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mardi 14 février 2017

" En cuisine avec Alain Passard " BD de Christophe Blain



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Alain Passard et Christophe Blain....


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                       ...et les mêmes croqués par le dessinateur ;)


Christophe Blain m'avait fait hurler de rire avec "Quai d'Orsay"  !
Je me suis régalée à nouveau avec cette BD assez étonnante, que j'ai dévorée puis relue dans la foulée quelques jours plus tard...

Pendant plus de deux ans, Christophe Blain a suivi le chef supra-étoilé de l'Arpège, Alain Passard, de son piano à ses potagers. 
Oui, Alain Passard, l'homme qui peut vous faire pleurer de joie avec un navet et deux betteraves, apparemment. 

Le coup de crayon de Blain est pour moi tout simplement jouissif ; quel talent, quelle expressivité... et quel humour !! 
J'adore sa façon de se mettre en scène, avec un super blaze plus proche de la truffe que du nez ; de jouer le pseudo candide un peu roublard... finalement retourné comme une crêpe (eh oui, les images risquent d'être culinaires, forcément) par le génie du gars Passard. Lequel vous transperce de son regard ultrableu. Très conscient de son charme, manifestement. En jouant parfois. Sympa quand même.

Si le bouquin semble être une commande au départ (sur une idée d'A.Passard, lit-on discrètement en page deux) je pense qu'à l'arrivée Blain était totalement convaincu du bien-fondé de la démarche. 
Bon, et puis avoir "L'Arpège" comme cantine, hein, je ne vous fais pas un dessin...

A noter l'originalité du projet qui intègre une bonne douzaine de recettes qui ont l'air tout à fait faisables.

Et une chute assez géniale en dernière page :-)


Tout ce monde des brigades, où on se donne du "Monsieur" tout en tutoyant, voire en taclant sévèrement, a toujours un peu fasciné l'amateur total que je suis...
Pas sans rapport avec mon secteur d'activité, au fond : créativité sur fond d'organisation quasi militaire, inspiration et auto-discipline... le tout inscrit profondément car depuis un très jeune âge... je vois bien ;-)

      " Alain ne crie jamais. Lorsqu'il reprend un cuisinier, c'est sec et précis. Il a l'air décontracté puis il rentre soudain dans l'action. Il est rapide, tout à son geste. Lorsque le rythme s'accélère, il profite de l'énergie et de la tension. Il est totalement absorbé par sa cuisine, presque en transe."


Deux trois planches pour achever de vous convaincre ? :-))

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Bon, si vous n'aimez pas manger, je ne peux rien pour vous ... ;-)

MIOR.

lundi 24 octobre 2016

" L'Amérique des écrivains " de Pauline Guéna et Guillaume Binet



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Un dimanche pluvieux, genre colle-cafard... Je m'installe avec ce gros volume sur les genoux, et je relève la tête, étonnée qu'il fasse nuit... trois heures plus tard. 
Cela avait l'air d'un livre de table basse, mais ce n'est assurément PAS un livre de table basse, c'est une mine, une somme, c'est passionnant.

Sous titre : Road trip.

Pauline Guéna, écrivain, et son compagnon Guillaume Binet, photographe, se sont lancés dans un voyage incroyable: leurs quatre jeunes enfants sous le bras, ils ont sillonné les Etats-Unis en camping-car à la rencontre de vingt-six écrivains américains majeurs. 
Juin 2013/ Juin 2014. La carte, impressionnante :

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 "Parce qu'on aimait lire " (avant-propos)


"Et puis mon mari est photographe, on voulait faire un voyage ensemble, sortir nos enfants pour un moment de la routine, vivre des aventures. Et j'avais envie de savoir comment faisaient les autres écrivains. C'est un voyage de formation, pour moi, en quelque sorte." (en réponse à Thomas McGuane qui renverse les rôles dans son interview)

Les entretiens sont longs, fouillés, pertinents . Les photos renforcent ou aèrent le texte. C'est un régal. Extraits :

Laura Kasischke : 
Voici comment se classent mes priorités : ma famille, mon travail, mes poules , et enfin l'écriture. 
(et elle leur donne des oeufs pour l'omelette du soir !...)

Richard Ford : 
Je ne suis pas un grand fan des cafés littéraires (en français). Ce n'est pas un phénomène culturel que j'apprécie. Les questions sont trop simplistes. Mais vous connaissez ça, les salons du livre à St Malo ou ailleurs. On est assis dans un couloir, puis on nous fait monter sur une estrade, un type qui a un micro vous présente, vous avez un micro aussi, on vous pose des questions pour le bénéfice des gens qui passent distraitement dans les allées, c'est ridicule.

Ecrire, c'est une chose que je fais solitairement pour les autres.

Ayant été dans une tonne d'hôtels et de motels dans ma vie, j'y ai vu beaucoup de choses. Ce qui m'intéresse, c'est ce que font les gens quand ils croient que personne ne les regarde.

J'ai travaillé avec une grande régularité sur "Canada" pendant deux ans. Puis presque un an pour le corriger. Et six mois pour l'éditer. Mais je prenais des notes sur la Saskatchewan depuis ma première visite. J'avais beaucoup de matériel accumulé dans mes carnets quand je m'y suis mis. 

Russel Banks :
Pour moi écrire est un moyen de pénétrer un mystère auquel je n'aurais pas accès autrement. Quelque chose qui peut même paraître gênant, ou effrayant. Ecrire de la fiction me donne accès à une compréhension profonde de certaines questions. Je pense par exemple à 'Lointain souvenir de la peau"

Très bel entretien avec Dennis Lehane . Avec Jane Smiley également.

Dans celui avec T.C Boyle :

Question : quel est votre sentiment quand vous terminez un livre ?
T.C.B : Oh, c'est l'extase. Il n'y a rien de mieux. Il y a un essai sur mon site qui compare cela à un shoot d'héroïne.
- Vous avez pris de l'héroïne ?

T.C.B : Oui. Et tout de suite après, vous avez une déprime terrible et la seule façon de la soigner, c'est de recommencer. C'est un cycle. L'obsession de produire de l'art est une addiction. Je pense que c'est terrifiant pour un artiste de perdre sa capacité à produire. Il y a tant d'écrivains américains qui se sont suicidés à cause de ça.

