces deux dames, lues la même semaine. 
Je vous ai raconté ma rencontre avec Orlando dans l'épisode précédent.



Vita Sackville-West
Force m'a été de reconnaître mon erreur :

"Toute passion abolie" est un récit délicieux .  

Et son auteur est talentueuse.


Quand Lady Slane perd brutalement son époux Henry Holland , comte de Slane et ancien vice-roi des Indes, elle décide presque immédiatement et sans en faire étalage, de commencer enfin à vivre sa vie. 

Après tout, elle n'a que quatre-vingt-huit ans . 

Bien sûr il y a le domaine de Elm Park Gardens, et l'héritage que ses enfants vieillissants (et ils sont six, dont quatre aux dents très longues) s'apprêtent déjà à gérer à sa place...

Pour William et Lavinia, l'épargne était un but en soi. A leurs yeux, une pomme abîmée tombée d'un arbre n'était jamais considérée comme perdue mais plutôt destinée à passer immédiatement au four. Le gaspillage leur était un véritable cauchemar et ils seraient allés jusqu'à fabriquer des mèches avec des journaux pour économiser une allumette . Le désir d'obtenir quelque chose gratuitement les hantait. La vision de la moindre petite mûre sauvage représentait une souffrance pour Lavinia tant qu'elle ne l'avait pas mise en bocal.

 Mais l'argent n'est pas du tout ce qui intéresse Lady Slane : elle ne rêve que d'un petit cottage entrevu à Hamstead une trentaine d'années auparavant. Elle entend y vivre seule, mais oui. Et demande à ses enfants d'avoir la gentillesse de prévenir avant de passer.

...ce drame récent  leur avait fourni le prétexte d'une nouvelle phrase : "Mère est merveilleuse" (...) Mère est merveilleuse mais que va-t-on faire d'elle ? Evidemment elle peut demeurer merveilleuse le restant de sa vie. Toutefois il faudra bien redescendre sur terre un jour, quand tout cela serait terminé, et lui trouver un toit, un abri. Dehors les affichettes annonçaient : LA MORT DE LORD SLANE. 
(...) Ils n'imaginaient pas qu'elle puisse remettre en question les arrangements qu'ils allaient devoir prendre. Mère n'avait aucune autorité. Aimable et charmante, elle avait été toute sa vie une femme soumise -un prolongement de son mari. On tenait pour acquis le fait qu'elle n'était pas assez cérébrale pour prendre des décisions. Herbert en faisait parfois la remarque. "Grâce à Dieu, Mère n'est pas une de ces femmes de tête" .

Estomaqués, ils devront pourtant s'y faire. 
Leur mère, sans faire de vagues, met ses projets à exécution. Retirée à Hamstead et protégée par son grand âge , "toute passion abolie", elle reconsidère toute sa vie et bien sûr son mariage... Dans le fond , et la forme :

...Tout cela fonctionnait à la perfection , et durant quelques jours elle accepta de jouer cette comédie, imaginant qu'elle pourrait s'en sortir sans trop de difficultés, car elle n'avait que dix-huit ans et qu'il était au fond bien agréable d'être complimentée, spécialement par les siens. Mais elle avait pourtant l'impression qu'une sorte de toile d'araignée se tissait à l'intérieur d'elle, encerclant ses poignets et ses chevilles de ces innombrables fils qui la reliaient au coeur de ses proches. L'un allait vers son père, et un autre vers M.Holland -qu'elle avait appris à appeler timidement Henry.
...Et pendant qu'elle se tenait ainsi, se sentant aussi stupide qu'une reine de mai au milieu des serpentins qui voltigent autour d'elle, elle distingua dans le lointain tout un peuple qui s'avançait, portant des cadeaux, se dirigeant sur elle comme des vassaux livrant leur tribut. Henry avec une bague -quand il la glissa à son doigt ce fut un véritable cérémonial-, ses soeurs avec avec un nécessaire de toilette , sa mère avec suffisamment de linge pour gréer un voilier .

Deborah avait des velléités d'ouvrir un atelier, juste avant son mariage, car elle avait un certain talent de peintre. Est-il nécessaire de préciser que ce projet -tout simplement incongru- ne verrait pas le jour ? 
Elle serait l'épouse essentiellement décorative d'un vice-roi des Indes, fine, cultivée et intelligente mais vivant dans l'angoisse -car elle avait conscience, elle, de ses limites- qu'un invité de marque lui pose une question trop pointue. 

Jusqu'à quel point la mort d'Henry l'avait libérée, lady Slane n'arrivait pas encore à le réaliser.