Martin Winckler rencontré chez lui à Montréal :
La traduction c'est un apprentissage de l'écriture. On apprend à écrire dans sa langue. C'est un travail sur le texte d'arrivée, pas sur le texte de départ. Pour un écrivain, traduire c'est écrire.

David Vann , rencontré exceptionnellement à Londres entre deux voyages. 

Car David Vann, exilé volontaire, habite désormais entre la Nouvelle Zélande, l'Europe et la Turquie. Il "balance" beaucoup sur les Etats-Unis : 

Je pense que je n'y retournerai jamais pour y vivre ou y travailler à nouveau, de toute ma vie (...) Il y a tant de choses que je n'aime pas là-bas (...) Globalement c'est une nation de mensonges géants. Les Américains croient ces mensonges à propos d'eux-mêmes. Le plus gros de tous, c'est que l'armée américaine est bonne et que l'Amérique contribue à défendre le bien dans le monde. Je ne pense pas du tout que ce soit vrai (...) J'ai quand même envie d'ajouter que j'ai des amis et de la famille en Amérique, que je sais bien que la production culturelle est fantastique, il y a plein d'écrivains et de musiciens que j'adore. C'est une très grosse population. On ne peut évidemment pas généraliser comme je le fais (...) Il y a beaucoup de communautés que j'aime aux Etats-Unis, y compris celle de l'industrie du livre à New York. Mais on a quand même tendance à vouloir gober des tissus de conneries inimaginables. C'est la frustration qui me fait tenir un discours si extrême. Ils sont allés si loin qu'il ne reste que ça à la fin, la frustration. 

Pas pour nous , indeed ;-)

MIOR.

Ce livre a reçu le prix ELLE 2015 dans la catégorie Documents
Robert Laffont, 350 pages format 22X27, 35 euros.


Floride, février 2014




Pour Keisha , "un indispensable pour qui aime la littérature américaine" 

lundi 10 octobre 2016

" Petit Pays " de Gaël Faye

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Coup d'essai , coup de maître ! Pépite !!

Je n'aurais peut-être pas été spontanément vers ce bouquin si une amie ne me l'avait collé dans les mains. OK, le prix Fnac titillait ma curiosité, mais un rappeur qui écrit son premier livre, outch... 
Eh bien je confirme -après tant d'autres- que c'est un livre formidable.

Gaël Faye réussit ce petit exploit de nous parler d'enfance sans mièvrerie, de nous parler d'Afrique sans misérabilisme, de nous parler des massacres du Rwanda sans pathos mais le tout avec une justesse, une finesse et une simplicité impressionnantes. 

Sa langue est colorée , goûteuse, pleine d'images et de couleurs. 

Dès le poste frontière, on changeait de monde. La retenue burundaise laissait place au tumulte zaïrois. Dans cette foule turbulente, les gens sympathisaient, s'interpellaient, s'invectivaient comme dans une foire au bétail. Des gosses bruyants et crasseux lorgnaient les rétroviseurs, les essuie-glaces et les jantes salies par les éclaboussures de flaques d'eau stagnante, des chèvres se proposaient en brochettes pour quelques brouettes d'argent, des filles-mères slalomaient entre les files de camions de marchandises et de minibus collés pare-chocs contre pare-chocs pour vendre à la sauvette des oeufs durs à tremper dans du gros sel et des arachides pimentées en sachet, des mendiants aux jambes tire-bouchonnées par la polio réclamaient quelques millions pour survivre aux fâcheuses conséquences de la chute du mur de Berlin et un pasteur, debout sur le capot de sa Mercedes bringuebalante, annonçait à tue-tête l'imminence de la fin des temps avec, à la main, une bible en swahili reliée en cuir de python royal.

La construction du livre est parfaite, laissant éclater seulement dans les cinquante dernières pages le drame des Tutsis pendant cet horrifique printemps 1993. 
Je n'avais jamais rien compris , je l'avoue, à ce qui m'apparaissait comme un des massacres de masse les plus répugnants de ce vingtième siècle qui n'en aura pourtant pas manqué. 
J'ai l'impression de m'en être approchée grâce à Gaby, ce gamin de onze ans "haut comme trois mangues", fils d'un français et d'une rwandaise, élevé au Burundi dans les années 80 (où bien des Tutsis s'étaient refugiés après des exactions dès 1959 au Rwanda)

A Bujumbura, c'est d'abord une enfance heureuse, le lycée international, l'impasse où l'on fait les quatre cent coups avec les copains, rien de bien méchant, cinq potes comme les doigts de la main qui se marrent et apprennent la vie. Gino, comme lui métis mais bien plus politisé, le préféré.

Gino, le seul enfant que je connaissais qui, au petit déjeuner, buvait du café noir sans sucre et écoutait les informations de Radio France internationale avec le même enthousiasme que j'avais à suivre un match du Vital'O Club. Quand nous étions tous les deux, il insistait pour que j'acquière ce qu'il appelait une "identité". Selon lui, il y avait une manière d'être, de sentir et de penser que je devais avoir. il avait les mêmes mots que Maman et Pacifique et répétait qu'ici nous n'étions que des réfugiés, qu'il fallait rentrer chez nous, au Rwanda.

Les parents de Gaby se séparent; entre tristesse et inquiétude, Gaby murit.

Ce pays était fait de chuchotements et d'énigmes. Il y avait des fractures invisibles, des soupirs, des regards que je ne comprenais pas.

 Les sous-entendus politiques deviennent de plus en plus pesants , l'ambiance se dégrade et le gamin tente de comprendre entre silences et non-dits ce qui est en train de se jouer dans la société, l'antagonisme hutu et tutsi, infranchissable ligne de démarcation qui obligeait chacun à être d'un camp ou d'un autre. 


Tout cela finira par lui exploser à la figure, le pays bascule dans la guerre civile et le Rwanda vers cette incroyable boucherie. 

Comme un aveugle qui recouvre la vue, j'ai alors commencé à comprendre les gestes et les regards, les non-dits et les manières qui m'échappaient depuis toujours.

Gaël Faye sait en dire assez pour nous faire comprendre sans s'appesantir, sans forcer le trait. 
De la haute voltige.

L'épilogue, vingt ans après, est tout simplement bouleversant. 
Le génocide est une marée noire, ceux qui ne s'y sont pas noyés sont mazoutés à vie.


Partez au "Petit Pays" dès que vous le pourrez, croyez m'en.