Elle se fait un nouvel ami en la personne du très coincé M.Bucktrout, qui lui loue cette fameuse maison. Il s'y déroule des "high teas" très réjouissants : 

-J'ai peu d'amis, lady Slane. Avec l'âge, on a de plus en plus envie de fréquenter seulement ses contemporains, et de délaisser les jeunes. Entre nous, ils sont vraiment très fatigants, très agités. Je peux à peine supporter la compagnie de quelqu'un de moins de soixante-dix ans. Les jeunes vous obligent à envisager la vie comme un combat, une véritable entreprise, ils sont sans cesse pris par leurs plans. En revanche, les personnes âgées, tous projets  abandonnés, peuvent enfin se pencher sur leur passé. Ne trouvez-vous pas que c'est reposant ? Le repos, Lady Slane, est une des choses les plus importantes de la vie, et pourtant peu d'entre nous y parviennent réellement, d'ailleurs bien peu en rêvent vraiment.

Non, il ne se passera pas ce que vous imaginez peut-être déjà.
Mais vous aurez des surprises tout de même.
Se livrant à une relecture de son mariage et de sa vie en général, Deborah Slane prendra le risque de se connaître vraiment...

Il est fréquent de sourire à la lecture d'un bon texte, surtout quand il témoigne de cette merveille que l'on appelle l'humour anglais. 
Il est plus rare de s'esclaffer, de glousser, voire de rugir de plaisir comme je le fis à de nombreuses reprises durant ces cent-cinquante pages pleines d'esprit (et parfois même de mauvais esprit bien entendu) 

Ce texte est magnifique d'élégance et de simplicité.
Il parle de bien des choses qui fondent la vie des hommes et des femmes -oui, aujourd'hui encore-  : d'intériorité , de la capacité à accepter ses besoins profonds, de la finesse qui permet de les connaître. 
C'est une pépite, un texte court et précieux, d'une sagesse extrêmement malicieuse.
Il m'a paru d'une modernité incroyable !
Un style délié -l'air de ne pas y toucher- qui m'a ravi...

Bref... s'il est évident que l'apport de Virginia Woolf à la  Grande Littérature ne saurait être remis en question, Vita Sackville-West est-elle un auteur totalement mineur ? 
Qui d'elles deux, dans ces deux lectures, a gagné mon coeur  ? 
Vous l'avez bien compris.
Et il était vraiment touchant, connaissant leurs relations, de lire simultanément ces deux textes quasiment contemporains : "Toute passion abolie" , en 1931, succède de trois ans à "Orlando".

Un très beau billet d'Anne, " Des mots et des notes" ;-) pour compléter le mien.
Et un autre sur la maison de Vita et ses fabuleux jardins à Sissinghurst dans le Kent.



C'est drôle : on dirait le château d'Orlando ;-)
Les jardins de Sissinghurst dessinés par Vita et son époux





...Tiens , je sais ce que j'ai envie de lire maintenant ...

MIOR
















dimanche 22 mars 2015

Virginia Woolf vs Vita Sackville-West : ORLANDO

Match amical de dames . 

Comme par hasard :
"Orlando" de Virginia Woolf m'attendait depuis très longtemps sur mes étagères.
Et ce mois-ci, nous avions choisi Vita Sackville West au Club de lecture.


Un voyage à Rome ; je décidai de partir avec ces deux grandes ladies. 

Je savais qu'Orlando était un hommage voire un portrait sublimé de la seconde par la première.
Les deux femmes se sont aimées, d'amour dès 1925, d'amitié avant et toujours
(un bel article ici )

Dans la préface de mon vieux livre de poche "Biblio" d'Orlando, par Diane de Margerie : 

Personne sans doute ne devait lui faire éprouver cette "force rayonnante des femmes entre elles" mieux que Vita Sackville-West. Poétesse, romancière, celle-ci appartenait à la prestigieuse famille des Sackville qui possédait le château de Knole depuis que la reine Elizabeth l'avait donné, au XVIième siècle, à son cousin Lord Thomas Sackville. Virginia avait fait la connaissance de Vita en 1922 ; elle avait alors quarante ans et Vita trente ; les deux femmes furent immédiatement attirées l'une vers l'autre , et il est révélateur que ce soit la plus jeune qui ait éprouvé pour l'aînée les sentiments d'une mère : Virginia, dont on sait qu'elle avait déjà traversé la folie à plusieurs reprises, avoue trouver en Vita "la protection maternelle qu'elle recherche par-dessus toute chose".


Virginia en 1927  , et ...
Vita peinte par William Strang en 1918 !

Orlando est une fable , un conte, une fantaisie littéraire. 
Son héros vivra plusieurs vies, dans les deux sexes, homme d'abord puis femme, pendant plus de trois cents ans : 
"le XVI ième siècle avait encore quelques années à vivre" quand débute le récit qui se termine au "douzième coup de minuit, le jeudi onze octobre mil neuf cent vingt-huit" (date réelle du point final évidemment !)