MIOR.

PS : marre de ne lire que des critiques enthousiastes ? Allez seulement Ici ...
(mon honnêteté intellectuelle est sans limite ;-) 

mercredi 31 août 2016

J.O. , de Raymond Depardon

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Si vous aussi avez passé de nombreuses heures du jour et de la nuit à regarder les Jeux Olympiques en ce mois d'Août qui s'achève, ne ratez pas cette formidable édition de poche d'un bouquin paru en 2012 en gd format : 
les J.O de Tokyo (1964) Mexico (1968) Munich (1972) Montréal (1976) et Moscou (1980) couverts par Raymond Depardon. 

A Tokyo il a vingt-deux ans et, arrivé là par le plus grand des hasards, il apprend sur le tas à photographier le sport -un art difficile- les athlètes, leurs exploits et leurs échecs mais aussi le public, la ville, l'air du temps. 
De courts textes accompagnent et commentent les clichés. C'est épatant.

Au final, qu'on le veuille ou non, le cliché de Nadia Comaneci concentrée sur sa poutre comme celui de Bob Beamon à Mexico en 1968 sont des images de Raymond Depardon avant même d'être des photos de sports. C'est une grâce dont jouissent peu de photographes. Et c'est cela que la photographie est bien un art, et pas seulement une technique de reproduction du réel.
JFrançois Lixon.

La qualité de reproduction des photos est juste extraordinaire ! et vous allez vous régaler pour 9 euros 90 :-))


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Mark Spitz Munich 1972


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Colette Besson Mexico 1968


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Moscou 1980

MIOR.

dimanche 12 avril 2015

" Moderne Olympia ", BD de Catherine Meurisse

Un grand éclat de rire !

Un frémissement dans la blogo m'avait alertée de l'opportunité de lire cette BD ; c'est ce billet  de Titine qui m' en a convaincue.

Bonheur, délices, ce samedi elle me tendait les bras à la médiathèque... et fut dévorée dans l'heure avec un bonheur sans mélange.

Jugez-en : Olympia -oui, celle du tableau de Manet- descend de sa toile pour frayer avec les autres personnages du musée d'Orsay.

Olympia est une petite figurante qui rêve de jouer dans Roméo et Juliette , mais, las, elle enchaîne les castings foireux et les participations calamiteuses...

Et puis elle LE rencontre, son Rom...ain !
Oui , mais lui est un Officiel alors qu'elle fait partie du clan des Refusés, bien sûr ... 

Ambiance West Side Story tout d'un coup !

Toujours flanquée du Fifre, du chat noir et de la servante itou, Olympia va conquérir son jules et sa liberté.

Le coup de crayon est vachard -un peu à la Reiser parfois- et tellement réjouissant !
Et l'aventure pleine d'humour...

Il faut voir Olympia, toujours  -et pour cause- dans le plus simple appareil, faire son chemin , conquérante et ingénue... Elle est croquignolette et bien incarnée.

Les clins d'oeil sont nombreux, l'irrévérence est là mais mâtinée d'une solide culture picturale , c'est délectable . 

Bravo au musée d'Orsay qui passa commande à Catherine Meurisse de cette BD présentant dans un second degré tout à fait jubilatoire les collections du musée : 50 toiles sont ainsi "citées" et détournées - le bâtiment est également mis en scène avec astuce-. On les retrouve listées soigneusement à la fin de l'album.

Il fallait oser, je trouve que c'est une réussite totale !

Catherine Meurisse parle ici de son travail pour ce volume.

Et comme un petit crobard vaut mieux qu'un long discours ...






Un régal , vraiment !
MIOR.

PS: 

vendredi 3 avril 2015

"Dîner avec Lenny " de Jonathan Cott


sous-titré : le dernier long entretien avec Léonard Bernstein

Editions Christian Bourgois
140 pages 

"Le chef ne doit pas seulement faire jouer son orchestre ; il faut qu'il lui donne envie de jouer... Il s'agit moins d'imposer sa volonté comme un dictateur que de projeter ses émotions autour de lui afin qu'elles puissent atteindre le plus éloigné des seconds violons. Et quand cela arrive -quand cent personnes partagent ses émotions, exactement, simultanément, réagissant à chaque respiration de la musique, à chaque point d'arrivée et de départ, à son moindre frémissement intérieur- alors il existe une identité d'émotions qui n'a d'équivalent nulle part. C'est, à ma connaissance, la chose qui se rapproche le plus de l'amour lui-même"

Si vous êtes mélomane (pas besoin de grandes connaissances, Bernstein est aussi un pédagogue hors-pair) n'hésitez pas et lancez-vous dans cette lecture passionnante !

20 Novembre 1989, Jonathan Cott a décroché de haute lutte une interview auprès du maestro. Celui-ci le reçoit dans sa maison du Connecticut (une ferme de 1750) dans l'après-midi ; l'entrevue durera jusqu'au milieu de la nuit...

Chef d'orchestre, compositeur, pianiste, écrivain, éducateur, conférencier, animateur de télé, militant pour la paix et les droits de l'homme, Leonard Bernstein était sa propre "Gesamtkunstwerk" -le terme employé par Richard Wagner pour décrire l'oeuvre d'art totale. Au début de sa carrière, il déclarait au New York Times : "Je ne veux pas passer ma carrière comme Toscanini à étudier et réétudier les mêmes cinquante oeuvres. J'en mourrais d'ennui. Je veux diriger. Je veux jouer du piano. Je veux écrire des livres et de la poésie. Et je crois pouvoir rendre justice à toutes ces activités "

Quel appétit de vie , voire boulimie ! 
Une personnalité solaire et charismatique, un talent effectivement protéiforme (non, il n'est pas que le génial compositeur de "West Side Story" ) Leonard Bernstein est définitivement sexy, body and soul...






































Il se trouve que ce diable d'homme fut le professeur de "mon" chef d'orchestre le merveilleux Yutaka Sado qui présida aux destinées de l'Orchestre Lamoureux de 1993 à 2011 . Il ne pouvait en parler sans que se craquelle son apparente zénitude asiatique; des années après, il était ému dès qu'il convoquait son souvenir...Nous avons joué et enregistré beaucoup de Bernstein dans ces années là. Un grand bonheur.



Tout naturellement, dédicace spéciale de ce billet à Anne, qui oeuvre aussi bien pour les notes que pour les mots ;-)

Et maintenant, musique Maestro !