Orlando est vraiment une oeuvre à part, une sorte de parenthèse, serait-on tenté de dire.
Récit picaresque, assez joyeux, improbable et quelque peu foutraque.

Le ton étonne chez cette auteur réputée difficile, introspective jusqu'au vertige, dont les livres les plus célèbres -Mrs Dalloway, La promenade au phare , Les Vagues- s'attachent plutôt au versant tragique de l'existence, avec une hyper sensibilité exacerbant le plus petit état d'âme et le disséquant presque. 

Rien de tel ici : Orlando est un jeune noble de seize ans habitant "une maison si vaste que le vent lui-même y semblait pris au piège, soufflant d'ici, soufflant de là, hiver comme été". 
Il a du bien , il a des terres, et dans cette période élisabéthaine cherche - plus qu'un sens à sa vie-  de quoi s'occuper, car il est assez instable. 
Il procède par toquades.
Bien sûr vient d'abord l'amour : après quelques "mises en jambe" Orlando s'éprend éperdument d'une belle moscovite , Sacha . 

...Echauffés par le patinage et l'amour, ils se jetaient à même la glace dans quelque crique solitaire aux rives frangées d'osiers jaunes ; un vaste manteau de fourrure les enveloppait tous les deux : Orlando étreignait la princesse et pour la première fois, chuchotait-il, connaissait les joies de l'amour. Puis, lorsque l'extase avait fui, et qu'ils gisaient, bercés, sur la glace, dans le plus doux évanouissement, il lui parlait de ses autres passions, lui confiait comment, comparées à ceci, elles n'avaient été que bois, toile de sac et cendres. Et riant de sa véhémence, elle se jetait une fois de plus dans ses bras et lui donnait, pour l'amour de l'amour, une étreinte nouvelle. Ils s'émerveillaient alors que la glace ne fondît pas à leur chaleur ...

Mais hélas, la belle se révélera traîtresse... 
Jurant, mais un peu tard, qu'on ne l'y reprendra plus Orlando va chercher à se consoler à travers les livres, et le démon de l'écriture le piquera également (pour le restant de ses jours d'ailleurs)
Ensuite ce sera la passion de la Nature (mais on s'ennuie vite) puis la passion du Décor, coûteuse (hilarant)

Pourtant , comme il passait en revue les galeries, il eut l'impression d'un certain vide. Des fauteuils et des tables, tout dorés, tout sculptés qu'ils soient ; des sofas, même s'ils reposent sur des pattes de lion ou des cols de cygne ; des lits, fussent-ils même en duvet de cygne le plus doux, ne nous satisfont pas s'ils demeurent vacants. Des gens assis, des gens couchés, les améliorent étonnamment. Aussitôt donc, Orlando inaugura une série de réceptions magnifiques où se rencontrèrent toute la noblesse et la gentry du voisinage. D'un seul coup, les trois cent soixante cinq chambres furent pleines pour un mois.

Vite insupportable également... Orlando fuit.
Ce sont maintenant voyages et vie d'ambassadeur, à Constantinople. 

Tout cela est haut en couleurs, certes, mais bizarrement j'ai perdu pied à ce moment-là... cela semblait tourner à vide soudainement, après cent cinquante pages assez réjouissantes.

Damned ! Juste au moment où :

Orlando était devenu femme -inutile de le nier. Mais pour le reste, à tous égards, il demeurait le même Orlando.
 Il avait, en changeant de sexe, changé sans doute d'avenir, mais non de personnalité .

Je m'explique mal pourquoi j'ai totalement décroché dans la deuxième partie du récit.

Certes je ne m'attendais pas à ce que Virginia traite de la question du genre ! ou se laisse aller à des considérations sur la sexualité. 
Peut-être pensais-je en revanche que la maternité serait accordée à son héroïne... et clairement espérais-je une sorte de "confrontation" des deux sexes -Virginia Woolf me semblant avoir fort à dire sur le sujet- 
"Orlanda" m'a déçue, en quelque sorte ; après la fantaisie du jeune homme Orlando je ne l'ai pas trouvée vraiment "incarnée", ce qui est tout de même un comble .

Je me suis alors sentie lassée par le procédé d'écriture, la mise à distance des "vrais" problèmes par un ton léger et persifleur. 
Vanité, tout n'est que vanité, songeai-je ...

Il faut redire ici qu'Orlando est vraiment un opus atypique dans l'oeuvre de Virginia Woolf. Probablement faut-il être dans une certaine humeur -badine- pour apprécier ce récit. Quelque chose n'a pas fonctionné pour moi, en tout cas, quelque (grande) admiration -voire fascination- je garde pour l'auteur(e)

Je reviendrai très bientôt vous parler de Vita, maintenant, dont "Toute passion abolie"  me permit la découverte ...et m'enchanta ...

MIOR