MIOR.








lundi 16 février 2015

"L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir " de Rosa Montero

Alors voilà , j'étais dans la vraiment-toute-petite-librairie de celui que je n'appelle jamais que "le petit libraire" par association d'idée, et je flânais. 
Je bavardais avec lui des derniers choix du Club de lecture, je tripotais un volume, le reposais...et c'est par l'oeil que ça a commencé :




Cette ballerine gracieuse et délicieusement potelée, ce titre charmant et énigmatique...

"Jamais lu , dis-je. 
- Moi , pas celui-là, me répondit-il, mais Montero, vous pouvez y aller les yeux fermés. "

Quel humour dans cette prescription, mais surtout quelle chance ! 

Ce livre est une petite merveille qui vient de réchauffer ma vie durant trois jours 
(j'ai fait durer les cent soixante dix pages ;-) 

Ces quelques mots du titre sont en fait de Marie Curie.
Elle perd Pierre, son époux, ami et partenaire de recherche en 1906 . 
Usé par leurs travaux, endolori jusqu'aux os par la radioactivité, il glisse sous la pluie et passe sous une voiture à cheval, l'animal l'évite, pas la roue.

Il n'a que quarante six ans, elle trente-huit, et entre eux dix ans d'une très belle union. 

 Marie est profondément atteinte, elle serre les dents pour ses deux filles et devient cette figure triste et austère que nous avons toujours vue sur la plupart des photos.
Elle tient un journal durant la première année de son deuil. 
Oh, quelques feuillets seulement, mais simples et intenses, comme elle.

En 2012, Rosa Montero est en deuil de son époux, elle aussi. 
Elle patine, n'arrive plus à écrire. 
C'est à ce moment précis que son éditrice lui propose de préfacer le journal de Marie Curie. 
La rencontre va faire des étincelles...

La sainte de ce livre est Marie Curie. J'ai toujours trouvé cette femme fascinante, comme pratiquement tout le monde d'ailleurs, car c'est un personnage hors norme et romantique qui semble plus grand que la vie. (p.12)

Rosa Montero lit toutes les bios de Marie Curie et se lance. 

Voici en quelques mots la genèse de ce texte qui se penche sur le veuvage -un sujet plutôt casse-gueule et à ce titre pas si souvent abordé- et plus largement la perte. 
Le tout en vous filant une patate d'enfer , ce qui est tout de même fou !!

C'est vivant, c'est brillant, c'est éminemment digressif et passionné, quel plaisir !

Extraits :

L'art est une blessure qui devient lumière, disait Georges Braque. Nous avons besoin de cette lumière, pas seulement nous qui écrivons ou peignons ou composons de la musique, mais également nous qui lisons et contemplons des tableaux  et écoutons un concert. Nous avons tous besoin de beauté pour que la vie soit supportable. Fernando Pessoa l'a très bien exprimé : "La littérature, comme toute forme d'art, est l'aveu que la vie ne suffit pas." Elle ne suffit pas, non. C'est pour ça que je suis en train d'écrire ce livre. C'est pour ça que vous êtes en train de le lire. (p.31)

La Mort joue avec nous à un-deux-trois-soleil, ce jeu où un enfant compte face à un mur et les autres essaient d'arriver à toucher le mur sans que l'enfant les voie quand ils se déplacent. Eh bien, c'est la même chose avec la mort. Nous allons, nous venons, nous aimons, nous détestons, nous travaillons, nous dormons : autrement dit, nous passons notre vie à compter comme le garçon du jeu, occupés et distraits, sans penser que notre existence a une fin. Mais de temps en temps nous nous rappelons que nous sommes mortels et nous regardons alors en arrière, effrayés, et la Parque est là, souriante, immobile, bien sage, comme si elle n'avait pas bougé, mais plus près, un tout petit peu plus près de nous. Et ainsi, chaque fois que nous nous déconcentrons et que nous vaquons à autre chose, la mort en profite pour faire un bond et se rapprocher. Jusqu'à ce que le moment arrive où, sans nous en apercevoir, nous avons épuisé tout notre temps. Et nous sentons le souffle froid de la Mort sur notre nuque et, l'instant d'après, sans même nous avoir donné l'occasion de nous retourner encore une fois, sa griffe touche notre mur et nous sommes à elle. (p.95)

Même s'ils ne réussirent à isoler le radium qu'en 1902, ils firent la découverte du nouvel élément bien plus tôt. Au cours de cette même année 1898, peu de temps après avoir commencé, en quelques mois seulement de travail acharné, les Curie trouvèrent d'abord le polonium, quatre cents fois plus radioactif que l'uranium, et peu après le radium, qui, dirent-ils, était neuf cents fois plus radioactif, mais qu'il soit en réalité trois mille fois plus puissant. Le 26 Décembre 1898, ils informèrent l'académie des sciences de leur trouvaille et devinrent aussitôt assez célèbres, mais rien de comparable avec ce qui viendrait après le Nobel. Ce radium resplendissant et puissant enflamma l'imagination des êtres humains : c'était le principe même de la vie, une pincée de l'énergie du cosmos, le feu des dieux apporté sur la Terre par ces nouveaux Prométhée qu'étaient les époux Curie. Des scientifiques du monde entier se mirent immédiatement à rechercher des applications médicales de leur découverte, comme, par exemple, soigner les tumeurs cancéreuses (on utilise encore aujourd'hui la radiothérapie dans le même but, sauf que la source radioactive n'est plus le radium mais le cobalt) , et l'enthousiasme atteignit des niveaux si élevés que ce nouvel élément commença à être dangereusement et inconsciemment utilisé pour tout, comme s'il s'agissait d'un baume magique. 
Par exemple, on rajouta du radium dans les cosmétiques : dans des crèmes pour le visage qui vous gardaient soi-disant éternellement jeunes, dans des rouges à lèvres, dans des lotions pour renforcer et embellir la chevelure, dans des dentifrices pour rendre les dents très blanches et foudroyer les caries, dans des onguents miraculeux contre la cellulite. Une publicité de la crème Alpha-Radium disait: "La radioactivité est un élément essentiel pour garder les cellules de la peau saines." (p.89/90)

La douleur véritable est indicible. Si vous pouvez parler de ce qui vous angoisse, vous avez de la chance : ça veut dire que ce n'est pas si important. Parce que , quand la douleur s'abat sur vous sans palliatifs, ce qu'elle vous arrache en premier c'est les #Mots. Il est probable que vous reconnaissiez ce que je dis : vous l'avez peut-être vécu, car la souffrance est une chose très commune dans toutes les vies (comme la joie). Je parle de cette douleur qui est tellement grande qu'elle ne semble même pas naître à l'intérieur de vous, c'est plutôt comme si vous aviez été enseveli par une avalanche. Voilà comment vous vous trouvez. Tellement enterré sous des tonnes de tristesse rocheuse que vous ne pouvez même pas parler. Vous êtes sûr et certain que personne ne va vous entendre. (p.23)  

La deuxième chose difficile à comprendre de Marie Curie, c'est son silence total quand il s'agit de parler des problèmes supplémentaires qu'elle a dû affronter du fait d'être une femme. Jamais elle n'a mentionné, même pas en passant, le machisme évident et féroce de la société dans laquelle elle vivait, et jamais elle n'a souligné les injustices particulières dont elle a elle-même souffert, qui furent nombreuses. (p.110)
Simone de Beauvoir appelait femmes-alibi ces femmes qui, après avoir triomphé avec de grandes difficultés dans la société machiste, se prêtaient à être utilisées par cette même société pour renforcer la discrimination. Et ainsi, leur image était renvoyée aux autres femmes avec le message suivant : " Vous voyez ? Elle, elle a triomphé parce qu'elle en est capable. Si vous, vous n'y arrivez pas, ce n'est à cause d'un empêchement sexiste, mais parce que vous n'en êtes pas capables." Est ce que Marie Curie a été une femme-alibi ? (p.111)

Je vais vous laisser le plaisir de découvrir la suite ! 

Et pour ma part je suis très heureuse de "pépiter" ce livre, récit, confession, méditation et médicament aussi, chez notre amie Galéa et son fameux...



MIOR.

jeudi 12 février 2015

" Snow Therapy " film de Ruben Östlund




Vous prendrez bien un petit film scandinave un peu glaçant avant votre propre départ au ski ?
Une charmante famille suédoise dans les Alpes françaises . 
Restaurant d'altitude, on déclenche une avalanche "de sécurité" en amont.
Spectaculaire. 
Jusqu'au moment où l'on croit qu'elle échappe à tout contrôle et qu'on panique vraiment !
Au point de se carapater en plantant là femme et enfants...

Tout ceci ne dure que quelques secondes, le calme revient , fausse alerte, on en sera pour la peur .
Ah oui ? 
Mais cette fuite, nous l'avons vue, et les enfants et l'épouse également. 
Seul, Monsieur minimise et s'enferme même rapidement dans un solide déni...

Comédie grinçante chez les bobos du Nord, huis-clos étouffant en hommage à maître Bergmann, longue scène de ménage assez cruelle ? 

On ne sait pas toujours sur quel plan le cinéaste a voulu jouer, et c'est bien ce qui fait le charme dérangeant de ce (petit?) film, au rythme posé, magnifiquement filmé dans des paysages de montagne particulièrement stylisés et une résidence hôtelière d'un luxe froid qui fait merveille dans le contexte.

Les personnages secondaires amènent des moments assez jubilatoires de pure comédie, mais toujours avec l'air de ne pas y toucher...
The swedish touch ?

Et si le portrait peut au départ sembler lourdement à charge contre le personnage masculin, les choses évoluent et se décalent d'une façon bien intéressante. 
Ebba est-elle une femme qui préfère la Vérité plus que tout, au risque de mettre son couple en danger ? 
Tomas est-il juste cet incroyable balot qui nie l'évidence, ou un homme mis en difficulté par l'analyse aux rayons X que fait son épouse ? 
Que se joue-t-il dans cette scène qui traumatise peut-être plus que de raison ses protagonistes tant elle fait résonner en eux la symbolique de se qu'il se "doivent" d'être ? 
La transparence est-elle souhaitable en toutes circonstances ? ...
Etc...

Même si je ne suis pas totalement convaincue par la fin, un peu étrange, j'ai beaucoup apprécié ce film, sur la forme comme sur le fond...pas impossible même que je retourne le voir ! 

S'il vous tente, guettez-le , car il n'est probablement sur les écrans que pour peu de temps, même si, sélectionné au festival de Cannes 2014 dans la section Un certain regard, il en a remporté le prix du jury.

MIOR.



mercredi 14 janvier 2015

" Martin Eden " de Jack London

Une semaine s'est passée depuis le terrible 7 Janvier 2015, une date que nous n'oublierons certainement pas. Après le temps de l'émotion viendra celui de la réflexion. Nous avons du travail ...

Mais puisque la culture est un des remparts contre le fanatisme et la barbarie -du moins peut-on continuer à l'espérer- lisons, partageons, bagarrons nous -mais alors très gentiment...- et enthousiasmons nous, encore et encore...




MARTIN EDEN (JACK LONDON) dans auteurs américains martin+eden-couverture

Quel type , ce Martin ! J'avoue être tombée sous le charme très vite. 

L'oeuvre de Jack London, j'avoue que je ne la connaissais pas, c'était un peu "into the wild" et pas grand chose de plus dans mon imaginaire.

Eh bien si, et ce Martin Eden m'a passionnée.

Oakland, Californie, vers 1900. 

Martin Eden , jeune type de vingt et un ans issu de la classe laborieuse la plus modeste, rencontre une jeune fille de bonne famille, Ruth Morse -il a sauvé son frère d'une rixe fâcheuse. 
C'est le choc, amoureux mais peut-être plus encore, culturel et social :

Il était donc à la fois perturbé par sa propre inadéquation et charmé par tout ce qui se passait autour de lui. Il découvrait qu'un repas pouvait être autre chose qu'une fonction alimentaire. Il ne savait pas ce qu'il mangeait. Pour lui ce n'était que de la nourriture. A cette table où manger était un acte esthétique -et même intellectuel- il se repaissait de beauté. C'était surtout son esprit qui était en appétit. Il entendait des mots dont il ignorait le sens, d'autres qu'il n'avait rencontrés que dans des livres et qu'aucun homme ou femme de sa connaissance n'eût été capable de prononcer. Chaque fois que de tels mots tombaient négligemment des lèvres d'un membre de cette merveilleuse famille -sa famille à elle- il était en extase. La beauté idyllique et l'élévation spirituelle devenaient réalité. Il était dans cet état rare et béni que l'on éprouve en voyant ses rêves quitter les châsses du fantasme pour entrer dans le domaine des faits .

Les parents de Ruth , tout en surveillant bien sûr du coin de l'oeil, ne s'opposent pas formellement à ce qu'elle revoie ce drôle de gaillard, baraqué, buriné, qui raconte ses aventures de marin. Il a quelque chose d'exotique, et ma foi , Ruth a déjà vingt-quatre ans et ce n'est pas une mauvaise chose qu'elle "s'éveille" .

Martin, à qui l'amour donne des ailes, a un appétit de vie et de connaissances hors du commun. 
La donzelle, faisant des études de lettres, commence par corriger ses fautes de syntaxe ? Martin se plonge dans l'étude de la grammaire et parle bien tôt aussi bien voire mieux qu'elle. 
Tout est à l'avenant : il décide d'explorer bien des domaines, d'un éclectisme total, dévorant tout ce qui lui tombe sous la main, fréquentant à présent les bibliothèques, rationalisant ses apprentissages, se restreignant bientôt à quatre maigres heures de sommeil car la tâche est immense. 

Et bientôt, sa décision est prise : il sera écrivain. Récit de voyage pour commencer. Facile.

Son récit fut achevé en trois jours frénétiques. Mais, quand il l'eut recopié soigneusement, dans une large écriture facile à lire, il découvrit l'importance et la fonction des paragraphes et des guillemets dans un manuel de rhétorique glané à la bibliothèque. Il n'avait jamais pensé à ces détails. Il se mit donc en devoir de réécrire son article en se conformant aux préceptes du manuel et en apprit davantage en un jour qu'un écolier moyen en un an.

Martin , c'est LA figure de l'autodidacte. 

Martin Eden avait toujours été dévoré de curiosité. Il voulait savoir. C'était pour cela qu'il avait couru le vaste monde.

Certes, il s'instruit pour "mériter" Ruth et se hisser à son niveau -il croit naïvement que cela suffira pour être accepté dans son milieu...- mais plus fondamentalement, dès qu'il commence à étudier, son incroyable appétence lui ouvre des horizons merveilleux qu'il ne songe plus qu'à investir totalement au prix de grands sacrifices, lui qui est pauvre à lécher les murs.

Le mythe de Pygmalion est ici inversé : pour une fois c'est une femme qui favorise l'accès à la connaissance -bien qu'elle même ne soit pas réellement d'une grande intelligence, au fond, bien trop bourgeoise et convenue pour cela, et ne connaissant rien de la vie, pour le coup...  ( La bourgeoisie est timorée. Elle a peur de la vie. )

Il redevenait de la glaise entre ses mains, aussi désireux d'être modelé par elle qu'elle l'était de le façonner à l'image de son idéal masculin. Et, comme elle lui faisait remarquer l'opportunité du moment, les examens d'entrée au collège commençant le lundi suivant, il déclara sans hésiter qu'il s'y présenterait. 

Bientôt Martin découvre la philosophie évolutionniste et la sociologie , au travers de l'oeuvre d'Herbert Spencer (à l'époque plus connu que Darwin). Il se passionne pour les idées socialistes, veut tout embrasser et s'il renonce à l'étude du latin, ce n'est que par manque de temps ...
Le livre se perd parfois en digressions, débats d'idées, qui certes l'alourdissent mais lui permettent également de s'affranchir des codes du classique roman d'amour. 

Il est clair que Martin est un alter de Jack London , lui-même baroudeur , ayant pratiqué tous les métiers et beaucoup traîné sa bosse avant de découvrir sa vocation littéraire, et devenir un des premiers écrivains "à succès" de son vivant.

Un passage assez hallucinant de réalisme nous raconte quelques mois passés à travailler comme blanchisseur, à un train d'enfer, jusqu'à l'abrutissement total qui vous fait inévitablement tomber dans la boisson :

La boisson n'était que l'effet, ce n'était pas la cause. Elle suivait le travail aussi inévitablement que la nuit suivait le jour. Ce n'était pas en se transformant en bête de somme qu'il atteindrait les cimes, tel était le message que lui murmurait le whiskey.

Car enfin , Martin n'arrive pas à percer. 
Les éditeurs lui renvoient impitoyablement ses manuscrits, ils se ruine en timbres et accumule les refus , retravaillant ses textes , sûr de progresser , sûr aussi de ne pas vouloir lâcher. Il connaitra la faim, le vélo mis au clou , ou pire, son seul bon costume, ce qui l'empêche d'aller diner chez Ruth (double malheur...)

Ce sont des mois et des années de galère, nous finissons comme lui par être harassés, abrutis de fatigue, quand à la page 378... arrive enfin le succès .
Mais pour Martin , qui a connu des revers dans sa relation avec Ruth, c'est trop tard. Il subit un effondrement subit, malgré l'argent qui coule enfin à flots, et la reconnaissance tant attendue. 

Martin Eden , c'est le récit d'un homme qui s'enfante tout seul, qui s'extrait à la force du poignet d'un milieu fruste pour acquérir une VRAIE intelligence , pas un vernis intellectuel qui fait illusion. C'est le récit de la vie comme apprentissage, fondamentalement. 

Martin est un personnage profond , honnête, passionné, parfois partial, avec des marottes, des entêtements magnifiques, et cette volonté, superbe , qui lui permet de passer là où d'autres finiraient par mordre la poussière. 

Bon sang , que je l'ai aimé, ce gars là !

Volontairement je ne vous raconterai pas la fin , de façon à vous laisser une fraîcheur de lecture, je vous dirai juste que je l'ai trouvée magnifique.
Et j'ai compris pourquoi Martin Eden était le livre de chevet d'un ami perdu...

MIOR.


mercredi 31 décembre 2014

Christian Bobin

Une fois n'est pas coutume, je voudrais faire un billet sur un auteur, pour l'ensemble de son oeuvre en quelque sorte.
 Un peu comme si je décernais le Mior d'Or de littérature, à l'instar d'un suédois célèbre (enfin pas tant que ça, j'ignorais qu'il était l'inventeur de la dynamite jusqu'à il y a deux minutes. Le Nobel de la paix prend toute sa saveur quand on pense à des trucs pareils ...enfin, laissons, je m'égare ...surtout que Bobin , la dynamite , c'est clair , ce n'est pas son truc )

J'ai découvert Christian Bobin avec "Une petite robe de fête" , court recueil paru en 1993.

Emerveillement. Langue tout à fait personnelle, prose d'une indicible poésie, inspiration originale. Quelque chose qui le rapproche d'André Dhôtel -dans mon panthéon personnel pour "le Pays où l'on n'arrive jamais" qui enchanta mon enfance...- 

Coup de foudre absolu, transports de joie.

Quelques jours plus tard, invitée à une soirée je l'offre à mon hôte... qui deviendra mon compagnon et plus tard mon mari. 

Excellent souvenir (offrez des livres , cela peut vous mener loin)



Les livres de Bobin se racontent mal , il n'y a pas grande intrigue, généralement.

C'est toute une atmosphère de sensibilité fine, une littérature qui fait du bien, qui chuchote à votre oreille des phrases comme hors de la temporalité , et surtout très loin de la modernité. 
Ceux qui ne l'apprécient pas fustigent son écriture marquée par la foi, trop claire, comme exaltée parfois par cette vision chrétienne de l'homme. 
Formidablement humaniste, répondrai-je.

Eté 2014. Des semaines très difficiles pour moi , temps de crise, temps de deuil.

J'éprouve le besoin de lire "un Bobin". 
"Isabelle de Bruges" m'attend depuis longtemps sur mon étagère, patiente, sachant que son heure viendra, probablement.

Isabelle est l’aînée d’une famille de trois enfants. Elle a treize ans au moment où son histoire débute par un drame. Les trois enfants sont abandonnés sur le parking d’une aire d’autoroute par des parents dont on n’apprendra seulement que la mère est atteinte d’une tumeur au cerveau. 
En conséquence, le couple a décidé d’abréger leur vie ensemble. 
Les enfants sont immédiatement recueillis par une grand-mère, Eglantine, qui va subvenir à leurs besoins. Jacques, le fils cinquantenaire de la vieille dame va s’occuper de l’instruction des trois enfants, et notamment d’Isabelle. Elle fait ainsi une scolarité curieuse, où les cours particuliers de son précepteur remplacent complètement l’école. Elle évolue de ce fait dans un univers social extrêmement restreint, qui ne se compose que de son frère Adrien, de sa soeur Anne, de la grand-mère Eglantine, et épisodiquement de Jacques. 
Au sortir de l’adolescence d’Anne et d’Adrien, les deux jeunes partent avec Jacques pour un long voyage en Argentine. Isabelle reste auprès de la vieille Eglantine afin de l’aider dans ses tâches ménagères. Son univers social, menacé de se restreindre un peu plus, s’élargit pourtant de la rencontre avec deux jeunes hommes : un médecin, chargé de soigner la grand-mère souffrante, et Jonathan, photographe, ami du celui-ci. 
Avec Jonathan, Isabelle vivra trois semaines d’une histoire d’amour particulièrement intense, à l’issue desquelles le photographe la quittera afin de poursuivre son travail.
 Le roman s’achève sur la sérénité d’Isabelle, au lendemain de la mort de la vieille Eglantine, occupée d’attendre sans impatience les retours ponctuels de Jonathan, et s’attachant à une nouvelle occupation, l’écriture.

Ce livre-là , à ce moment-là... extraordinaire . 

Lire Bobin c'est en quelque sorte se laver l'âme. 

Alors en cette toute dernière soirée de l'année j'avais envie de ce billet, comme un hommage littéraire et surtout un remerciement.

MIOR

mardi 23 décembre 2014

" Les vieux fourneaux " de Lupano et Cauuet

Alors que l'hystérie de Noël bat son plein -pour beaucoup, fièvre acheteuse tendue et retrouvailles plus ou moins heureuses avec le clan familial (ou pas) - quel plaisir de se plonger (en retour de courses, allez, je ne vais pas faire ma maligne) dans la lecture d'une Bd repérée chez les collègues blogueurs !

Irrévérencieuse juste ce qu'il faut, et surtout tellement drôle !! ...
Oui , ce sont des drôles, Pierrot, Mimille et Antoine. Anciens employés des labos Garan-Servier (...!) copains de toujours, très "ni Dieu ni maître", ex-syndicalistes et maintenant , retraités, toujours activistes dans des groupuscules loufoques, ils se retrouvent pour l'enterrement de Lucette, épouse d'Antoine. 

Bien sûr Mimille et Pierrot arrivent en retard, allument leurs Gitanes au bout l'une de l'autre et envoient péter la représentante de Garan-Servier venue présenter des condoléances au nom de l'entreprise... Et puis en compagnie de la petite-fille de Lucette, bien franchement enceinte (ou plutôt... "qui a une brioche au four" ! ) il va y avoir un road-movie pour la Toscane...

Je ne vous en dis pas plus, j'espère que vous avez déjà envie d'aller mettre votre nez là-dedans .

Un joli pari que de mettre en scène trois petits vieux, passionnés et injustes, mais tellement vivants !!

J'ai adoré la truculence de la langue ("et tu peux me dire pourquoi tu embarques du pain à une crémation ? Tu veux te faire des tartines grillées ?" ) , pleine d'expressions réjouissantes ( "j'en ai connu, des pompes à vélo, mais alors lui..." ) et puis , graphiquement, la silhouette de Pierrot est un vrai bonheur, je ne m'en lasse pas... 

J'ai gloussé dans mon lit hier au soir avec mes trois papis, avant de m'apercevoir, consternée et ravie à la fois, qu'il y avait un tome 2, que je n'avais pas pris .
Je cours l'acheter !

Et puis , allez... joyeux Noël, tiens ( plus que quelques heures à tenir ...)

MIOR.

lundi 8 décembre 2014

Discours de réception du Prix Nobel de littérature par Patrick Modiano

Ce discours qui aurait pu être une épreuve s'avère un régal ...

Les blogueurs et blogueuses qui aiment Modiano en parlent bien, en général ; mais lui- même fait ici une magnifique analyse de sa propre œuvre et la genèse de celle- ci , avec un respect immense pour la littérature en général, et un beau partage de ses admirations de lecteur. 

Le discours commence très exactement à la minute 2'45

Préparez vous une théière et passez trente très belles minutes avec Monsieur Modiano...





Ici l'excellent papier de Pierre Assouline , "le discours d'un roi" 

MIOR

dimanche 2 novembre 2014

"Mommy" de Xavier Dolan

Bien , disons le tout de suite , je me sens encore moins "équipée" pour parler de films que de bouquins.
Néanmoins , puisque j'ai eu envie de dire que le dernier Woody Allen m'avait déçue, j'aimerais ne PAS passer pour une rabat-joie permanente et raconter le choc que j'ai connu le lendemain en visionnant pour la première fois le cinéma de Xavier Dolan .

Je suis partie voir "Mommy" en me rappelant vaguement que son auteur avait été une des coqueluches du dernier Festival de Cannes, qu'il était jeune et québécois, et c'est à peu près tout. 
Je me suis gardée de lire une critique ou même un résumé avant, pour le plaisir de la découverte.

Quelle claque !!

Deux heures tendues, extrêmes, sur le fil du rasoir.
Un film parfois inconfortable, qui m'a rappelé le cinéma de Cassavetes.
Beaucoup d'amour et pas mal d'hystérie, comme chez ce dernier.

Bande-annonce :



L'histoire :

Diane est une belle femme d'une quarantaine d'années, un tantinet vulgaire et très cash dans sa façon de s'exprimer, pour le dire gentiment. 
Dans la première scène du film, elle récupère son fiston dans une institution pour le ramener à la maison. 
Elle vit seule , elle est veuve du père de l'ado.
Celui-ci est à la fois violent, impulsif et hyperactif, mais également terriblement attachant .
Mère courage, mère instable aussi, qui galère pour joindre les deux bouts et faire face à la situation, Diane va se battre et trouver une aide inattendue en la personne de sa voisine Kyla, qui semble pourtant porter un secret trop lourd pour elle.

Alternant des scènes très dures avec aussi des moments portés par la grâce, ce film de veine tragique m'a laissée K.O debout.

L'interprétation des trois acteurs est excellente, celle des deux actrices en particulier m'a scotchée (Anne Dorval et Suzanne Clément, vraiment magnifiques)

La bande-son est superbe et "porte" le film.

Ici une interview de Xavier Dolan

Si vous n'allez pas au cinéma que pour vous distraire...

MIOR





samedi 16 août 2014

"La table des enfants" d'Isabelle Hausser

au Livre de Poche


L'idée de lire les nouveautés de la rentrée avant tout le monde me laissant totalement froide, je me suis plongée -rapidement avec délice- dans ce bouquin dense et touffu qui patientait depuis plusieurs années sur mes étagères... 
Il semblait m'attendre en effet , et avoir des choses à me dire en une période délicate de ma vie.
 Bientôt je dévorais sans vergogne ce livre atypique, Grand Prix des lectrices de ELLE en 2002...

Comment survivre au décès accidentel de sa fille, même quand celle-ci ne voulait plus vous voir ? 

Et d'ailleurs pourquoi Élisabeth ne voulait-elle plus voir Agnès, cette mère écrivain de romans policiers à succès, cette maman veuve d'un grand amour qui n'a pas réussi à refaire sa vie auprès d'un mari de substitution ?
 Dans le dédale d'un étonnant jeu de miroirs entre la mère vivante et la fille décédée, au-delà du chagrin et de l'indicible désespoir, Agnès va avoir beaucoup de mal à extirper la réalité du fantasme, l'horreur de la poésie, la vérité du mensonge.
 Pourquoi encore sa fille lui confie-t-elle ses enfants par testament ?
 Et pourquoi fait-on un testament quand on n'a que trente ans ? 
La thèse officielle de l'accident de voiture arrange tout le monde, mais il existe tant de coïncidences troublantes qu'Agnès ne pourra qu'enquêter pour tenter de découvrir qui était véritablement sa fille... et qui elle est, elle-même. 
Construit en six parties de dix courts chapitres La Table des enfants est un roman intimiste, poétique et très original.
 Le cheminement de cette mère plus morte que vive de trop de douleurs accumulées, que son éditeur pousse à écrire à nouveau et que la vie n'épargne jamais, est sincèrement bouleversant.
 Isabelle Hausser livre ici une partition juste, un récit douloureusement musical et hyper-sensible – loin des figures imposées du polar qui n'est ici que prétexte – de sa belle écriture déjà rencontrée dans La Chambre sourde, Les Magiciens de l'âme et Nitchevo et Nitchevo.       Bruno Ménard (Babelio)

Figurez-vous que j'ai mis très longtemps à m'apercevoir du côté thriller que ce résumé met en valeur! (ce genre m'indiffère généralement et je ne le recherche pas du tout)
Je me sentais bien plus plongée dans un roman d'introspection profonde, habité par deux femmes intenses, exigeantes au delà du raisonnable, formidables, mère et fille en miroir .
Une grande intelligence des rapports humains sous-tend ce texte. La progression est merveilleusement respectueuse des silences et des mystères de la vie intérieure, tantôt celle d'Elizabeth, lumineuse et déchirée, tantôt Agnès, impériale et si intuitive. 

Cette idée que la vie de chacun serait comme une sorte d'énigme me plait énormément. Et que l'amour serait une sorte d'appel au décryptage, mais avec malgré tout beaucoup de pudeur et d'indicible...
 Les vraies énigmes demeurent irrésolues. L'art de la vérité exige beaucoup de ses adeptes.

L'autre ravissement pour moi consiste dans l'aspect extrêmement musical du récit. Certains motifs reviennent souvent et j'ai parfois pensé à la construction d'une fugue. La musique tient une belle place dans le roman, elle illustre très bien ce "au delà des mots" et cette envie d'absolu qui hante ces deux femmes. Elles sont mélomanes, la musique leur est indispensable et habille leur vie à tout instant. Rien d'anecdotique là dedans mais un besoin profond d'évoluer dans un univers de beauté. L'auteur parle bien de musique d'ailleurs, elle est manifestement familière des grands auteurs classiques, Bach tout particulièrement.
Enfin, une très belle atmosphère germanique, puisque le récit se déroule dans une petite ville des bords du Rhin. On croit sentir la qualité de l'air froid et pur de ce mois de Janvier initial si cruel, puis petit à petit la possibilité du printemps s'impose...

Ne ratez pas ce très beau roman de douze ans d'âge 
MIOR